[Interview] R. Molina : « Tant que le PSG sera une république bananière, il faut oublier la Ligue des Champions »

A l’heure des bilans, quand on lit tout et son contraire, nous avons choisi de donner la parole à Romain Molina pour nous parler du PSG. Auteur du livre « Unai Emery, El Maestro« , il revient sans concessions sur la première saison du coach parisien et nous parle du bordel qui règne dans le club de la capitale.

Première saison pour Emery, saison ratée ou saison réussie pour Unai et le PSG ?

D’un pur point de vue statistique, c’est potentiellement la 3ème saison de l’ère QSI. Maintenant faut remettre les choses dans leur contexte. Unai arrive dans un contexte très épineux. Depuis plusieurs années, il y avait un fonctionnement très particulier à Paris. Il y avait la gestion intelligente, niveau humain, de responsabiliser le groupe de Laurent Blanc, avec un patron qui était Zlatan, et des lieutenants non vocaux, Maxwell, Motta, et Alex quand il était au club. S’étaient greffés David Luiz ou Lavezzi comme leaders de vestiaire, dans un autre genre. Ce groupe là cimentait tout le reste. Tu basais ton jeu sur un jeu de possession, où Ibra, par son intelligence tactique, faisait quasiment tout.

Cette année, tu pars sur un cycle complètement différent avec un effectif quasiment similaire. Il ne décide pas vraiment du mercato, Krycho arrive via Letang, Hatem via Nasser et Letang, Jesé n’est pas le premier choix mais Unai l’assume, et Meunier est un travail de la cellule de recrutement. Quand la direction sait qu’Ibra part, et que pour le remplacer tu penses que Ben Arfa et Jesé c’est pas mal, c’est une vision assez spéciale.

Le problème du PSG cette saison ça a été de construire un effectif sans tenir compte de la psychologie et du vestiaire. Le putsch fait par David Luiz a laissé un trou béant, t’as tout un équilibre, une hiérarchie à reconstruire. Donc Unai doit faire avec ça.

Niveau entrainement, pendant 3 ans, je dis pas que c’était le Club Med mais c’était pas les entraînements d’Unai. Beaucoup ont tiqué au début, notamment Di Maria, parce qu’il fallait se mettre au boulot. Je ne dis pas qu’avant les mecs ne bossaient pas, mais avant les mecs se géraient et avaient des leaders pour gérer ça. Il y avait moins de travail tactique, moins de vidéos, moins de soin accordé aux CPA.

Après il y a un concours de circonstances, tu pars avec plein de blessés, notamment Pastore, Verratti… En fin d’année 2016, tu te retrouves avec Nkunku ailier gauche et un joueur comme Ben Arfa qui se déclare auto-forfait après Nice alors qu’il n’a pas encore fait d’examen. Unai n’a rien contre Hatem, mais il arrive avec 7 kilos de trop…

La saison en elle même est décevante, car l’équipe fait une super deuxième partie de saison. Quand ils appliquent ce qu’ils bossent, ils sont presque injouables. Monaco s’est fait défoncer en Coupe de la Ligue. C’est décevant parce qu’au final, tu ne retiens que le retour au Camp Nou. Quand tu vois ce qu’ils sont capables de faire … La saison en championnat, si tu finis à 89 points, tu peux pas dire que c’est une mauvaise saison. Il a de réels progrès dans le jeu, dans l’utilisation des jeunes, dans les performances et la progression de certains. Tu vois où le staff veut en venir. Tu vois que les joueurs adhèrent au projet.

Heureusement que la fin de saison arrive, Barcelone a laissé des séquelles terribles. Le vestiaire est explosé, il n’y a pas de patron. Ceux qui ne jouent pas s’impatientent. Il faut repartir sur de nouvelles bases.

Comment vit-il le traitement médiatique à son égard ?

Il n’en a rien à foutre. Il ne lit pas la presse française. Son frère regarde un peu. Il sait que ça peut avoir des influences sur ses joueurs. Comme avec Di Maria en début de saison. Ses choix montrent qu’il se fout de ce que pense la presse. Mais certains joueurs ne savent pas gérer la pression médiatique et il le sait. L’exemple c’est Barcelone. Outre les mecs à l’intérieur du club qui regardaient déjà les hôtels pour Cardiff, le traitement qu’a fait L’Equipe avant PSG-Barça, niveau éthique, c’est incroyable. Le tort d’Unai c’est de ne pas avoir réussi à donner de la confiance à ses joueurs au début du match.

Il y a des gens des médias qui étaient ultras heureux que Paris, et donc Unai, se ramasse. Quand tu vois la différence de traitement entre Monaco et Paris, c’est incroyable. Certains confrères m’ont appelé pour savoir si je connaissais du monde pour dire du mal d’Emery. Bielsa, Ancelotti, Jardim… En France, on a un problème de remise en question. On est trop centré sur nous-mêmes. Les étrangers sont pas tous des génies mais il faut respecter. Après, quand tu donnes de l’importance et de l’influence à des journalistes qui passent leur temps à faire des selfies… Un mec comme Gilles Favard, dont on taira le CV. Il traite Motta de « Petite S. » à l’antenne et on laisse le micro ouvert… Mettre Gilles Favard à la télévision, c’est montrer que tout le monde peut y arriver. Pour passer à la télévision, il faut maîtriser la langue française. L’art orateur de Gilles Favard, entre les insultes, les quolibets et la vulgarité, je ne vois pas où il est.

Pour revenir à Unai, il y a toujours cette connerie de le comparer à Blanc. Ils n’ont pas le même effectif, c’est pas le même projet. Ça montre le problème de neutralité des journalistes. T’es au ras des pâquerettes. Enfin, c’est pas pire que pour Bielsa… Le faire passer par un salaud et un mercenaire par des types qui tueraient leurs parents pour un scoop et un selfie avec un joueur… On donne trop d’importance aux gens des médias. Ils ne sont pas tous comme ça. Auclair, Roustan sont très respectables. Dominique Severac, d’une semaine à l’autre, il te dit qu’Emery est tout juste bon à entraîner Gueugnon. Logiquement, il est censé suivre le PSG. Par suivre le PSG, j’entends, autrement qu’en faisant des soirées avec le conseiller de Ben Arfa…

D’une semaine à l’autre Emery passait de génie à imposteur. C’est pas un génie. C’est un bon entraîneur, il a le respect de Villa, Mata, Alba, David Silva… C’est autrement plus important que l’avis d’anciens du PSG qui ne connaissent pas Emery.

Quand Unai arrive à Paris, a-t-il d’autres prétendants ?

Il aurait pu rester à Séville, il est dans la short-list de l’Equipe d’Espagne, il a une énorme cote en Italie … Même en Premier League. C’était un coach très demandé, il a une excellente réputation auprès des grands techniciens. Il suffit de demander à Ancelotti ce qu’il pense d’Unai… Et Carlo, c’est pas Gilles Favard hein…

Pourquoi vient-il à Paris du coup ? Demande-t-il des garanties quand il arrive ?

Ce qui a fait la différence pour Paris, c’est la stature du club, c’est un club du top européen. C’est le club qui lui offrait le plus de garanties. A Séville, il avait été au bout de ce qu’il pouvait faire, il n’aurait sans doute pas pu faire beaucoup mieux.

Unai a vu Nasser et Létang à Valence. Au début il n’impose aucun joueur, il n’est pas dans le même style qu’un Mourinho, il ne fait pas le mercato. C’est pas quelqu’un que tu vas entendre en pourparlers avec des agents. Il impose juste les gens de son staff. Il aurait peut-être dû demander plus de choses. Selon son frère, le plus grand défaut d’Unai, c’est qu’il pense que les gens sont honnêtes comme lui.

Pour cet été ça risque de changer, il va être plus exigeant. L’an dernier, il voulait connaître les joueurs, les hommes. Il ne voulait pas porter de jugements sur des mecs qu’il ne connaissait pas.

Penses tu qu’il a eu un groupe « Emery compatible » ?

Non. Pas tous. Cavani, Marquinhos, Pastore, Verratti, Maxwell, Motta oui. Ceux qui ont un QI foot. Pour certains, c’est pas qu’ils ne sont pas « Emery compatibles » c’est qu’ils ne sont pas « haut-niveau compatibles », ils ne veulent pas travailler. Kurzawa, vu le jeu prôné par Unai, quand il est à 100%, il peut être excellent. Mais tu ne peux pas compter sur lui dans la durée. Ils n’ont pas la mentalité pour. Et le problème d’exigence à Paris, il n’est pas qu’au niveau des joueurs. Ça se voit à tous les niveaux, même chez les jeunes. Aussi, l’organigramme n’est pas clair.

Qu’est ce qui ne marche pas dans l’organigramme ?

Nasser est un mec intelligent mais il a trop de choses à faire dans sa vie. Letang, c’est resté l’intérimaire suite au départ de Leonardo. Aujourd’hui il est dans un bail d’agent. C’est le premier Directeur Sportif du PSG qui termine agent. Il a proposé ses services à Monaco, le plus grand rival du PSG. Il s’est fait griller mais ne se fait pas virer… C’est incroyable. Il a aussi appelé Lens et Arsenal. Le mec s’est dit « j’ai le niveau pour aller à Arsenal ». Au club, certains l’appellent le Rocancourt du football. Beaucoup de joueurs au club ne souhaitent pas lui parler, Thiago Silva le déteste… Son bilan ? Coman est parti. Cet été il était persuadé de finaliser Neymar. Excès d’arrogance. Quand tu es dans un très grand club, et que tu ne parles jamais… Un directeur sportif doit incarner une autorité, il doit pouvoir éteindre les feux. Et puis, ça se sait, il a balancé plein de choses aux journalistes, des choses toujours tournées à son bénéfice, et pas au bénéfice du club. Avec Letang à la tête du club, ils ont acheté des joueurs comme Cabaye, Stambouli… Les mercatos depuis 2 ans, vu l’argent dépensé, il y a un problème quelque part.

Et l’objectif Ligue des Champions dans tout ça ?

C’est à moyen terme ce qu’a demandé Nasser à Unai. Pas dès cette année. Mais tant que le club sera une république bananière, aucune chance. Quand tu vois que ton directeur du football est l’ancien sélectionneur de Curaçao… C’est l’île où il y a le plus de putes au m² (rires) (cf : lire l’excellent « Thirty-One Nil » de James Montague). Il passe de sélectionneur de Curaçao à Directeur Sportif du PSG. On nomme quelqu’un sans expérience à un poste clé et on l’envoie au feu … Il est secondé par un mec qui essaie de lui faire des enfants dans le dos et qui appelle Monaco pour proposer ses services… Nasser apprend, ils se sont plantés. Letang-Kluivert, c’est un échec. C’est un jeune actionnariat. Ils apprennent…

Le dossier Monchi a agité un peu le club ces dernières semaines. Que s’est-il passé ? Est ce que ça aurait pu se faire ?

Monchi a déclaré l’an passé avoir été approché par United et le PSG. Avant même l’arrivée d’Unai en France. Là, il a fait de très clairs appels du pied. Il est francophile, il aurait adoré venir vivre en France. Je peux t’assurer qu’il y a eu un contact Monchi-PSG il y a plus d’un mois. Le PSG ne l’a jamais rappelé. Si tu demandes pourquoi ils répondent « Parce qu’on était sûr qu’il allait aller à Rome ». Pour eux, Monchi s’est servi d’eux pour s’assurer des garanties organisationnelles à Rome. Je pense aussi que l’arrivée de Monchi aurait coïncidé avec la fin des petits privilèges accordés aux gens qui gravitent autour du club, et ces gens-là avaient peur.

Est ce qu’Unai est sur le départ ? Est ce qu’il a des envies d’ailleurs ?

C’est un acharné. Il a été touché par le soutien de Nasser après Barcelone. Il veut rendre cette confiance. Et il n’a jamais signé à la Roma ! A l’intérieur du club, on dit qu’il n’est pas en danger même s’ils ne sont pas champions. Après, Paris n’a pas crédit illimité. Ils ont lâché 20 millions pour Blanc, 30 pour Krycho… Ils peuvent pas se permettre d’en lâcher à tout le monde. Je pense qu’ils vont poursuivre le cycle entamé l’été dernier.

On parle beaucoup de Rome et du retour du duo avec Monchi. Est ce vrai que la relation Unai-Monchi est plus fraîche que ce qu’on entend ?

A Séville, ils avaient un accord tacite comme quoi si un gros club voulait Unai, il partait libre. Séville n’a pas voulu le lâcher. Dans le même temps, Monchi a donné sa démission au club, et il n’a rien voulu gérer. Du coup, le Basque et l’Andalou se sont quittés sans se parler, alors qu’ils étaient amis. Aujourd’hui, c’est aplani. A l’avenir, je serais pas étonné qu’ils retravaillent ensemble. Ils se respectent au delà du professionnel.

S’il est amené à rester, est-ce que dans sa manière de manager il y aura des changements ? Des erreurs qu’il ne refera plus ? Une patte plus importante sur le mercato ?

Il va partir sur une base, il sait comment ses joueurs sont. L’équipe est en progression, notamment sur le jeu de possession sans Ibra, c’était le gros problème il y a pas si longtemps. Paris attend un DS, Kluivert est toujours là, des changements en interne sont prévus. Unai essaie de s’impliquer dans tout ça, il a la notion d’identité de club. Côté mercato, il risque d’essayer de se faire entendre, il a vu les besoins qu’il a. Il veut prendre le problème à bras le corps. Maintenant, à Paris de clarifier son organigramme et ses surplus : Jesé, Krycho, Ben Arfa… Quid d’Aurier, de Marquinhos, de Thiago Silva qui est courtisé en Chine… Tout va dépendre du DS. On est en mai, il n’y a toujours personne. Le marché des DS n’est pas le plus large, faut se méfier… Jorge Mendes a perdu de l’influence ces derniers mois en Europe, on entend beaucoup qu’il essaie de pousser un de ses mecs. Henrique n’est pas un homme de Mendes, celui de l’Atletico peut être un peu plus. Du choix du DS dépend l’avenir du club.

Y-a-t-il des parallèles entre ce que vit Unai à Paris et ce qu’il a vécu à Moscou ? Des pays corporates, avec la barrière de la langue …

Il y a une différence fondamentale entre les deux, c’est la langue. Il parle mieux le français que le russe. Ensuite le Spartak, à l’époque, il fallait montrer patte blanche, Karpin lui a mis des bâtons dans les roues. Le problème aussi c’est qu’il y avait un quota de Russes à respecter, et qu’Unai fonctionne à la méritocratie, il s’en fout de ta nationalité. Sur le contexte médiatique, en France on est soft comparé à la Russie. Quand Karpin, en conférence de presse, annonce qu’Unai part, tous les journalistes se lèvent et l’applaudissent, c’est surréaliste.  Moscou lui a servi, il n’a pas refait les mêmes erreurs à Paris.

Penses tu qu’avec l’arrivée de ce type de coach, le retard en termes de management des coachs français se résorbe ?

Qui forme les entraîneurs français à la DTN ? Voilà… Ces coachs étrangers, ceux qui sont venus, ne peuvent qu’aider le championnat. On parle de pointures, pas de Tony Adams. Suffit de voir la progression de certains joueurs sous Bielsa… L’Argentin a amené des casse-têtes, ça t’oblige à réfléchir tactiquement pour le contrer. Pour moi, en Ligue 1, tu auras un avant et un après Bielsa. Il a ouvert une brèche, comme Wenger en avait ouvert une en Angleterre.

Après en France, tu as de bons coachs, de belles idées. Gourvennec c’est bien ce qu’il fait à Bordeaux. Mais quand tu vois qu’à la tête d’un club comme Lyon tu as un mec qui n’a pas réussi dans deux clubs de CFA… Ces échecs, c’était quand même un indice. Mais ça ne choque personne. J’ai regardé un peu Lyon, contre la Roma, c’est un miracle. A chaque fois, ils ont une individualité ou un coup de chance. C’est le premier club de l’Histoire qui arrive en demi finale de Coupe d’Europe et où 90% des fans veulent la tête du coach, qu’ils ne vont plus au stade par sa faute. Si t’écoutes la presse, Génésio ça va… Ils ont pas eu le toupet de le nommer aux Trophées UNFP mais… Ils ont un joueur comme Sergi Darder, qui a du ballon, on lui ruine sa confiance et à la place il met un joueur comme Ghezzal dont je n’ai même pas besoin d’en dire plus. Tant qu’on sera recroquevillé sur des certitudes fallacieuses, on n’avancera pas.

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Crédits photos : AFP PHOTO / FRANCK FIFE

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