[Ligue des champions] Noir non désiré

Au lendemain de la déconvenue de Manchester United face à Villarreal en finale de Ligue Europa, Marcus Rashford a pris la parole via son compte Twitter. L’ailier anglais a d’abord fait part de sa tristesse due à la défaite. Mais c’est sur un autre sujet que le prince du Royaume va faire parler. Une nouvelle fois, Rashford a reçu des messages de haine et des emojis de singe en messages privés de la part de supporters frustrés par la défaite de la vieille. Une action inqualifiable qui reflète le mal profond qui existe dans notre société et dans le football vis-à-vis des joueurs noirs, souvent pris pour cible.

Au lendemain de la finale de la Ligue des champions, un événement a eu lieu sur la pelouse. Pour la première fois de l’histoire de la coupe aux grandes oreilles, un gardien noir et africain a débuté la rencontre en tant que titulaire. Il s’agissait de l’international sénégalais de Chelsea, Edouard Mendy. Une première tardive qui contraste avec la forte présence de joueurs noirs sur le champ depuis des décennies, mais qui démontre les maux encore présent dans le football et les a priori sur les joueurs noirs.

Des visages des figures noires

Dans le football pré-arrêt Bosman, il était compliqué de voir énormément d’étrangers dans les effectifs. Les restrictions de l’époque faisaient que les clubs ne pouvaient aligner que trois joueurs nés hors-frontières. Dans un football très local, le pourcentage de voir un Africain dans une grande écurie est maigre. Bien que les premiers joueurs africains et noirs arrivent très rapidement en Europe, notamment avec le phénomène Larbi Benbarek qui signe à l’Olympique de Marseille en 1938.  Les gardiens africains sont eux complètements oubliés. Durant une demi-décennie, aucun gardien noir ne jouera au haut niveau en Europe. C’est finalement en 1982 que la donne va changer.

L’Espanyol Barcelone va être le premier club à offrir le poste de numéro 1 à un gardien noir. C’est Thomas N’Kono qui sera l’heureux élu. L’international camerounais surnage à l’échelle locale et continentale, remportant cinq titres de champion et deux Ligues des champions avec le Canon Yaoundé. A l’époque, l’Afrique était très peu prisée par les recruteurs et les clubs. Il fallait un évènement international pour se faire remarquer auprès des clubs européens. C’est finalement le Mondial 1982, en Espagne, qui va servir de vitrine pour le gardien camerounais. 

Auteur de trois matches de qualité face à l’Italie, le Pérou et la Pologne, N’Kono va permettre à tout un peuple d’espérer une qualification surprise dans une poule relevée. Le Cameroun sera éliminé à la différence de buts mais le futur gardien de l’Espanyol vient de marquer les esprits, notamment ceux d’un jeune italien, Gianluigi Buffon. La future légende de la Juventus est ébahie par les prouesses du gardien et va le prendre pour idole tout au long de sa carrière.

Le passage de Thomas N’Kono en Catalogne est un franc succès. L’international camerounais enchaine les performances et devient une référence pour toute une génération. Sa réussite en Europe va rassurer les clubs et permettre à d’autres gardiens évoluant en Afrique de faire le grand saut. Joseph-Antoine Bell, doublure de N’Kono en sélection, rejoint l’Olympique de Marseille en 1985. Bell arrive dans un club et une ville qui possède un lien très fort avec l’Afrique. Le portier de l’Union Douala va être le premier gardien noir africain en Ligue 1 et devenir un pionnier du championnat.

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La réussite des deux gardiens camerounais va apporter le capital confiance nécessaire à toute une génération et tout un continent qui rêve de jouer en Europe. Jacques Songo’o (Metz, La Corogne), Alain Gouaméné (OL), Alioum Boukar (Samsunspor) ou Carlos Kameni (Le Havre, Espanyol) vont rejoindre l’Europe en partie grâce à la réussite de leurs illustres prédécesseurs. L’arrêt Bosman va ouvrir une perspective plus grande pour les joueurs et gardiens africains mais certaines idées arrêtés vont ralentir l’expansion du gardien noir en Europe.

Des clichés vieux comme le monde

«Ce club a décidé de ne pas me recruter, car recruter un gardien noir était difficile par rapport à ses supporters.» En racontant cette anecdote, André Onana met en lumière un mal qui existe dans le football, voire dans la société. Aujourd’hui encore, il parait compliqué d’offrir à un poste à responsabilité à une personne noire. La position de gardien de but a toujours été cataloguée comme la plus difficile à assumer. Offrir une telle responsabilité amène des réflexions qui n’ont pas lieu d’être, comme si la couleur conditionnait le niveau de performance et la fiabilité d’un individu.

Des réflexions qui avaient déjà lieu en 1950 au Brésil avec l’épisode du Maracanaço. Alors que la Seleçao doit juste faire match nul face à l’Uruguay pour être championne du monde, elle va concéder un but casquette qui la prive d’une Coupe du monde qui lui tenait les bras. Pour les supporters de l’époque, le responsable de ce drame national est Moacir Barbosa Nascimento, gardien noir de Vasco de Gama. Accusé d’avoir pris un but largement évitable, il sera longtemps considéré comme le «Gardien Noir» qui a privé le Brésil d’un titre iconique à domicile. 

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Bien que le football soit un sport multiculturel, le peu de Noirs à des postes à responsabilités comme gardien de but ou entraîneur interpelle. «La responsabilité n’est pas donnée à tout le monde. J’ai souvent dit qu’un Africain, un Noir, n’est pas seulement fait pour exécuter.» Avec cette déclaration, Mbaye Lève met l’accent sur une idée arrêtée qui perdure depuis des décennies. L’entraîneur du Standard estime que les cartes ne sont pas redistribuées de manière équitable. Lui comme Sol Campbell, Clarence Seedorf ou Patrick Vieira soulignent le peu d’entraîneurs noirs sur les bancs.

Voir un joueur noir sur un terrain est devenu une habitude, voir un entraineur noir diriger une équipe semble plus compliqué. Comme dans notre société, l’égalité des chances selon la couleur et l’origine de chacun n’est pas la même. Bien que les mentalités semblent évoluer dans le bon sens depuis quelques années, il faudra encore beaucoup de temps avant de trouver un semblant de normalité dans le milieu. Derrière les opérations communications No To Racism ou Black Lives Matter, il existe des réalités et celle des gardiens et entraîneurs noirs en est la preuve. En attendant un changement dans le temps, le match entre Manchester City et Chelsea reste un moment historique pour toute une communauté et un continent. 

Pour l’anecdote, Edouard Mendy n’était pas le premier gardien de but africain à prendre part à une finale de Ligue des champions. En effet, l’ancien portier du Stade Rennais succède à Bruce Grobbelaar. Le Zimbabwéen a disputé une finale en 1984 sous la tunique des Reds de Liverpool. Connu pour avoir déstabilisé les tireurs de la Roma lors de la finale iconique du stade Olimpico, il permet à Liverpool de glaner sa quatrième Champions League et devient le premier joueur africain à la remporter.

Bien que Grobbelaar soit Zimbabwéen, il est issu d’une famille blanche. Ce dernier vit dans une société raciste et apprend à vivre avec durant toute son adolescence. Ironie du sort, le premier joueur africain vainqueur d’une Ligue des champions possédait une idée très arrêtée sur les Noirs. Un autre gardien est rentré dans le cercle fermé des gardiens africains qui ont été jusqu’en finale de Ligue des champions. Tony Silva, doublure de Flavio Roma à Monaco en 2004, prendra part à la finale de Gelsenkirchen face au FC Porto. Bien qu’il ne dispute pas la moindre minute durant ce match, le gardien sénégalais était bien sur la feuille de match.

Mais tout n’est pas si négatif dans le fond. L’histoire retiendra que l’actuel numéro un du Sénégal aura été le premier gardien noir et africain titulaire (et vainqueur) de la Ligue des champions. D’autant que la donne est en train de changer. Zack Steffen, actuel doublure d’Ederson à Manchester City, est devenu le premier afro-américain à prendre part à une finale de Coupe d’Europe. En parallèle, l’AC Milan vient d’offrir une opportunité à Mike Maignan de défendre la cage des Rossoneri pour 4 ans. L’histoire est en marche et sera écrite par Edouard Mendy, Maignan, Onana et Steffen.

Crédit photo : PA Images / Icon Sport

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»