La République tchèque, terre d’épopées (2/2)

Huit années après l’épopée de 1996, la République tchèque a mangé son pain noir. Mais en cet été 2004, ça sera plutôt acras de morue pour une équipe prête à retourner l’Euro portugais.

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Ornée de quelques diamants, la sélection tchèque a fière allure. De Čech à Baroš en passant par Nedvěd, l’effectif scintille. C’est pourtant une guerre de joailliers à laquelle la Tchéquie se livre. Composé de la Lettonie, de l’Allemagne et des Pays-Bas, le reste du groupe D de l’Euro 2004 couve lui aussi quelques bijoux.

La terre promise

Entre tauliers et jeunes pépites, cette sélection a de quoi proposer un joli tournoi. Parmi eux, Karel Poborský, Pavel Nedvěd et Vladimir Šmicer étaient déjà de la partie en 1996. À ceux-ci s’ajoutent les deux meilleurs buteurs de l’histoire de la sélection : le tout jeune Milan Baroš ainsi que Jan Koller, qui est arrivé en 1999. Les espoirs Tomáš Rosický et Petr Čech en profitent aussi pour briller à l’échelle continentale.

Par rapport à son aînée de l’Euro anglais, cette équipe est positionnellement bien plus stricte. En 4-1-3-2, l’équipe se divise entre les cinq offensifs et les autres qui se contentent de défendre. Si la défense est de fait plus stable, elle prend nettement moins de risques à la relance. Les centraux, Bolf et Ujfaluši, et le milieu défensif, Galásek, sont d’ailleurs totalement exclus des sorties de balle.

Composition tchèque durant l’Euro 2004. Via Wikipedia.

L’animation offensive tchèque est finalement entièrement garantie par les cinq attaquants. Koller sert beaucoup de point d’appui et est une cible sur jeu long. Baroš n’hésite pas à décrocher et les combinaisons entre Nedvěd – Rosický – Poborský créent souvent des débordements sur l’aile. Si ce dernier n’est plus aussi rapide, sa justesse technique fait encore de son couloir droit le côté privilégié des Tchèques.

Équipe à réaction

Durant ces matches de poule, l’équipe parait moins enivrante que celle de 96. Plus statique et moins volontaire, son jeu manque d’expressivité. Très vite, les attaquants sont livrés à eux-mêmes et dépendants de leurs propres exploits individuels.

Pour le premier match face à la Lettonie, la Tchéquie peine à prendre le match à son compte. Bien que qualitativement supérieure, elle n’accélère jamais vraiment. Les latéraux gèrent les sorties de balle et alternent jeu long sur Koller ou la recherche de Rosiscký en relai axial et Poborský sur l’aile. Tout cela reste assez poussif et ils n’attaquent que difficilement la surface adverse.

Face à cette apathie, l’équipe lettone ne laisse pas passer sa chance. Juste avant la mi-temps, elle lance une contre-attaque éclaire et marque sur sa seule vraie occasion. Le coach tchèque, Karel Brückner, change alors ses plans.

Heinz remplace Grygera et renforce l’attaque tandis que Poborský passe seul dans le couloir droit. Avec un joueur offensif supplémentaire, la République tchèque est plus entreprenante. Sur son côté, Karel Poborský continue de jouer très haut et attire les ballons. Entre débordements et centres lointains vers Koller, il est le dépositaire du jeu, profitant des relais intérieurs pour combiner.

C’est sur l’une de ses différences individuelles que les siens égalisent. Il élimine deux adversaires sur l’aile avant de centrer pour Baroš qui finit. Le manque de mouvement tchèque se compense par l’entrée d’un sixième offensif et une dépendance aux travaux de Poborský. Heinz pèse dans ce match et marque finalement le second but tchèque, en fin de rencontre.

Un scénario qui se répète

L’histoire se répète dès le second match face aux Pays-Bas. Très vite, Bouma et van Nistelrooy plantent et la Tchéquie est menée 2 à 0 après 20 minutes. Le match est rugueux, les deux équipes enchainant les fautes.

Étant donné l’incapacité des défenseurs tchèques à ressortir, Rosický est contraint de décrocher très bas. Pour éliminer la première vague de pression lancée par Edgar Davids et Clarence Seedorf, le jeune milieu revient presque à hauteur des centraux. Pavel Nedvěd prend alors sa place devant en rentrant à l’intérieur en numéro 10.

Un mouvement qui crée alors une asymétrie, dépeuplant le couloir gauche et accentuant encore la dépendance au côté de Poborský. Pas vraiment dans le coup, la Tchéquie caresse alors une fine lueur d’espoir. Sur une erreur de relance batave, Koller réduit l’écart et relance la machine. Très tôt, coach Brückner reproduit son coup du premier match. C’est cette fois Šmicer qui remplace dès la 25e Grygera et permet à Karel de prendre seul le couloir droit.

L’opération fonctionne à nouveau. Ses projections combinées à l’addition d’un joueur offensif compensent le statisme tchèque. Les combinaisons sur ce côté amènent beaucoup de débordements et derrière, Rosický est un vrai petit déverrouilleur d’espace pour avancer. Le tout s’accentue encore avec l’entrée de Heinz à la place de Galásek.

Grosses frappes et jolis buts

Mais ce match est aussi celui des artilleurs. D’un côté comme de l’autre, les lourdes frappes sont légions et les gardiens s’offrent quelques parades spectaculaires. Dans ce duel de puissance, c’est bien le duo Baroš – Koller qui a les plus gros bras. Déjà buteur en première mi-temps, le numéro 9 sert son coéquipier d’une parfaite remise de la poitrine. Celui-ci décoche et égalise pour la Tchéquie.

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Tractés par sa paire d’attaquant, ce sont bien les entrants qui finiront le travail. Après une frappe repoussée de Heinz, Poborský récupère et délivre un caviar à Šmicer. Une victoire 3-2 qui en envoie plein la vue et illustre la force de frappe de l’équipe. Le constat est pourtant plus nuancé. Il ressemble à celui du premier match : une équipe à réaction qui compte sur la justesse de ses offensifs et le poids des entrants. Une stratégie risquée mais qui peut faire mal lorsque tout s’enclenche.

Forte de ses deux victoires, l’équipe est assurée de finir première, quelle que soit l’issue du dernier match de groupe face à l’Allemagne. La Tchéquie se permet donc de largement faire tourner et propose une équipe bis. Mais son vieil ennemi de l’Euro 96 n’a pas perdu ses bonnes habitudes. Après une vingtaine de minutes Ballack ouvre la marque.

Le scénario se répète une nouvelle fois. Loin d’être impressionnante, la République tchèque s’en sort à bon compte et égalise par Heinz d’un coup-franc à la demi-heure. À nouveau, un entrant offre la victoire : Milan Baroš, à la 77e. L’équipe réalise des poules parfaites sur le plan comptable, mais à l’impression visuelle plus mitigée.

Victoire en trompe l’œil

Pour son quart de finale, la sélection tchèque affronte le Danemark. Très vite, l’équipe nordiste prend largement le jeu à son compte. Les Danois ont la possession et les situations. La République tchèque joue bas, a du mal à relancer et se trouve bien trop souvent à l’arrêt.

Plus observatrice que protagoniste, la défense qui est regroupée contient tout de même assez bien les centres adverses. Mais à la récupération, impossible pour eux d’avancer, bien que Rosický joue encore plus bas que de coutume.

Pourtant, la Tchéquie ne va pour une fois pas encaisser la première. Dès la rentrée des vestiaires, Poborský envoie un corner sur le crâne dégarni de Jan Koller qui conclut. Baroš double la mise sur une superbe attaque rapide. Après une combinaison côté droit, Poborský lance Milan Baroš dans le dos de la défense qui lobe ensuite le portier danois.

Le jeune attaquant clôt le score à 3-0, en marquant un doublé sur une récupération haute et un service de Nedvěd. Ce score flatteur masque l’apathie d’une Tchéquie qui pourrait faire plus. Très dangereuse sur ses quelques accélérations, cette manière de jouer en dessous de leurs moyens accentue la frustration.

Élimination à la sauce grecque

Après cette qualification, c’est un sacré morceau qui attend la République tchèque en demie. Déjà vainqueur des Bleus au tour précédent, la Grèce continue son périple fou. Par son style de jeu presque dogmatique, l’équipe d’Otto Rehhagel est sans concessions.

Tomáš Rosický frappe rapidement la barre en début de partie. Mais après cette première alerte, le match se complique pour les Tchèques. Toujours handicapés par leur manque de mouvement dans l’animation offensive, ils sont incapables de déséquilibrer les Grecs.

Qui plus est, le marquage adverse et très serré, ne laissant aucun espace aux attaquants. Dans l’axe, Baroš, Koller et Nedvěd ont systématiquement un joueur sur le dos. Ils sont par conséquent très difficiles à toucher et au vu de leur importance, c’est une terrible perte dans le jeu. Les choses ne s’arrangent pas pour le pauvre Pavel, qui se blesse avant la mi-temps.

Défendant au moins à sept, la Grèce ressemble à un bloc infranchissable. Faisant siège devant sa surface, elle envoie ses deux attaquants au casse-pipe à la récupération. Si Charisteas comme Vryzas ne furent pas vraiment dangereux, la Tchéquie n’a pas les armes collectives pour surmonter cet adversaire.

Face à un tel bloc, la solution purement individuelle perd beaucoup de son sens. Les hommes forts tchèques ne peuvent que s’écraser contre ce mur. Malgré quelques occasions en fin de match, l’issue de la partie se jouera en prolongation.

Lors de cet Euro, la règle du but en argent prévaut. Si une équipe marque en prolongation et mène toujours une fois la fin de la période, elle gagne. C’est-à-dire que mener à l’issue de la première période de prolongation suffit pour se qualifier. Et c’est exactement ce qui arrive aux Grecs. À la 105e minute, Traianos Dellas reprend un corner de la tête et crucifie la Tchéquie.

Pointe de regrets

Comme pendant l’Euro 1996, la sélection tchèque n’aura perdu que face au futur vainqueur du tournoi. Mais à l’inverse de cette précédente compétition, l’équipe fut bien moins enthousiasmante collectivement.

Si elle était pourtant intrinsèquement plus forte, elle s’est trop laissée porter par ses individualités. En particulier Baroš et Poborský, tous deux dans l’équipe type du tournoi. Le second cité réédite la performance après 96, tandis que le premier finit meilleur buteur avec cinq golazos.

En seulement trois championnats d’Europe, la Tchéquie aura donc atteint une fois la finale et une autre la demie. Ces beaux parcours laissent néanmoins une légère pointe d’amertume. Et si ? et si les Tchèques avaient gagné ? Cette génération dorée, pétrie de talent, a effleuré le sacre. Une fois éliminée par le but en or, l’autre par celui en argent, elle fut vaincue par certaines des règles les plus cruelles du foot.

Depuis, la République tchèque ne s’est extirpée d’une phase de groupe d’une grande compétition qu’à une reprise, en 2012. Gâchis ou épopées légendaires, à vous de voir le verre comme il vous plaît. À défaut d’être la génération titrée, elle restera à jamais celle des rois sans couronne.

Crédit photo : Icon Sport

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