Theodor Gebre Selassie, le premier joueur de couleur de la République tchèque

Après avoir été l’une des révélations de l’Euro 2012, Theodor Gebre Selassie a poursuivi son petit bonhomme de chemin. À l’issue d’une saison 2020-21 particulièrement compliquée, l’arrière droit tchèque n’a pu empêcher la descente du Werder de Brême… Mais l’essentiel est ailleurs ! «Theo» s’est fait un nom en Bundesliga, et a montré à son pays que oui, on peut être d’origine africaine et porter le maillot de la République tchèque.

Quand le 25 mai dernier Jaroslav Šilhavý, le sélectionneur tchèque, a dévoilé sa liste des 26 joueurs sélectionnés pour disputer l’Euro 2020, cela a dû rappeler quelques souvenirs à Theodor Gebre Selassie.

Même s’il savait pertinemment qu’il ne serait pas de la partie en raison de sa retraite internationale officialisée en mai 2019 ; une participation à l’Euro 2020 lui aurait permis de conclure en beauté son histoire avec la Reprezentace (le surnom de la sélection tchèque).

Un Euro 2012 réussi et une carrière accomplie

L’histoire retiendra que c’est précisément grâce à cette compétition continentale (en plus de sa participation à l’Euro 2016) que le vice-capitaine du SVW a pu montrer aux yeux du monde l’étendue de son talent. Un tremplin à sa carrière. Ceci s’est notamment traduit par un transfert en juillet 2012 chez les Werderaner, à 25 ans. Avant ça, le natif de Třebíč (on reviendra sur ses origines plus tard) a bourlingué dans des petits clubs tchèques. En septembre 2007, sa carrière entre dans une autre dimension avec sa signature dans l’un des clubs les plus populaires du pays : le Slavia Prague.

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Seulement une saison plus tard, il rejoint pour 500.000 € le Slovan Liberec. À l’issue de son Euro 2012 de toute beauté, il quitte ce club un titre de champion de République tchèque en poche. Sa prochaine destination ? Un monument du football allemand : le Werder Brême. C’est le début d’une belle histoire d’amour, comme en réserve si souvent le football.

Après plus de 9 années passées au SVW durant lesquelles il aura tout connu, Theo a entériné son envie de renouer avec sa terre natale. C’est un fait : il a profondément marqué le football tchèque de son empreinte. Et il est vrai que dès sa venue au monde, il y avait quelques signes avant-coureurs !

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Une philosophie de vie à la Gandhi

Fils d’une mère tchèque et d’un docteur éthiopien, Theodor Gebre Selassie est né le 24 décembre 1984 en Tchécoslovaquie. À cette époque, ce pays d’Europe de l’Est était sous régime communiste. Dès son plus jeune âge, Gebre Selassie a dû faire avec sa différence. Pas simple surtout au sein d’un pays où les vieux démons du racisme ressurgissent régulièrement, notamment en matière de football (l’affaire Kudela en est la parfaite illustration).

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C’est ce qu’il confiait au Guardian en 2012 : «C’est triste même. Je suis né en République tchèque, j’ai passé toute ma vie ici. Je n’ai été qu’une seule fois en Éthiopie, et je devais avoir 2 ans… Il y a un homme noir à la tête du pays le plus puissant du monde (Barack Obama à l’époque, ndlr), mais les gens continuent à parler de moi, le latéral droit de la sélection tchèque.»

Theodor Gebre Selassie

Theodor Gebre Selassie avec la République tchèque face à la Grèce de José Holebas à l’Euro 2012.

Tel un Gandhi des temps modernes, Gebre Selassie a appris à vivre avec le racisme. En plus de déborder ses adversaires par ses montées incisives, Theo zigzague parfaitement entre les insultes. Un exemple illustre admirablement la philosophie du bonhomme.

Nous sommes le 8 juin 2012. Pour son entrée en lice dans l’Euro, la sélection tchèque, emmenée à l’époque par Michal Bílek, affronte la Russie à Wrocław, en Pologne. Au cours de cette rencontre qui se conclura par une cuisante défaite 4-1 de la Reprezentace, le latéral droit a été confronté (une fois de plus) à la bêtise humaine. Alors qu’il se démène comme un beau diable sur le terrain, des chants racistes descendent des tribunes.

Quand un Gebre Selassie en cache un autre

Vous pensez que cela a déstabilisé cette légende vivante du Werder de Brême ? Bien au contraire ! Theodor Gebre Selassie met tout en œuvre pour ne pas alimenter la triste machine, en répondant par le silence aux bévues racistes.

Comme il le résume parfaitement, Theo cherche simplement à exercer sa profession de footballeur : «Je suis fier de mes origines, de ma couleur et de l’histoire de mes parents. Les laisser me déstabiliser ou me faire sortir de mon match à cause de ces insultes, c’est leur donner du crédit. Je tente toujours de rester plus fort que ça.»

En plus de ces difficultés rencontrées en raison de sa couleur de peau, Theo n’a pas non plus été franchement aidé par le poids de son nom de famille. Même s’il n’entretient aucun lien de parenté avec la légende vivante éthiopienne de la course à pied, Haile Gebrselassie, son patronyme est inévitablement synonyme de performances XXL.

Force est de constater que Theodor lui rend bien. Il est un marathonien à sa façon ! Du haut de ses 54 sélections et de ses 271 matches de Bundesliga, Gebre Selassie est inoxydable dans son couloir droit. De ce fait, le gamin de Třebíč (ville située dans la région de Vysočina) a réussi à se faire une place de choix dans le monde du ballon rond.

Et même s’il n’est pas parvenu à permettre à la République tchèque de remporter le premier titre majeur de son histoire, il a au moins eu le mérite de faire bouger un peu les choses dans son pays.

Ainsi, après avoir joué le rôle de précurseur sous le maillot de la sélection nationale tchèque de football, Gebre Selassie, qui est proche de raccrocher les crampons à 34 ans, a trouvé en sa sœur la personne idéale pour passer le flambeau. Chez les Gebre Selassie, on ne badine pas avec le culture physique.

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Portée par les performances footballistiques de son grand frère, Anna a réussi à faire parler d’elle dans le handball. Comme le veut la coutume avec les Gebre Selassie, la petite sœur de Theo a été la première joueuse d’origine africaine à porter le maillot de la sélection féminine tchèque.

À voir maintenant si des sportifs et des sportives de couleurs pourront suivre le sillage d’Anna et de Theo. Le but ? Montrer à la société tchèque qu’un pays tire avant tout sa richesse de la diversité de sa population. Sans Theodor Gebre Selassie, la Reprezentace a bien lancé son Euro 2020 face aux Écossais (2-0). La suite, c’est ce vendredi à 18h face à la plus relevée Croatie.

Crédit photo : PA Images / Icon Sport

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