Les ultras allemands face à Dietmar Hopp et à la DFB

Ce samedi 29 Février, la planète football s’est tournée vers Hoffenheim – Bayern Munich, pas parce que les bavarois l’ont emporté 6-0, mais parce que les joueurs se sont arrêtés de jouer afin de soutenir Dietmar Hopp. Ce qu’il s’est passé est vu comme un tournant. Les 22 acteurs ont pris la décision de soutenir le président du TSG Hoffenheim après que celui-ci ait été visé par des insultes venant des supporters et ultras bavarois présents à Sinsheim. Mais comment en sont-ils arrivés là ?

 

Hopp-enheim

 

Cette situation ne s’est pas produite sans raison, elle n’est pas arrivée du jour au lendemain. Non. Le TSG Hoffenheim et son président sont d’un côté visés parce qu’ils ne se plient pas aux normes du 50+1, comme le Red Bull Leizpig ou encore le Bayer Leverkusen, où un investisseur à l’avantage sur les supporters. Et évidemment, ça ne plait pas.

 

Depuis plusieurs années maintenant, le club et son président font face à des insultes et autres critiques. Dès 2007, Christian Heidel qui était encore directeur sportif de Mayence, avait critiqué la place d’Hoffenheim en Bundesliga. Et déjà, Dietmar Hopp avait répondu avec virulence en comparant cette critique à une discrimination raciste valant la même sanction.

 

En bref, la position de Dietmar Hopp face à toutes sortes de critiques est particulière sinon extrême. Aujourd’hui, ce qu’il demandait il y a plus de 10 ans s’est réalisé et la DFB a enfin pris une décision en sa faveur. Une DFB qui a d’ailleurs un partenariat privilégié avec la SAP, compagnie ayant fait la richesse de Dietmar Hopp. Et ce sont les supporters du Borussia Dortmund qui en payent le prix. Après des insultes, des banderoles avec le visage du président d’Hoffenheim marqué d’une cible, la Ligue a choisi la voie de la répression. Elle l’a fait en interdisant de déplacement à Sinsheim pour les deux prochaines saisons les supporters du BvB. La sanction a été annoncée mi-février et elle a mis le feu aux poudres.

 

La DFB : la véritable cible

 

La décision prise par la DFB et son nouveau président, Fritz Keller, en place depuis le 27 septembre 2019, marque un retour un arrière. En février 2017, la Südtribune du Westfalenstation avait reçu un match à huis-clos après des protestations visant le RB Leipzig. Et lors du match contre le VfL Wolfsbourg, l’immense tribune était vide. Cette décision avait alors été grandement critiquée et l’absurdité des sanctions collectives misent en lumière. La DFB avait alors promis de ne plus utiliser ces sanctions collectives simplement et purement arbitraires, qui ferment la porte à toutes sortes de dialogues.

 

Trois ans plus tard, la promesse a été brisée, et ça ne passe pas. Les tribunes ne l’acceptent pas. Et c’est ce qui a principalement voulu être montré par les bavarois ayant fait le déplacement jusqu’à Sinsheim avec cette banderole « La DFB a brisé sa promesse. Hopp reste un fils de p*** ». Et il est important de souligner que ce n’est pas un cas isolé.

 

 

Le weekend précédent, les ultras du Borussia Mönchengladbach sont montés au créneau. Ce weekend ce n’est pas seulement le match entre Hoffenheim et le Bayern Munich qui a été arrêté mais aussi Dortmund – Fribourg, Union Berlin – Wolfsbourg, Meppen – Duisbourg, Cologne – Schalke, Preussen – Hansa Rostock. Dans les tribunes de ces différents stades on pouvait lire sur les banderoles « 2017 : abolition des sanctions collectives et maintenant pour faire plaisir à Hopp, deux pas en arrière ont été fait. Va te faire foutre la DFB » (Union Berlin), « Briser votre promesse pour un fils de p***. Contre les sanctions collectives » (FC Cologne).

 

De partout, les mêmes mots sont revenus. De partout, dans chaque stade, les voix des supporters se sont élevées contre Hopp, mais surtout contre la DFB qui est bien la véritable source du problème. De partout, les supporters ont essayé de faire comprendre que leurs droits étaient touchés par cette decision. À côté de cela, il paraît essentiel de rappeler que cette insulte est monnaie courante dans les tribunes allemandes. À chaque match, Timo Werner est d’ailleurs insulté de la sorte, sans que rien ne soit fait. Dans un communiqué, les ultras du Bayern Munich ont justement souligné que si les matchs étaient arrêtés à chaque fois que le terme « h****sohn » était utilisé, il serait impossible de terminer un match.

 

Les mots émis envers le président d’Hoffenheim, aussi condamnables soient-ils, n’étant finalement qu’un moyen pour arriver à une fin. En refusant de dialoguer pour faire avancer la situation, la DFB a créé une situation qu’elle ne peut contrôler, sauf en continuant la répression qui ne ferai qu’envenimer une situation déjà tendue.

 

 

Dans ce contexte-là, les instances et les clubs se sont unis contre les supporters. Depuis samedi, la stigmatisation fait rage et le fossé se creuse. On considère ceux qui habitent les tribunes comme étant idiots. Le speaker de l’Union Berlin, Chirstian Arbeit,  représentant bien cela puisque, suite à la mise en place de la phase deux sur trois du protocole UEFA, il a demandé aux supporters « d’allumer leurs cerveaux ». Karl-Heinz Rummenigge a quant à lui évoqué un « jour noir pour le football » et a traité les ultras bavarois d’idiots et d’anarchistes. Thomas Müller et Jérôme Boateng ont aussi pris position en faveur du président d’Hoffenheim. En bref, du côté du club bavarois , tous ont pris parole contre les actions des supporters. Cela a-t-il un rapport avec le fait que la SAP ait un partenariat avec le club ? Peut-être. Pour les avocats de Dietmar Hopp, l’état doit être stricte et placer en garde à vue ceux qui profèrent les insultes. Réaction qui tombe dans l’absurde et l’extrême.

 

La seule réaction mesurée venant d’un club provient du Werder Bremen. Hubertus Hess-Grunewald, le président du club, s’est exprimé dans un communiqué afin de demander à ce que l’on privilégie le dialogue et le compromis au lieu d’avoir recours aux sanctions collectives. Il demande à ce que la DFB lutte avec le même acharnement contre le racisme et autres discriminations que contre les insultes dirigées vers les présidents des clubs. Il demande aussi à ce que l’on ne fasse pas une généralisation des ultras tout en condamnant les insultes. Finalement, il souhaite que le dialogue prime sur tout, sinon la situation ne va faire qu’empirer et le fossé se creuser encore davantage entre les supporters et les instances du football.

 

Double standard ?

 

Dans son communiqué, le président du Werder Bremen touche un point déterminant, aussi abordé par de nombreux supporters, journalistes et autres observateurs de la Bundesliga depuis samedi. Les clubs, les joueurs et la DFB se pressent au chevet du président d’Hoffenheim, mais quid du racisme ? De l’antisémitisme ? De l’homophobie ? Du fascisme ? Du sexisme ? Où était la fermeté quand, début Février, Jordan Torunaigha (Hertha Berlin) a subi des insultes racistes venant des supporters de Schalke 04 et a quitté le terrain les larmes aux yeux après avoir pris un second carton jaune suite à un geste de frustration ? Où était la fermeté quand un néo-nazi était célébré du côté du Chemnitz FC ? Où était la fermeté quand le président de Schalke 04, Clemens Tönnis, a été ouvertement raciste ?

En un week-end, on a le sentiment que les arbitres sont devenus excellents pour entendre tout ce qu’il se dit en tribunes. 

C’est aussi là que la situation avec Dietmar Hopp, devenu un symbole de lutte contre la DFB, laisse beaucoup de personnes perplexes. Car si l’on condamne avec fermeté des insultes envers ce dernier, pourquoi ne pas le faire avec le racisme ? Ce qu’il s’est passé avec le joueur du Hertha Berlin n’est pas moins problématique que les événements de ce weekend mais la façon dont cela a été traitée laisse penser que si. On a pas vu les joueurs demander aux supporters d’arrêter, on les a pas vu s’arrêter de jouer ? On a vu des posts Instagram et de belles paroles, comme suite à ce qu’il s’était passé avec Antonio Rüdiger ou Moussa Maréga ?

 

 

Du côté de Schalke 04, c’est d’ailleurs ce que l’on semble penser. Entre les supporters ayant insultés Jordan Torunarigha et les mots du président qui avait seulement été mis à pied pendant trois mois avant de revenir comme si de rien était, a publié un communiqué navrant. Ces derniers disent que si les supporters venaient à insulter Dietmar Hopp, le match serait stoppé et les joueurs rentreraient aux vestiaires car ce comportement n’est pas compatible avec le club et ses valeurs. Mais quid du racisme, alors ?

 

Les mots ont un poids mais depuis ce samedi, tout se mélange. On utilise des mots que l’on a pas utilisé ou entendu pour défendre le joueur de Berlin, par exemple. Alors oui, la virulence des ultras envers Dietmar Hopp n’est pas acceptable. Et les ultras sont loin d’être parfaits, mais leur engagement et leur présence sont nécessaires.  Par dessus tout, les promesses brisées de la DFB ne sont pas non plus acceptables . Elle qui fait si peu contre les discriminations, là où les supporters sont souvent actifs, ne peut se permettre d’agir ainsi. C’est d’autant plus vrai quand toutes autres formes de dérives semblent passer au second rang à partir du moment où l’on touche un homme blanc milliardaire. C’est tout du moins le sentiment qui règne après ce qu’il s’est passé. 

 

Le monde du football allemand a été bien plus rapide et efficace pour condamner les protestations des ultras dont la voix est nécessaire dans les tribunes, qu’envers tout autres types de dérives.  Cette voix est d’autant plus importante qu’elle représente une partie de la société, une culture et la mettre en danger de la sorte pourrait coûter cher. Faire taire les supporters ne changera rien, et ne fera rien avancer. Eux qui font partie intégrantes du fonctionnement du football allemand. C’est finalement leur droit de protester. Et d’un autre côté, ça devrait être une obligation de condamner toutes formes de dérives, et non de les hiérarchiser comme la DFB semble vouloir le faire.

Credit photo : PictureAlliance / Icon Sport

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Parle d'Allemagne et de Bundesliga, et c'est à peu près tout.