La République tchèque, terre d’épopées (1/2)

De tous les drapeaux bleus, blancs et rouges, celui de la Tchéquie n’est pas toujours le premier cité. Pourtant, au cœur de l’été 1996, c’est bien celui qui brille le plus. Retour sur l’Euro de la République tchèque en terres anglaises.

Rapide rappel historique pour commencer. En 1993 et suite à la scission de la Tchécoslovaquie, la Tchéquie voit le jour. Mais la sélection de football attendra encore quelques mois avant de pointer le bout de son nez. Déjà engagée dans les qualifications pour le Mondial 94, l’équipe tchécoslovaque entame son baroud d’honneur. Elle échoue finalement à sa quête et Tchéquie comme Slovaquie ne seront pas du voyage aux États-Unis.

La sélection tchèque plonge donc dans le grand bain et se qualifie d’entrée pour l’Euro 96. Pour sa première fois, elle rencontre quelques vieux loups de mer. Allemagne, Italie et Russie, tel est le lot de la République tchèque.

Cœur et courage

La sélection coachée par Dušan Uhrin évolue sur le papier en 3-5-2. Dans les faits, la formation est assez fluide et impose peu de rigueur positionnelle aux joueurs. Un élément dont elle tire parti avec un apport au milieu mais qui peut poser un soucis de déséquilibre à la perte.

Compo tchèque en ouverture du tournoi.

Dès le premier match face à la Mannschaft, les Tchèques se distinguent par un grand courage. D’abord, celui-ci se matérialise avec le ballon. Les trois centraux  ̶  Kadlec, Horňák et Suchopárek  ̶  n’ont aucun mal à prendre des risques à la relance. Crochets ou passes vers l’avant, ils sont à l’origine d’une démarche collective qui est d’aller le plus vite possible vers le but adverse.

De la même façon, à la perte, les hommes de l’entrejeu agissent très vite. Naturellement assez dense de par leur formation, le milieu sort très vite au contact. Radek Bejbl notamment est garant de cette agressivité, n’hésitant parfois pas à découper au passage l’adversaire.

Mais cette volonté de se jeter assez vite accentue aussi les problèmes défensifs tchèques. En face, l’Allemagne est plus organisée, structurée autour de l’excellent Matthias Sammer. Le libéro et futur ballon d’or 96 est impeccable à la couverture et libère les deux autres centraux à la relance. Les combinaisons germaniques sont aussi plus automatiques. Ils profiteront à deux reprises de l’espace sur le côté droit tchèque pour s’imposer 2 à 0.

Lors du second match face à l’Italie, les intentions de la République tchèque sont plus ou moins semblables. Seulement, contrairement aux Allemands, l’Italie d’Arrigo Sacchi est en difficulté. Le match a davantage de rythme ce qui sourit à la Tchéquie.

Les Italiens évoluent dans un 4-4-2 assez strict dans lequel les joueurs bougent peu. Si les latéraux montent, les deux milieux défensifs beaucoup moins, laissant de l’espace dans l’entrejeu. L’équipe est presque arrêtée et ce manque de mouvement implique un retard au duel. Les Tchèques, qui mettent beaucoup de cœur au milieu, en profitent clairement et créent des surnombres.

Le roi Poborský

Difficile d’évoquer ce match sans parler de Karel Poborský. Repositionné milieu droit, il fait de ce couloir le côté fort de son équipe. Dès la quatrième minute, il envoie un caviar vers Nedvěd qui ouvre le score. Le long de la ligne, il sert Pavel qui attaque la surface sur un appel extérieur-intérieur. Mais comme c’est trop facile autrement, il fait ça du gauche, son pied « faible ».

Outre ses qualités de passe, Karel est un excellent manieur de ballon. Appréciant jouer avec la semelle ou l’extérieur, il est habile pour combiner dans les petits espaces. Il est aussi rapide avec un gros moteur, enchaînant les débordements balle au pied. Cela ne l’empêche pas de participer sans la balle, puisque le Tchèque travaille aussi au milieu en mettant beaucoup de pression sur le porteur adverse.

Si l’Italie égalise par Chiesa à la 18e sur un contre illustrant à nouveau le déséquilibre tchèque, le match se joue vite. Appoloni prend un second jaune avant la demi-heure de jeu et laisse la Squadra azzura à 10. La Tchéquie attaque toujours fort et déclenche même quelques phases de pressing très haut.

C’est sur l’une d’elle que l’équipe récupère le ballon haut et marque suite à la projection de Bejbl. L’équipe met tranquillement le pied sur le ballon en seconde mi-temps et contrôle le jeu via ses techniciens, comme Patrik Berger (oui, en français ce nom ne transpire pas le flow) ou Karel Poborský. Hormis quelques tentatives de Maldini pour avancer balle au pied, l’Italie ne montre pas grand-chose.

Fin de poule contrastée

Avec trois points, la République tchèque a besoin d’un nul face à la Russie pour passer en quarts. La partie commence plutôt bien pour l’équipe d’Uhrin. Poborský continue sur sa lancée et fait beaucoup de différence individuelle sur son côté droit. Il gagne plusieurs coup-francs et le jeu penche sur son couloir.

Mais la Tchéquie développe aussi des schémas de relance peu vus lors des premier matches. Pavel Kuka est souvent utilisé en pivot sur des relances courtes au sol. Ses décochages sur quelques mètres sont maîtrisés et ses remises dans les temps. Bejbl est lui aussi sollicité sur la première relance et ses transmissions simples et propres. Les latéraux participent aussi plus, Radoslav Látal notamment souvent cherché à droite.

L’équipe domine la Russie et profite de ses manieurs de ballon à la récupération pour enchaîner rapidement. Leur domination technique pousse leurs adversaires à commettre de nombreuses fautes. À la mi-temps, la Tchéquie mène de deux buts grâce à Suchopárek et à Kuka. Le numéro 9 inscrit d’ailleurs une superbe tête sur une ouverture de Jiří Němec, rappelant celle de Robin van Persie en 2014.

Seulement, la donne est tout autre dans le second acte. Les Tchèques laissent de gros trous et encaissent rapidement suite à une erreur de marquage sur coup de pied arrêté. L’équipe se laisse endormir et est bien plus passive que de coutume.

Alors que la première mi-temps avait regroupé tout ce que la Tchéquie avait fait de bien durant les poules, leur friabilité défensive ressort désormais. À la 54e, la Russie est déjà revenue à deux partout. Malgré les tentatives des artilleurs Poborský et Berger, l’équipe manque de réussite et touche quatre montants dans le match. Un brin de chance qui n’échappe pas aux Russes qui prennent l’avantage sur une énorme frappe des trente mètres, de Beschastynkh.

Alors éliminée, la République tchèque frôle d’encaisser un quatrième but. Mais sur un ultime sursaut mental, elle égalise à la dernière minute et accède à la suite du tournoi. Un avertissement sans frais pour une équipe qui a failli se saborder seule. Un match à but mais surtout contrasté tant il aura souligné les qualités tchèques et ses défauts.

Un bloc moins perméable

Pour la suite de l’aventure, la République tchèque choisit d’être plus prudente. La formation d’Uhrin joue plus bas et verrouille donc davantage sa surface en laissant moins d’espaces. Pour ce quart face au Portugal, l’approche laisse songeur.

L’équipe lusitanienne comporte en son sein de bien nombreux techniciens. La Tchéquie peine énormément à contenir les montées adverses balle au pied. Les Portugais n’ont pas de mal à attaquer directement dans l’axe. D’une part, les milieux tchèques sortent moins qu’avant et les partenaires de Luis Figo jouent avec cinq offensifs et un seul milieu défensif.

Rui Costa notamment pose beaucoup de problèmes en dézonant à sa guise et progressant facilement balle au pied. Les Tchèques finissent la mi-temps en concédant quelques situations et sans montrer la moindre capacité à inquiéter son opposant. La densité adverse dans l’axe les poussent à ressortir par les ailes, où ils sont vite isolés.

Mais au retour des vestiaires, ils reviennent plus agressifs. L’équipe joue plus haut et le rythme s’accélère. Plus intense, elle remporte davantage de duels et ses sorties de balle sont plus tranchantes en passant par l’axe. Bejbel lui aussi se remarque plus. En un sens, il donne un peu la température tchèque. Qu’on le voit pour ses découpages en règle ou ses récupérations, cela signifie que l’équipe est agressive dans l’entrejeu.

Bijou made in Tchéquie

Si cette révolte tactique aide l’équipe, le talent individuel à son charme aussi. Peu avant l’heure de jeu, Karel Poborský profite d’un contre favorable pour se présenter aux vingt mètres. À cet instant, c’est le génie qui parle. Le joueur du Slavia Prague expédie une subtile louche à l’adresse suivante : les buts portugais. Le balle lobe le gardien avant de délicatement redescendre dans les filets.

Leur volonté de jouer haut s’estompe peu à peu et l’équipe finit en défendant, mais n’est plus inquiétée par le Portugal. Direction les demi-finales pour affronter l’équipe de France.

Face aux Bleus, la Tchéquie conserve son approche plus mesurée du début de match précédent. Le début de partie est plutôt haché. Les deux formations alternent les attaques placées en buttant sur la ligne défensive adverse. Les attaques rapides sont elles aussi tuées dans l’œuf, soit avec un entonnoir dans l’axe ou en enfermant sur les côtés.

Le match est plutôt ennuyant et la prudence tchèque et plus efficace que face aux Portugais. L’équipe française est bien moins déséquilibrante que ces derniers et a du mal à avancer face aux Tchèques. Mis à part quelques gestes individuels de Djorkaeff, la France se crée peu d’occasions. Direction les prolongations.

Si les Bleus attaquent désormais à cinq joueurs, la Républiques tchèque concède quelques situations mais ne craque pas. Elle tient alors jusqu’aux tirs au but et la place en finale se jouera sur cette séance. Après que les cinq premiers tireurs des deux équipes aient planté, le malheureux Reynald Pedros se rate. Miroslav Kadlec, le capitaine tchèque, ne se démonte pas et se présente face à Bernard Lama. Golazo. Il marque et qualifie les siens pour la dernière marche de leur premier Euro.

Beau perdant

Pas dépaysée, la République Tchèque retrouve l’Allemagne pour cette finale. Dès le début de partie, la petite nouvelle montre sa volonté de jouer. L’équipe utilise bien la balle et fait mal sur transition mais peu aussi jouer sur attaque placée. Poborský est omniprésent et la Tchéquie fait très bonne impression.

Par rapport à leur première opposition en poules, les Tchèques sont désormais beaucoup plus patients avec et sans ballons. Ils affichent davantage de maîtrise et ont nettement élevé leur niveau technique. Kuka excelle en appui/remise, Berger slalom entre les Allemands et les relanceurs jouent avec la semelle. Les deux formations se procurent des grosses occasions en première mi-temps, mais ne convertissent pas.

Après la pause, c’est sur coups de pieds arrêtés que les choses se décanteront. Sur une transition hyper rapide de Kuka et Poborský, Sammer fauche ce dernier. Patrik Berger, de sa frappe de mule, transforme du pied gauche et la Tchéquie mène 1-0. Ils continuent d’être fort dangereux sur transition mais les Allemands les stoppent au milieu, avec des fautes très calculées. Ils écopent de plusieurs cartons mais annihilent surtout les actions adverses.

Alors que la Nationalmannschaft peinait à être dangereuse, elle égalise par l’intermédiaire d’Oliver Bierhoff et s’offre une prolongation. Tragédie pour les uns, bénédiction pour d’autres, le même Bierhoff se mue en héros et plante le but en or qui sacre les siens. Clouée, la Tchéquie perd au terme de ce qui est peut-être son meilleur match de la compétition.

Promesses non tenues

Pour son tout premier Euro, la République tchèque glane la médaille d’argent et glisse quelques belles promesses. Individuelles d’abord, avec la découverte de talents comme Poborský, Nedvěd ou Berger. Mais aussi collectives, à l’image d’une équipe pleine de courage et ambitieuse. Le tout avec un collectif complémentaire, entre techniciens de haute volée et athlètes capables d’avaler les kilomètres.

Mention spéciale également pour la proposition capillaires de l’équipe. Entre mulets, coupes au bol, crinières de lion et calvities assumées, tout y est. La Tchéquie avait de quoi enchanter plus d’un supporter mais surtout plus d’un coiffeur.

Après cet été 96, moultes révélations quitteront le ligue tchèque pour rejoindre un championnat majeur. Bejbl rejoint l’Atlético de Madrid, Nedvěd la Lazio, Suchopárek Strasbourg, Šmicer le RC Lens, Poborský Manchester United… Chacun avec sa fortune diverse.

Si la montée en puissance de certains joueurs s’est essoufflée par la suite, c’est aussi le cas de la sélection dans son ensemble. L’équipe échoue à se qualifier pour la Coupe du monde 1998. Elle y parvient en 2000 à l’occasion de l’Euro, mais sera éliminée dès les poules. Les choses se corsent à nouveau en 2002 puisque cette fois-ci, les Belges éliminent la Tchéquie en barrages.

Après tels échecs, la naissante ambition tchèque ressemblait alors à une promesse sans lendemain. Un mot d’amour doux et touchant, qui fait du bien mais qu’on oublie avec le temps. Sauf que ce vif espoir n’était pas mort. Non, il vivait encore, porté par le talent d’une génération dorée. Rendez-vous dès demain pour une nouvelle épopée.

Crédit photo : IconSport

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