Ils étaient meurtris et exsangues, sans joueur et avec un entraîneur sur un lit d’hôpital, ne restant seuls qu’avec la compassion que leur offraient les différentes fédérations, qu’avec le soutien inusable de leurs plus fidèles supporters. Manchester United a dû se relever après ce crash d’avion pour que l’histoire de ce grand club ne s’arrête jamais, pour que la mémoire de ses héros continue de vivre. Souvenirs de la renaissance des Busby Babes dans les années 60.
Parce qu’il y a toujours un après, aussi difficile soit-il à aborder, les Mancuniens ont dû relever la tête, arrêter de regarder ces cicatrices encore saignantes et se remettre au boulot, ne serait-ce que pour saluer leurs coéquipiers, une dernière fois. Sur le terrain, on retrouve les Harry Gregg ou les Bobby Charlton, rescapés de cette catastrophe, mais planent encore les ombres de ceux qui ne sont plus là, de ceux qui, deux semaines auparavant, foulaient ces pelouses plus vertes que jamais et qui aujourd’hui ont troqué leur place contre l’absence. Sur le banc aussi, on remarque une absence troublante, celle de Matt Busby. Celui qui n’a pas raté un match depuis treize ans avec les Mancuniens n’est pas là. C’est son adjoint, Jimmy Murphy, qui siège à sa place. Matt Busby, lui, croupit toujours dans un lit d’hôpital où il se remet tant bien que mal de ses blessures, celles que Duncan Edwards n’a pas réussi à surmonter. Alors, en ce 19 février où les joueurs de Manchester United retrouvent les terrains et la compétition, l’émotion est forcément particulière. Old Trafford est comble et fait comme si de rien n’était. Les joueurs produisent du jeu et marquent des buts, les spectateurs crient et se prennent dans les bras. Ce 19 février était un jour comme un autre ou presque pour une ville blessée, une ville qui doit se relever pour ne pas, elle aussi, périr dans cet accident d’avion.
Les premiers mois ont été durs pour les Mancuniens. Sans repère, ils dégringolent au classement et perdent en Coupe d’Europe. Malgré tout, la clémence des autorités européennes leur accorde une nouvelle chance la saison suivante en Coupe des Clubs Champions. Mais la réalité est plus dure que les espoirs et Manchester United devient peu à peu un club moyen, se révoltant par certains exploits, mais n’étant plus capable de jouer les premiers rôles. Denis Viollet et Bobby Charlton deviennent les leaders de cette équipe et malgré toutes ces peines, leur ambition reste intacte et prend même du gallon lorsqu’en 1960, Matt Busby revient sur le banc du club du Nord de l’Angleterre. Lui non plus n’a pas perdu ses ambitions et toutes les blessures auxquelles il a survécu l’ont rendu plus fort et plus déterminé encore. Manchester retrouve le Matt Busby du début des années 50, celui qui avait des plans pour l’avenir, celui qui voulait faire de United le plus grand club d’Europe. Alors, pour assouvir ses souhaits, l’entraîneur mancunien lance les grandes opérations sur le mercato et recrute dès 1962 deux joueurs importants, piliers du nouveau Manchester : Pat Crerand et Denis Law. Le premier est un écossais au fort caractère, un milieu défensif dur sur l’homme, un homme de l’ombre très utile à son équipe. Le second a fait les beaux jours de Manchester City avant de s’exiler à Turin pour une saison. Il revient dans le Nord de l’Angleterre avec la prétention de marquer but sur but. Pourtant la saison 1962-1963 sera très compliquée pour les Red Devils qui finissent 19ème sur 22 en championnat et évitent de peu la relégation. Une seule consolation cette saison-là, la victoire en FA Cup d’un collectif sur la pente ascendante. L’année suivante sera vierge de titre mais marquera réellement le retour de Manchester United sur le haut de l’affiche. Premièrement, les Mancuniens commencent à rayonner par leur recrutement et notamment celui de cette nouvelle pépite venue d’Irlande du Nord, un certain George Best. Deuxièmement, le club connaît des résultats beaucoup plus flatteurs et termine la saison à la deuxième place du championnat, une année seulement après avoir échappé à la relégation de trois petits points. Enfin, le club brille par ses individualités et notamment par celle de Denis Law qui remporte en 1964 le Ballon d’Or, premier lauréat mancunien de ce prestigieux trophée. A la fin de l’année 1964, Manchester United a retrouvé sa superbe.
La suite de l’histoire peut se résumer à un trio : Law, Best, Charlton. Un trio qui a rendu sa gloire au peuple mancunien, un trio qui a ramené les rêves dans leur théâtre Old Trafford. La saison 1964-1965 est une réussite totale pour le club qui remporte le championnat d’Angleterre pour la première fois depuis 1957. L’année suivante est plus compliquée puisque le club finit 4ème en championnat mais la défaite en demi-finale de Coupe des Clubs Champions est encourageante et nourrit beaucoup d’espoirs dans le clan mancunien. Le trio d’enfer n’abandonne pas et 1966 est une année de consécration et d’hommage, une année qui rappelle au combien la vie est forte lorsqu’elle résiste à la mort. En 1966, Bobby Charlton propulse l’Angleterre sur le toit du monde après un Mondial parfaitement mené. Il est au sommet de son art et remporte logiquement le Ballon d’Or cette même année. Bobby Charlton, survivant du crash de 1958, est le meilleur joueur du monde, une image et un symbole forts qui renforcent encore un peu plus ce mythe. Et cette légende n’est pas près d’être terminée car Manchester United remporte le championnat d’Angleterre lors de la saison 1966-1967 se qualifiant alors pour la Coupe des Clubs Champions. Eux qui ont toujours perdu en demi-finale sont plus remontés que jamais et l’idée d’affronter le Real Madrid à ce stade de la compétition ne les effraie pas. Ils sont tellement motivés qu’ils l’emportent 1-0 au Santiago Bernabeu avant d’accrocher un spectaculaire 3-3 à Old Trafford, suffisant pour passer en finale. Et comme le hasard fait bien les choses, la finale à lieu à Wembley où toute l’Angleterre pourra soutenir ce club revenu de nulle part. L’adversaire du jour est le Benfica Lisbonne. Il faudra attendre les prolongations pour voir les deux équipes se départager et voir Manchester United devenir la meilleure équipe d’Europe. George Best remporte cette année-là, le Ballon d’Or.
Il aura fallu dix ans, dix petites années pour qu’une équipe décimée par un accident d’avion remonte la pente, pour qu’une équipe à qui on promettait le meilleur renaisse de ses cendres. Manchester United a soigné ses blessures pendant de longues années. Cet accident restera pour toujours l’événement le plus dramatique de l’histoire du club et aujourd’hui encore c’est l’héritage de cette génération que portent sur leur dos les joueurs de ce club. Il ne reste plus qu’à relever la tête et continuer de soutenir à tout jamais cette équipe pour rendre hommage à cette bande de gamins partie trop tôt, il y a 60 ans.