Ultimo Diez, requiem pour un 10

Ultimo Diez va tirer sa révérence. À cette occasion, l’ensemble de la rédaction est remontée dans ses tendres souvenirs et au cœur de sa passion pour vous écrire quelques mots sur le 10, le poste ou le numéro derrière le maillot, qui l’a marqué. Certains pensent à Messi ou Zidane, d’autres à Féret ou Halilovic. Chacun voit son propre football. Et c’est ce qui rend ces déclarations d’amour magnifiques.

Le numéro 10, par Smaïl Bouabdellah (@SmaBouabdellah) :

« Comment te dire Ultimo Diez ? Ou plutôt, que te dire ? Que te dire de plus que merci ?

En fait, tu n’es pas magazine, tu n’es pas un journal, tu n’es pas un compte d’actualité des RS. Tu es une madeleine de Proust, ou de Diego, de Yazid, de Dennis, de Pablo, de Juan Román…

Quand le football d’aujourd’hui a évolué, il a muté. Comme il l’a toujours fait. Fut un temps, on perdait le demi. Ensuite le libero. Finalement, aujourd’hui, on a perdu le 10. Ou alors, il se fait très rare.

Et comme on dit, tout ce qui est rare est précieux. Précieux pour la beauté, la valeur, mais surtout l’émotion.

Le 10 c’est le Romantisme. Une certaine idée du foot. Un artiste au sens propre du terme. Celui qui te fera une passe, une touche de balle qui te fera passer ce frisson qu’aucun autre n’est capable de te transmettre. Une semelle, une aile de pigeon, un râteau, une talonnade. Une belle passe. Celle qu’il est le seul à avoir vu sur le terrain. Celle qu’il est le seul à avoir vu au stade.

Désolé je diverge. Tu m’avais demandé quelques lignes, je vais t’écrire un bouquin. Mais je t’écris avec mon cœur, mes émotions et ma nostalgie d’un football plus lent, plus décomposé. Un football qu’on prenait le temps d’apprécier peut-être plus lentement, plus en profondeur.

Avec toi, le 10, il faut bannir la culture de l’instant. Prendre le temps d’aimer ton irrégularité, tes failles, des passages à vide. Mais pour combien d’inspirations géniales !

J’ai grandi avec toi. Je t’ai rêvé sur mon dos comme je te regardais dans ma chambre d’ado sur mes posters. J’ai aimé le foot en te regardant, en t’admirant. J’ai aimé le foot grâce à toi.

Aujourd’hui j’aime le foot. Même si tu n’es plus là dans le jeu, tu l’es toujours dans mes pensées et surtout dans mon cœur.

Ultimo Diez, tu vas me manquer. Pour ça. Tu as fait revivre ces émotions. Ceux d’un enfant, d’un ado. Alors encore merci. Grâce à toi, j’avais l’impression d’être éternel. Je ne le suis pas. Mais le 10 oui.

Smaïl »

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Ronaldinho, par Sébastien Ferreira (@sebferreira23) :

J’avais 5 ou 6 ans. Je regardais mon grand frère jouer à la Nintendo 64. Zelda Ocarina of Time. Le nom de son fichier de sauvegarde ? Ronnie. Les posters dans sa chambre ? Un peu de Pauleta, beaucoup de Ronnie. J’ai grandi avec ce sourire si sincère, cette envie de jouer, d’inventer. Ces dribbles si rapides pour un gaillard d’1m82, mais si puissants et intenses malgré leur finesse. Ronaldinho, c’était la liberté. De celle d’un Border Collie élevé à la campagne, tout excité d’aller chercher la balle à chaque fois qu’elle est lancée. L’enthousiasme, l’excitation. Comme Olivier Atton, le ballon était son ami. Ronnie, c’était l’esprit d’un enfant avec les pieds d’un adulte.

Oscar, par Arthur Picard (@_arthurp_) :

Je dois bien avouer que depuis ton départ en Chine, j’ai quelque peu, pour ne pas dire totalement, arrêté de suivre tes exploits. Toi qui débarques en Europe à 20 ans, avec la réputation du nouveau Kaka, tu n’as pas eu peur. Nouveau championnat, nouveau continent, trop facile. D’entrée, tu montres à tout le monde, et surtout à Andrea Pirlo, qui tu es vraiment. Un contrôle orienté qui fait le tour de l’Italien, une frappe enroulée en pivot qui termine dans la lucarne pour un de tes premiers matches de Ligue des champions. Par la suite, chacun de tes buts fait le tour du monde. Mais il n’y a pas que ça. Il y a un joyau derrière l’attaquant, un phénomène. Tout est juste. Ta conduite de balle écœure tes adversaires. Les attaquants se régalent de tes caviars, le public aussi. Je n’étais pas réellement fan de Chelsea, mais quel plaisir j’ai eu à te regarder durant ces quatre saisons et demie. Pour tout ce que tu as fait, Oscar, je ne t’oublierai pas.

Paulo Dybala, par Théo Cotrel (@Theo_CF21) :

N’importe quel tifoso de la Juve peut se targuer d’avoir vécu plein de moments inoubliables grâce à Paulo Dybala. Dès son arrivée en 2015, la Joya a tenu à vite marquer de son empreinte le club. En ce qui me concerne, je dirais même très vite. L’été 2015 a été synonyme de grands changements dans l’effectif de la Juve. Et pour moi, de traumatismes footballistiques. Andrea Pirlo parti à la retraite, je perdais donc mon 2e modèle dans ce sport après Alessandro Del Piero, et un peu de mon amour du foot. Cet été-là Dybala signe, avec déjà une petite réputation. Pour sa présentation, je suis vite séduit par le personnage. Pas d’artifices, droit dans ses bottes, respectueux, ambitieux, sans être lisse. Il y a les bases d’un vrai personnage. Au mois d’août se joue la Supercoupe contre la Lazio. Sous 40 degrés, sur ce qu’il reste d’une pelouse en Chine il me semble. Une vraie purge. Je me réveille un peu à la 60e minute, moment de la première apparition de Dybala en bianconero, en remplacement de Kingsley Coman. En 10 minutes, il touche 3 ballons. Juste de quoi faire comprendre qu’il faut s’y mettre à deux ou trois sur 2 mètres carrés pour essayer de le stopper et que même dans un marasme collectif pareil, tout s’anime autour de lui. Et juste après, sur une passe en retrait de Pogba, une mine sous la barre en première intention. «Je crois que je l’aime bien», ai-je dit à mon père. C’était bien plus que ça, mais il fallait attendre la suite.

Julien Féret, par Idriss Chaplain (@TheRight_ID) :

Évoquer des joueurs comme Neymar, c’est souvent dire que c’est pour ce genre de joueurs qu’on paye une place au stade. Moi, le 10 pour lequel j’ai payé ma place à d’Ornano plusieurs années de suite, il avait la dégaine de ton voisin, il marchait comme ton voisin et il ne devait pas courir bien plus vite que ton voisin. Mais il voyait ce que personne, pas même ses coéquipiers, ne pouvait voir. Il était de ces joueurs que l’on qualifie parfois d’anachroniques, lents d’apparence, mais qui distribuent les ballons comme des cadeaux. Un mec contre qui tu râlais pendant 85 minutes, mais qui te faisait quitter le stade avec des étoiles plein la tête. Un joueur des années 80 qui évoluait dans la Ligue 1 des années 2010. Malgré son style dégingandé, il avait un tel toucher, une telle vista que le public finissait toujours scotché par son sens de l’anticipation. Il fait partie de ces joueurs à la fois géniaux, à la fois normaux, qui faisaient vibrer les amateurs du foot d’en bas, les fans des clubs qui galèrent. Mon numéro 10, c’est Julien Féret, un artiste trop peu reconnu.

Zinédine Zidane, par Jeffrey Bevilacqua (@jeff_bvlcqua) :

Je n’étais pas le plus grand, très loin de là d’ailleurs. Je n’en menais pas large physiquement et je n’étais pas le plus rapide. Pourtant, sur un terrain, je me disais que je valais aussi bien que les autres si je savais utiliser mon pied droit, un peu le gauche au passage, et surtout mes yeux et mon cerveau. Si j’avais cette conviction, c’est bien parce qu’un numéro 10 de l’équipe de France à la calvitie grandissante m’a montré que, le plus important chez un footballeur, c’est de jouer avec sa tête. Les pieds suivront. Alors certes, mes capacités ne m’ont menées qu’à une finale perdue de coupe des Yvelines à 12-13 ans. Mais, d’un France-Slovénie en 2002 où je t’ai aperçu en vrai pour la première fois à ta douce mélodie chantée contre le Brésil en 2006, tu m’as donné l’amour pour ce merveilleux sport. Avec toute ta classe, ton élégance et ton humilité.

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Romain Pitau, par Julien Rieffel (@rlnouiaee) :

Beaucoup ne t’auraient pas prédit une grande carrière de footballeur, au regard de ta mine de fuyard corse. D’ailleurs, cela n’a pas vraiment été le cas. Lens, Créteil, Nice, Sochaux, Montpellier, on ne peut pas dire, pardon, que tu fus «un foudre de guerre». Tic de langage que j’emprunte ici à Angelo, mon ancien coach U15, qui eut la merveilleuse idée de positionner le bâton de ski que j’étais en numéro 10. Sa justification est élémentaire : «Tu sais contrôler et passer le ballon, c’est le principal.» Cette drôle d’histoire, tu l’as aussi vécue, Romain. Toi, milieu défensif pas très sexy de formation, t’es retrouvé pousser dans le précipice du 10, poste et numéro à la pression si forte, qu’on n’aimerait vraiment pas la boire. À la mi-temps du match de Ligue des champions opposant ton MHSC à Schalke 04, en 2013, Benjamin Stambouli te cède sa place. Bien que positionné numéro 6, tu décides pourtant d’enfiler ce costume si unique de l’Ultimo Diez. Contrôle, passe. Voilà les deux seules notes de ta partition. Ce soir-là, à l’aide des deux gestes techniques les plus simples du football, tu as montré comment ce sport et ce poste peuvent appartenir à la classe des grands. Surtout, tu nous as prouvé que le type chez qui l’on ne voit, comme cela, à première vue, pas un talent fou, peut se transformer en un véritable «foudre de guerre», un soir de Ligue des champions, lorsqu’il se décide à faire fonctionner sa tête avant tout le reste. Chapeau !

Younès Belhanda, par Valentin Corrihons (@val_chrs) :

«C’est dans les grands matches que l’on voit les grands joueurs» est l’un des poncifs du football les plus parlants lorsqu’il s’agit d’analyser la grandeur d’un footballeur. Pour les numéros 10, j’irai encore plus loin. «C’est les gestes d’exceptions qui font les Numéros 10.» Pour le premier match de son histoire en Ligue des champions, le MHSC accueille un grand d’Europe, Arsenal, dans une Mosson bouillante et pleine à craquer. Ce jour-là, Belhanda, enfant du club et grand artisan du titre, décide de rappeler à tout le monde de quelle race sont fait les 10, les vrais. Après un début de match de folie, le MHSC obtient un penalty. À domicile, Belhanda fait face à son destin. Et quelle meilleure manière d’écrire l’histoire qu’en arrêtant le temps ? Il s’élance, et réalise une panenka. À ce moment, seul un numéro 10 pouvait réaliser ça. Ce jour-là, assis à La Mosson, je savais que je n’oublierai jamais ce geste. Je savais qu’un de mes meilleurs souvenirs liés au foot m’avait été donné par un homme qui avait décidé de ne pas faire comme les autres, un joueur qui avait décidé d’honorer le numéro affiché sur son dos, un footballeur qui avait voulu rendre hommage au football. Merci à tous ces 10 d’exister, merci à U10 de leur rendre l’hommage qu’ils méritent.

Nabil Fékir, par Axel Daillet (@axel_daillet) :

Peut-être second attaquant davantage que meneur de jeu pur, tu es pourtant bien de ces poètes dont la prose balle au pied soulève les cœurs. En somme, un gaucher à la plume soyeuse mais aussi un timide aux idées sublimes. Ni noire ni blanche, ta carrière teintée de gris vire du romantisme au tragique lorsque ton plus beau pinceau se brise. Plus vraiment le même, on t’aime comme si tu n’avais pas changé. Ton nom ne s’effacera jamais : cinq lettres rouges frappées sur un drapeau blanc brandit au corps vaincu de ton pire ennemi. Dans ton jeu comme tes célébrations tu ne calculais pas, ne laissant place qu’à l’instinct de l’esthète.

Corentin Martins, par Corentin Vincent (@CorentinVncnt) :

Joueur majeur de l’AJ Auxerre des années 90, Corentin Martins représente parfaitement la France du milieu des années 90. Pas aussi forte que la génération Platini, pas encore la génération Zidane, mais Corentin est un esthète. Les joueurs qu’on appelle en 2021, «les 10 à l’ancienne», tête levée, fort techniquement et capable de marquer des buts, un leader sur le terrain et en dehors. Auteur du doublé Coupe-Championnat avec l’AJA en 96, il aura également participé à l’Euro cette même année (sans disputer une minute). Passé par La Corogne et un improbable duo avec Rivaldo qui terrorise la Liga, il revient dans l’Hexagone vivre de paisible jours à Strasbourg puis Bordeaux avant de finir à Clermont. Une carrière dans la France du «Ni-ni» qui sent plutôt bon les albums Panini. La vignette qu’on aime bien.

Alessandro Del Piero, par Thomas Noland De Piante (@noland_thomas) :

Un beau jour de l’été 1997, ma mère m’a offert un cadeau inestimable, qui a conditionné toute ma vie de supporter : un maillot de la Juve, acheté par hasard sur un petit marché en Italie. Le maillot était un de ces faux grossiers qu’on trouve de partout là-bas, mais du haut de mes 8 ans, il était tout ce qu’il y a de plus vrai. Me voici donc bianconero, et quand on supporte la Juve à la fin des années 90, on n’a d’yeux que pour Alessandro Del Piero. C’est simple, il Pinturicchio sait tout faire, et tout faire avec grâce. Il dribble, il distribue le jeu, il met des merveilles de coups francs, il invente des gestes et surtout, il marque. Beaucoup. Sous la tunique bianconera ou azzurra, il marque des dizaines et des dizaines de buts, dont certains aussi somptueux que décisifs. Sa frappe enroulée dans la lucarne d’un Jens Lehmann pétrifié, en demi-finale de la Coupe du monde 2006, est gravée à vie dans ma mémoire. Alors, pour tout ça et pour tout ce que tu as apporté au football, grazie Ale.

Alexandre Lacazette, par Matthias Beringer (@matthberinger) :

En 2017, après avoir traumatisé bien des défenses de Ligue 1, tu quittes notre ville, tes amis et ta famille, laissant au jeune supporter que j’étais de nombreux souvenirs impérissables : l’épopée européenne de 2017 et cette roquette dans la lucarne romaine, ton triplé dans le dernier derby de l’Histoire de Gerland et bien d’autres. À Arsenal, c’est les montagnes russes. Tantôt «Monsieur Ligue Europa», létal devant le but et propulsé capitaine, tantôt fantôme de l’Emirates, en cruel manque de confiance. Ce n’est pas la trajectoire que mon œil de fan voyait pour toi. Il te voyait sur le toit du monde… Et dire que le train bleu est parti sans toi. Tu as maintenant 30 ans et un nouveau challenge t’attend. S’il te plaît, prouve à tous que la trompette a encore de belles partitions à jouer.

Kakà, par Tristan Pubert (@tristant_pbt) :

Cheveux mi-longs, visage enfantin et sourire jusqu’aux oreilles, Kakà aura marqué l’histoire du ballon rond, et particulièrement celle de l’AC Milan. En six saisons passées en Lombardie (sans compter celle en 2013-14), le maestro brésilien a illuminé les pelouses italiennes et européennes de sa classe, en particulier celle de San Siro. Facile techniquement, percutant sur ses prises de balle, grosse vision de jeu et à l’aise aussi bien à la construction qu’à la finition, Ricardo Kakà mélangeait classe et efficacité. Numéro 22 floqué dans le dos, aux côtés des Pirlo, Seedorf, Gattuso, Nesta, Inzaghi, l’international brésilien n’a cessé d’enchaîner les saisons de très grande classe. Un chef d’orchestre qui transformait tout ce qu’il touchait en or. Preuve en est, il remportera le Ballon d’Or 2007. Mais ce sont surtout les trophées collectifs qui ont écrit sa légende : Kakà soulèvera le Scudetto en 2004 et surtout la Ligue des champions en 2007. Une compétition durant laquelle Kakà était au sommet de son art, comme en témoigne son célèbre but face à Manchester United en demi-finale, à Old Trafford. Seul petit couac, son départ pour le Real Madrid en 2009. Malgré tout, le célèbre numéro 22 reste l’une des références quand on parle d’Ultimo Diez. Kakà aura fait vivre aux tifosi milanais des moments formidables : Grazie per tutto Ricky !

Francesco Totti, par Simon Samama (@Simonlecitron) :

Pier Paolo Pasolini, un écrivain italien, disait : «Le meilleur buteur d’un championnat est toujours le meilleur poète de l’année.» C’est, à mon sens, ce à quoi l’on peut penser quand on parle de Francesco Totti. Un véritable poète passionné. Un amoureux de la langue du football. C’est ce que je qualifie de football romantique. L’homme d’un seul club qui n’a jamais quitté la ville qui l’a vu naître, grandir, gagner, perdre, rire, pleurer. Une fidélité mise à l’épreuve quand, au milieu des années 2000, la tentation était grande pour rejoindre le Real Madrid. Mais Francesco n’a jamais cédé. Il aura surtout brillé, entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000, mais il ne tirera sa révérence qu’en 2017, après 25 ans de loyauté infaillible. Même ses meilleurs ennemis, les tifosi de la Lazio, lui ont écrit une lettre d’adieu lors de son départ à la retraite. Seul Totti est digne de Rome, seule Rome est digne de Totti. Les numéro 10 sont des joueurs parmi les plus élégants qui soient. Francesco Totti était l’élégance italienne comme on la connaît. Autant finir comme nous avons commencé, sur des mots de Pasolini : «Quelle est la véritable victoire ? Celle qui fait battre les mains ou celle qui fait battre les cœurs.» Il Capitano incarnait donc la véritable victoire.

Pablo Aimar, par William Gazeau (@WilliamGazeau) :

Toutes les romances ne commencent pas par un coup d’éclat. Certaines se tissent lors de moments insaisissables. L’attraction s’agrippe à un regard, un geste, une attitude. Une petite flamme chancelante qui s’étouffe parfois sous le poids des attentes et des incertitudes. Une flamme qui s’allume, brille, puis s’éteint, puis s’embrase de nouveau avant de s’éclipser. Une flamme que l’on cherche à ranimer, que l’on aimerait éternelle, mais dont la fugacité fait pourtant toute la préciosité. Ainsi, le souvenir de Pablo Aimar occupe une place à part dans mon cœur de footeux. S’il a parfois pris feu, le meneur argentin n’a jamais été le plus constant. Encore moins le plus costaud ou même le plus bavard. Pablo Aimar, c’est ce frêle musicien que l’on croirait muet tant il sait s’effacer. C’est aussi celui au touché soyeux, aux arabesques inattendues, capable, lorsqu’il se sent bien, de prendre la lumière et d’irradier son monde. Pablo Aimar, c’est la vista, le coup de rein, la justesse de Messi tout en restant humain. La virtuosité sans prétention, si ce n’est celle de servir le beau et ceux qui s’en nourrissent.

Neeskens Kebano, par Kévin Kalombo (@KevKalombo) :

Formé au Paris Saint-Germain, c’est en Belgique puis en Angleterre que Kebano s’est épanoui au plus haut niveau. Né en région parisienne, ce sont les couleurs de la RD Congo qu’il a décidé de représenter au niveau international. La troisième place obtenue par la sélection congolaise lors de la CAN 2015 restera d’ailleurs un temps fort de sa carrière. Kebano a su débloquer la situation lors du match le plus important aux yeux des supporters. Un derby du Kongo (Kinshasa contre Brazzaville) en quart de finale de Coupe d’Afrique. Une affiche rêvée pour entrer dans l’Histoire du football congolais. Menés 0-2 à la 64e minute, les Léopards trouvent les ressources pour revenir à la marque en l’espace de dix minutes. Entré en jeu à 1-2, Kebano joue parfaitement un coup franc sur la tête de Kimwaki pour le but du 3-2. Il achèvera son festival dans les arrêts de jeu avec une deuxième passe décisive pour Dieumerci Mbokani. La RD Congo s’impose 4-2 face aux voisins du Congo Brazzaville. Match esili ! Sepela !

Lakhdar Belloumi, par Walid Passas (@Waleadeur) :

Je n’étais de ce monde à ton arrivée. Je n’étais guère à ton départ. Pourquoi toi, pourquoi pas un autre? C’est que, vois-tu, tout me parle en toi, à commencer par ceux qui me parlent de toi. Ces étoiles qui luisent en eux scintillent dans leurs yeux quand, de leurs rêves maudits, ils se rappellent tes percées dans les stades d’Algérie. Ce destin, aussi. Dans l’ombre d’un Rabah, tu aurais pourtant dû briller, plus fort encore, plus grand encore. Hélas, le destin est tragique et cette maudite soirée d’Egypte aura raison de tes rêves d’Italie, de tes rêves de titre. À jamais Lakhdar, tu étais grand, et à jamais, Belloumi, tu seras grand.

Lionel Messi, par Thibaud Convert (@_thiboo) :

Comment pouvoir poser des mots sur un génie ? Évidemment, on ne se sent pas légitime d’écrire, même quelques lignes, sur un numéro 10 déjà mythique, légendaire et immensément grand par le talent. Pourtant, il n’y a bien que lui qui nous a tous laissés éveiller jusqu’à 4h du matin le 11 juillet dernier, simplement pour le voir toucher un trophée avec son pays situé à des milliers de kilomètres du nôtre. Il n’y a que lui pour nous ébahir chaque week-end par un geste, un dribble, une passe que l’on pensait jusque-là irréalisable. Que lui pour simplement faire ce qu’il sait faire. Des buts, des titres, des records, Messi a tout ce qu’il faut pour briller simplement par le nom. Mais combien de joueurs peuvent-ils se vanter d’avoir rendu l’extraordinaire banal ? Dans ce domaine, comme le chantait Omar Da Fonseca un soir d’Équateur-Argentine : «C’est un garçon pas comme les autres.» Effectivement, Lionel Messi n’est pas de notre planète.

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Yoann Gourcuff, par Marius Veillerot (@mveillerot) :

D’une demi-volée, il déploya ses ailes. Un soir d’avril 2009, Gourcuff plante un doublé – et son club formateur dans le temps additionnel. Pour sa première au stade, aux côtés de son papy supporter rennais, un jeune Breton n’a d’yeux que pour ce Bordelais. Gourcuff est alors dans cet état de grâce qui offrira le titre aux Girondins. Un prime parsemé de combinaisons et d’enchaînements de velours. Mais Yoyo quittera son fidèle Chamakh pour Lyon et deux béquilles. S’ouvre alors le chapitre des renaissances éternelles. Celui de la chasse au papillon. Un papillon fragile dont on ne veut surtout pas briser les ailes au moment de saisir ses instants de classe. Malgré ses douleurs, Gourcuff sera resté ce meneur de jeu qui domine la gonfle avec sa semelle et ses feintes. Entre appels, fixations et caviars, Yoann insufflait la vie au jeu. Avant de faire mourir son ballon chéri d’une frappe chirurgicale. Son ultime but, il le marquera pour Rennes, à Bordeaux. Comme s’il ne s’épanouissait que dans son cocon. Finalement, le petit rennais n’aura jamais rattrapé ce papillon de 2009. Gourcuff s’est retiré à Dijon, le papy est parti, mais tout deux auront légué beaucoup au chasseur de lépidoptère : l’amour du collectif et du ballon.

Julien Faubert, par Maxime Masson (@MaxVendrell) :

Il y a ceux pour qui le numéro 10 est une évidence, pour qui c’est juste une question de temps. Et ceux pour qui revêtir un maillot à ce numéro relève plutôt du destin. Cannes, Bordeaux, plus tard le Real Madrid, le numéro 10 en équipe de France et un premier but en Bleu le joueur de sa première sélection… Julien Faubert est de ceux à qui le destin a offert de jolis souvenirs, cochant de nombreuses mêmes cases que l’idole de tout un peuple, Zinedine Zidane. Pourtant, aujourd’hui, Faubert reste connu de tous pour son transfert surprise à la Maison Blanche. Il en est presque devenu une boutade. C’est vite oublié le très bon milieu droit qu’il était. Révélé en Gironde, puis confirmé à West Ham malgré des blessures, le gamin du Havre ne se remettra jamais de ce transfert XXL qui l’emmènera à Bernabeu. Mais pour lui, l’important est ailleurs. Il fut international français, et buteur avec les Bleus pour son tout premier match. Le tout, auréolé du numéro 10 de ZZ, fraîchement retraité. Ces souvenirs-là valent bien quelques moqueries…

Alen Halilovic, par Anna Carreau (@annacarreau) :

Découvrir le football sur le tard, c’est s’émerveiller devant une soyeuse frappe enroulée pied gauche sur un terrain cabossé dans une vidéo Youtube à 300 vues. Puis ne plus jamais manquer aucun match du Dinamo Zagreb suivi sur des liens douteux dans une langue qui m’est totalement étrangère. Je me mets à suivre le Barça B quand tu décides de t’exporter en Catalogne, où tes dribbles, ton agilité dans les petits espaces et ton toucher de balle commencent à faire rêver d’autres que moi. On voit en toi le «Messi des Balkans». Toi le natif d’un pays que j’ai appris à aimer, tu continues ton bout de chemin avec tes prises de balle égoïstes et tes rares tirs à l’entrée de la surface qui suffisent à nous persuader de regarder des matches de D3 espagnole. À Gijon tu deviens Guajilovic et tu fais lever tout un Molinon qui n’attendait que de vibrer à travers tes éclairs de génie. Comme beaucoup de numéros 10 de talent, tu finis par t’égarer. Mais tu m’auras mise sur le chemin du football, alors pour ça, merci.

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Luka Modric, par Lucas Decroupet (@_lucas207_) :

Ah Lukita ! Ballon d’Or immérité pour certains, véritable génie des temps modernes pour d’autres. Une chose est sûre, le maestro du Real Madrid ne laisse personne indifférent. Sa technique, son toucher de balle et sa vision de jeu impressionne depuis toujours et continue de faire son effet aujourd’hui, pourtant déjà âgé de 35 ans. Quand on pense Modric, on pense extérieur du pied. Le Croate manie son soulier comme un véritable virtuose et est passé maître dans l’art de fouetter le ballon de l’extérieur. Il nous a d’ailleurs encore gratifié d’une de ses plus belles partitions lors de cet Euro 2020, inscrivant un des plus beaux buts du tournoi. Pièce maitresse de l’inarrêtable Real de Zidane, son apogée est atteinte en 2018 remportant sa troisième Ligue des champions consécutive avec les Merengue et hissant sa petite Croatie jusqu’en finale de Coupe du monde. Cette saison lui vaudra la remise du Ballon d’Or, cerise sur le gâteau de son immense carrière. Pour toujours et à jamais, le football te remercie Luka.

Benjamin Nivet, par Nicolas Raspe (@TorzizQuilombo) :

Le football a ceci d’unique que chaque numéro implique son propre rapport au ballon. Le 9 le frappe, le 6 le nettoie, le 7 le pousse pendant que le 1 le claque. Le numéro 10, quant à lui, communique à son ballon l’amour de toute une vie. Son simple toucher de balle suffit à rendre un 10 légendaire, cette façon qu’il a de le caresser pour mieux s’en séparer. Car il joue toujours pour autrui, fait briller ses coéquipiers autant qu’il enchante les supporters. Il donne bien plus qu’il ne reçoit. Il joue pour offrir. Un coup d’œil, une touche de balle, et le jeu s’illumine. Palmarès et sélections marquent l’histoire, mais la plus belle des récompenses restera à jamais de marquer les souvenirs d’une génération d’enfants. Le culte du 10 traverse les époques car il transcende les résultats. Ni victoire ni défaite, plus rien qu’un homme debout, son buste droit, son maillot ample, sa calvitie, son sourire, son regard, son silence. Idole de la télé, le 10 est encore plus beau lorsqu’il est ancré dans la vraie vie. «Mettez Messi en Ligue 2, vous verrez s’il est si fort.» Benjamin Nivet est venu. Aube et Calvados en frémissent encore.

Merci à Smaïl pour son texte plein de sincérité. Merci à tous les rédacteurs d’avoir partagé leur passion pour cet article et tous les autres. Merci à vous, les Diezistas, de nous avoir suivi durant toutes ces années. À demain, pour le bouquet final. 

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L'Equipe Ultimo Diez