Elles sont le sujet de débats, de contestations, de frustration. Parfois, elles font scandale et posent le doute quant à l’intégrité ou la compétence du journaliste responsable. Les notes des joueurs cristallisent l’attention des amateurs de football et accouchent d’avis tranchés. Focus sur cet exercice périlleux chez les médias.
Lundi matin. Le verdict s’apprête à tomber sur les réseaux sociaux. Qui de Morgan Sanson, Boubacar Kamara ou Florian Thauvin sera jugé sous-noté ou surnoté par les supporters marseillais ? Bien sûr, chaque club connaît son lot de débats hebdomadaires lorsqu’il s’agit des notes. Les Lyonnais, très critiques envers leur entraîneur, ne sont pas en reste. Ceux qui vivent le football (comprenez ici, fans et médias) n’existent pas uniquement à travers les réseaux sociaux. Mais ces derniers n’en restent pas moins de puissants outils de communication afin d’échanger sur cette passion. Et quel sujet enflamme davantage les twittos que les notes sur 10 des joueurs ?
« À chaque fois l’article le plus lu »
Il faut dire que donner une note paraît simplissime. «C’est l’exercice journalistique où chacun pourrait dire ‘Je peux le faire’», observe Mathieu Grégoire, qui attribue régulièrement des chiffres aux joueurs de l’OM pour L’Équipe. En effet, il ne s’agit pas d’un article qui demande un minimum de capacité d’écriture, ou d’un sujet tactique particulier qui réclame une grande finesse d’analyse. «Ça fait parler car tout le monde a sa petite idée, remarque Christophe Remise, suiveur du PSG pour le Figaro. Mais c’est ce qui fait le sel du truc.» Leur audience s’en ressent. C’est la raison pour laquelle, chez L’Équipe, les journalistes ont comme consigne d’envoyer leurs notes à la rédaction dès le coup de sifflet final, et ce quel que soit l’horaire de la rencontre afin de les publier sur le web. Plus fort : un onglet sur la page d’accueil permet d’accéder directement à l’intégralité des notes depuis la saison 1998-99 !
Quand, après plusieurs semaines de crise à l’OM et enfin une accalmie, tu t’en vas sur #OGCNOL pour noter les joueurs de l’#OL et Bruno Genesio, sous l’œil attentif des twittos lyonnais et de l’état-major de la Cegid pic.twitter.com/par0udfM4A
— Mathieu Grégoire (@Serguei) February 10, 2019
Au Figaro, «c’est quasiment tout le temps le papier le plus lu sur un match, révèle Christophe Remise. C’est vrai aussi bien en foot qu’en rugby ou en basket.» Il en va de même chez le premier quotidien sportif français, pour un site tel qu’Ultimo Diez ou encore du côté de Yahoo Sport. «J’étais partisan de faire évoluer les choses, mais on s’est rendu compte que les notes étaient encore demandées, avance David Aiello, qui note les joueurs du PSG depuis 3 ans. C’est à chaque fois l’article le plus lu.» Ainsi, la naissance d’un paradoxe : l’exercice le plus « facile » et qui demande le moins d’efforts devient celui qui engendre le maximum d’attente et de pression.
« Aux yeux de son coach, le joueur aura 9/10 »
Noter un joueur est difficile. D’abord en raison du gros impact du moindre point. D’un 5 pouvant se traduire par «moyen», on passe rapidement à un 6 qui implique un match plutôt satisfaisant. Mais aussi parce qu’il s’agit d’observer avec justesse onze joueurs à la fois. Avec différents facteurs à prendre en compte : la prestation de ses partenaires directs (si Cavani ne reçoit aucun bon ballon…), les gros faits de jeu (un défenseur brillant 89 minutes qui commet une erreur) ou encore les consignes du coach. «Par exemple, on peut trouver sur un match que Kevin Strootman est assez discret, explique Mathieu Grégoire. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est que Rudi Garcia lui a peut-être dit d’être au marquage individuel d’un joueur ou de couvrir telle zone. Il peut avoir une mission extrêmement précise qu’il remplit parfaitement, et aux yeux de son coach, il aura 9/10.» Établir les notes parfaites ? Impossible : «L’important, c’est d’être cohérent.»
Neuer (4) : Il a joué le match avec un lumbago après le crochet de Sadio Mané.
Les notes de Bayern/Liverpool sont disponibles! https://t.co/eDFOmKelQP pic.twitter.com/kLNFtfIcUs
— Ultimo Diez (@Ultimo_Diez) March 13, 2019
David Aiello, lui, regrette l’aspect instantané de l’exercice : «Ce que je n’aime pas trop, c’est que le papier doit être publié maximum une demi-heure après le coup de sifflet final. Donc t’écris dans l’urgence, et à partir de la 60e minute, tu ne vois plus le match parce que tu commences à écrire. C’est un peu chiant par rapport au rendu du match et c’est difficile de choper toutes les actions à ce moment-là. Tu n’as pas de recul.» Suiveur du Paris Saint-Germain, le journaliste de Yahoo Sport soulève un problème que les rédacteurs d’Ultimo Diez ont également remarqué : «Quand les Parisiens ont 75% de possession, tu n’as pas grand-chose à écrire sur les défenseurs…»
« Tu es plus agréablement surpris par Renaud Ripart que par Edinson Cavani »
À toutes ces complexités s’ajoute l’éternelle subjectivité. Bien que recherchée en permanence, l’objectivité absolue n’existe pas. Du moins, pas en sport. Cela interfère sur un thème récurrent : la réputation des joueurs. Avec pour exemple récent la victoire du PSG 3-0 après prolongations face à Villefranche (National) en Coupe de France. Le score lourd et difficilement acquis ne reflète pas les notes moyennes parues dans L’Équipe : 4,3 pour les Parisiens et 6,2 pour les Caladois. «Je n’ai pas compris qu’on s’extasie sur cela, estime Mathieu Grégoire. Évidemment qu’on note en fonction du contexte et qu’il y a beaucoup plus d’attente sur le PSG et les grosses équipes. Lors de Nîmes-Marseille (défaite de l’OM 3-1, ndlr), on avait un petit peu surnoté Nîmes parce qu’il y avait un côté exploit. Tu es plus agréablement surpris par Renaud Ripart que par Edinson Cavani.» Chez Yahoo Sport, David Aiello se souvient d’un sujet à débat lors de la défaite du PSG contre Manchester United (1-3) : «J’étais en plateau et c’est Ambre Godillon qui a noté les Parisiens. Elle a mis 7 à Verratti, mais pour moi et c’est totalement subjectif, tu ne peux pas mettre 7 à un joueur quand l’équipe perd 3-1, même s’il a été bon. Il y a pas mal de paramètres à prendre en compte.»
On s’insurge, on s’enflamme, on discute et on en oublie les principaux intéressés : les joueurs. S’intéressent-ils le moins du monde à leurs notes ? Interpellent-ils des journalistes à ce sujet ? Anecdote de David Aiello : «L’année dernière, j’ai beaucoup suivi Marseille lors de leur parcours européen. J’étais dans l’avion du retour de Salzbourg ou Leipzig, je ne sais plus. Je finissais les notes, et il y avait l’agent de Jordan Amavi qui était derrière moi. Il a compris que j’étais journaliste et a commencé à argumenter avec moi sur la note d’Amavi, à qui je n’avais pas mis une bonne note. Mais il l’a fait gentiment.» Des remontrances dans le milieu, «ça arrive assez rarement, tempère Mathieu Grégoire. Les joueurs sont assez matures sur les notes, ils ont du recul. Un joueur va plus mal le vivre s’il a l’impression d’être sous-noté sur plusieurs mois, qu’il a un sentiment d’injustice.» Certains ne sont d’ailleurs pas gênés d’en rire : «J’ai dit à Strootman qu’il était difficile à noter, ça l’a fait marrer. Il m’a dit qu’il s’en fichait un peu des notes.» Le Néerlandais représente une majorité, mais pas l’entièreté des footballeurs. «De manière générale, les joueurs te le font remonter par la comm’ du club», concède David Aiello.
« Le lecteur a son mot à dire »
Finalement, le seul danger des notes survient dans leur utilisation. Il convient de prendre en compte tout le contexte qui peut entourer un joueur, et ne pas se fier uniquement à sa note semaine après semaine. Si Mathieu Grégoire reconnaît assister «parfois à un peu d’hystérie» dans les critiques des internautes, il souligne la maturité globale du public. «Ils comprennent à peu près qu’il faut voir sur une certaine période. Boubacar Kamara a eu 3 contre Reims (le 2 février dernier, ndlr), mais il est évident que c’est un joueur en devenir, qui a le temps de progresser. Mais il ne faut peut-être pas non plus le mettre en équipe de France après son 7 contre Amiens (le 16 février, ndlr).» David Aiello apprécie lui aussi ce jeu avec les fans : «Il y a une vraie part d’interactivité. Sur ce type de papier, le lecteur a son mot à dire. Je ne dirais pas qu’il est aussi légitime que le nôtre parce que, quelque part, c’est notre métier, mais il est au moins aussi intéressant et parfois très pertinent. Des fois on nous laisse des commentaires très argumentés et qui font réfléchir.»
Les notes ne se suffiront jamais à elles-mêmes. Néanmoins, elles sont à englober au sein d’une triste réalité, éloignée de l’analyse juste et noble du football. Les notes attirent et provoquent une audience conséquente, pour la presse web ou papier. «Maintenant, tout le monde voit les matches ou au moins les buts sur les réseaux sociaux, constate David Aiello. Le papier résumé du match n’a plus d’intérêt, tout le monde peut en voir le résumé. Je pense que les gens ne lisent plus ces papiers.» L’audience des notes permettent ainsi aux médias de proposer d’autres contenus qui engendreront moins de vues, mais qui gagneront en pertinence, en profondeur ou en lyrisme. C’est avec une juste simplicité que Mathieu Grégoire résume : «La note, il faut la garder pour ce que c’est.»
Crédit photo : CHRISTOPHE SIMON / AFP