Il est parfois difficile de trouver les mots. Encore plus quand il s’agit de rendre un dernier hommage à quelqu’un qui en avait fait une de ses forces. Les mots. En ces temps difficiles, où le Monde entier compte et pleure ses disparus chaque jour, difficile d’utiliser les bons, les justes. Pape Diouf était de ceux pour qui l’exercice ne semblait jamais poser de problèmes.
Figure du football hexagonal des années 2000, Pape Diouf s’est éteint hier au Sénégal, à l’âge de 68 ans. Une vie qu’il aura mené à un rythme effréné, des PTT au toit de l’Olympique de Marseille, brisant une à une les portes qui freinaient son ascension.
Ce mardi soir, la nouvelle a fait l’effet d’une déflagration. L’annonce faite par la RTS a soufflé la soirée de milliers de personnes. Son peuple marseillais, évidemment, resté stoïque devant la brutalité de la bombe lâchée. Mais aussi l’ensemble du football français, l’ensemble des personnes ayant pu le côtoyer de près ou de loin. Le flot d’hommages qui suivit l’annonce fut à l’image de l’homme : colossal. Joueurs, entraineurs, clubs, présidents … Tous ont salué un bonhomme qui faisait l’unanimité.
Plus que des trophées, au-delà du personnage, c’est toute une philosophie que Diouf laisse derrière lui. Celle qui veut que les gentils peuvent gagner, que les outsiders ne sont pas condamnés à le rester, que le travail et la bienveillance peuvent casser des codes, repousser des limites.
« J’ai été le premier en tout. Premier journaliste africain responsable de rubrique sportive en Europe, premier agent de joueurs africains, premier manageur sportif d’un grand club européen. Avec tout ce que les joueurs africains ont apporté au foot ici, c’est bien le moins qu’on s’aperçoive de ce que nous pouvons aussi apporter en dehors du terrain. » P.Diouf, Le Monde (2005)
Débarqué en France au début des années 70, Pape Diouf a gravi l’échelle sociale avec classe, aisance, moustache et audace. Homme de lettres qui assurait lire beaucoup pour aiguiser sa plume, Diouf gardera cette finesse, ce verbe, tout au long de sa carrière. Une carrière qui prendra un tout autre tournant en 2005, lors de son investiture à la présidence de l’Olympique de Marseille.
S’il était déjà bien connu du milieu footballistique, sa nomination à la tête de l’OM marquera la transition entre sa carrière d’agent et celle de dirigeant, son passage de père d’une grande famille de joueurs à gardien de tout un peuple. Car c’est sans doute ici que réside une grande partie de sa legacy.
De prises de position en communication bien sentie, de coup de force médiatique en réussite sportive, Pape Diouf aura su faire ce que personne n’avait réussi depuis l’ère Tapie et ce que personne n’a réussi depuis : unir le peuple olympien.
Les minots envoyés au Parc en 2006 pour lutter contre une LFP (déjà) répressive auprès des supporters marseillais ? C’est Pape.
La guerre ouverte avec Franck Ribéry, coupable d’avoir exigé publiquement un transfert de l’OM à l’OL ? C’est Pape.
L’arrachage spectaculaire d’Hatem Ben Arfa en réponse à la « danse du ventre » de l’OL sur Ribéry ? C’est Pape.
La position ferme de défendre Santos Mirasierra, supporter accusé de heurts lors d’un déplacement à Madrid et l’affrètement d’un avion pour le rapatrier en France ? C’est Pape.
La personne en larmes devant le parcage olympien au Havre, déplacement qui aura coûté la vie à Imad et Lahcen, membres des MTP ? C’est Pape.
Les iconiques Marseille-La Corogne et Marseille-Lyon au Vélodrome ? C’est Pape.
Les choix Gerets puis Deschamps ? C’est Pape.
Autant de moments forts qui ont construit sa légende et qui font de lui un hall-of-famer assuré du club olympien.
« Tu as ma parole d’homme et d’honneur que si on me donnait une indemnité comme jamais l’OM n’a touché dans son histoire, tu ne partirais quand même pas. La deuxième chose, c’est que si tu ne veux pas jouer, libre à toi. Mais tu joueras en réserve. Si tu ne veux pas non plus, je ne te paierai pas. À toi de choisir ». P.Diouf à F. Ribéry
Un pour tous et tous pour un. Pape, le cinquième mousquetaire, avait su dompter un bouillant peuple, celui-là même qui l’avait accueilli en France un peu plus de trente ans plus tôt. S’il est parti de son trône sans trophée dans sa besace, Diouf aura conquis un butin plus précieux : le cœur et l’amour de ses supporters. De postier dans les rues de la cité phocéenne à légende du club pour lequel vibre toute la ville, il n’y avait pas qu’un pas. Il y avait de longues étapes et des missions, à chaque fois remplies avec brio et panache. Mais surtout, beaucoup d’amour.
L’amour. C’est ce qui revient le plus souvent lorsque ses proches parlent de lui. De Samir Nasri à Franck Ribéry en passant par Habib Beye ou André Ayew : il était le Père d’une grande famille, celle qu’il avait su construire au gré de ses rencontres sur et en dehors des terrains. Si les supporters de l’Olympique de Marseille sont évidemment affectés, nul doute que les presque trentenaires amoureux du championnat national ont aussi eu quelques trémolos dans la gorge. Car c’était aussi ça la force de Pape Diouf : avoir su gagner dans ses années OM le respect de tous, indépendamment de la notion de supportérisme. « On n’a pas le même maillot, mais on a le même chagrin » est la rengaine qu’on pourrait compter au gré des mots laissés par l’ensemble de la grande famille du football français depuis hier. Nul doute qu’ils afflueront encore dans les heures et les jours à venir.
Homme de combats, de convictions, véritable défenseur de l’Afrique et de ses richesses, Pape Diouf n’aura jamais fait dans la langue de bois dans un monde où règne pourtant l’omerta. C’est ce que ses amis appréciaient. Ses concurrents aussi. Modèle de réussite pour toute une génération, pour tout un continent, il aura ouvert la voie et décomplexés ses poulains, ceux-là même qui pleurent aujourd’hui sa disparation.
En 2013, dans son ouvrage « C’est bien plus qu’un jeu », Diouf disait : « Si je peux avoir laissé à mes enfants et à mes petits-enfants […] un certain type d’enseignement qui a pu leur servir positivement dans la vie, c’est l’essentiel. […] Je n’ai pas peur que l’on m’oublie. L’essentiel est que mes enfants et ma famille ne m’oublient pas. »
Personne ne vous oubliera, soyez-en certain. Au revoir Monsieur Diouf.
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