Que pouvait-on sincèrement espérer du trio Verratti, Insigne, Immobile sous les ordres de Zdeněk Zeman ? À l’été 2011, dans les tréfonds de la Serie B, probablement très peu de choses. Lorsqu’en mai 2012, Pescara s’adjuge le titre avec un record de 90 buts inscrits en une saison, c’est toute l’Europe qui lui fait les yeux doux.
Si le Calcio contemporain était une histoire d’amour, on l’associerait facilement à un mariage fusionnel entre une équipe : la Juventus et un titre, le Scudetto. Neuf ans de passion, des noces de faïence pour des certitudes immuables.
Si Pescara était à son tour une histoire d’amour, ce serait l’idylle d’un soir, un coup de foudre auquel personne n’a cru et qui, pour avoir existé, doit inexorablement disparaître. Mais quelle histoire ! L’inoubliable, celle qu’il fait bon remémorer quand les temps sont froids et durs. Période dont une traduction footballistique pourrait être : jouer le maintien après 10 journées de Serie B.
À Pescara, cela fait des années que l’on recherche et ressasse ce souffle d’insouciance. Le Delfino a fait l’ascenseur entre Serie A et B pendant cinq saisons (2012-2017) avant de stagner dans les limbes du deuxième échelon. Aujourd’hui 17ème à une petite unité de la zone rouge, le club des Abruzzes va devoir batailler pour assurer son maintien. Une forme de décadence précédant à la grandeur de cette saison 2011-12 qui attira, au petit Stadio Adriatico, les observateurs les plus chevronnés de la planète foot.
Zeman in the high castle
Si l’équipe de Pescara a autant marqué les esprits lors de cette saison de Serie B, c’est bien évidemment parce qu’elle a servi de rampe de lancement à plusieurs grands noms de la sélection italienne. Citons-les d’emblée : Marco Verratti, Lorenzo Insigne et Ciro Immobile.
Footballistiquement, c’est aussi pour un paradoxe : celui d’avoir donné l’impression d’avoir écrasé la concurrence avec 90 buts inscrits, soit 33 de plus que le second, le Torino, alors même que les deux formations finirent à égalité de points. Un paradoxe qui est associé à un nom, celui de Zdeněk Zeman.
Quand la deuxième décennie du XXIème siècle pointe le bout de son nez, le mister tchèque a déjà plus de 30 ans d’expériences et de fortunes diverses sur les bancs de touche européens. De Foggia aux deux clubs de Rome en passant par Naples et Fenerbahçe, cet adepte du 4-3-3 n’a pas fait le plein de trophées. En revanche, il a habitué au spectacle plusieurs générations de tifosi grâce à son jeu porté vers l’attaque. «Je hais les 1-0, je préfère marquer 1, 2, 3 buts pourvu que ce soit plus que l’adversaire», lance-t-il pour ses débuts sur le banc du Delfino. Le décor est planté.
C’est fidèle à sa réputation que le mister se lance à la conquête des Abruzzes. Il propose sa traditionnelle «préparation militaire» avec des journées d’entraînement marathon et des restrictions en terme de loisirs, d’alimentation et de fréquentations.
Sur le paperboard, le Tchèque œuvre autour de son fameux 4-3-3, un schéma dans lequel il donne traditionnellement un rôle prépondérant au 6. Alors lorsque Marco Verratti se présente avec sa palette technique supérieure à la moyenne, Zeman tombe sous le charme et le place immédiatement au centre de ses plans. L’international italien, pour sa deuxième saison en pro (19 ans), est lui aussi comblé.
«Zeman a révolutionné mon jeu, indique le principal intéressé dans une interview récente à RMC. J’avais l’habitude de revenir à la défense uniquement si quelqu’un était blessé. Désormais, j’ai compris ce que signifie le mot “confiance”. C’est grâce à lui que, pour moi, le football est devenu un travail et une responsabilité.»
Devant, l’ancien technicien de la Roma compose un trio létal avec Insigne prêté par Naples, Immobile prêté par la Juventus et Marco Sensovini, confirmé sur l’aile droite. En plus d’Insigne, Zeman prend, dans ses valises de Foggia, le milieu de terrain international ivoirien Moussa Koné et le défenseur Simone Romagnoli, deux joueurs qui deviennent rapidement incontournables.
Le début de saison est fidèle à la réputation zemanienne : Pescara marque beaucoup, mais encaisse trop, et la balance penche du mauvais côté. Les Biancazzurri sortent rapidement de la Coupe d’Italie, après une défaite peu honorable contre Trieste aux tirs au but. En championnat, après 7 journées, le Delfino totalise 4 victoires et 3 défaites, et flirte avec la zone de relégation.
Mais avec leur football complètement débridé, les partenaires de Verratti relèvent le cap. La formation adriatique prouve qu’elle peut aligner 6 victoires consécutives, même s’il faut concéder 3 buts dans une même partie. Zeman, droit dans ses bottes, poursuit avec sa doctrine. «On me critique, on me descend, moi je reçois les félicitations de Guardiola qui me dit qu’il regarde souvent mes matches», argue le Tchèque en conférence de presse après une victoire 5-3 contre l’Albinoleffe.
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À la mi-saison, le technicien catalan est d’ailleurs loin d’être le seul à avoir eu vent du combines offensives des Biancazzuri. Des agents, recruteurs et quelques directeurs sportifs se succèdent dans les gradins du Stadio Adriatico pour décortiquer la machine à but de Zeman.
Dans un championnat aussi physique que la Serie B, reconduire semaine après semaine un onze identique est un risque que peu d’entraîneurs sont prêts à prendre. Pas un problème en apparence pour Zeman, mais sur le terrain, le Delfino pâtit clairement d’une méforme physique avec 5 matches sans victoire au début du printemps.
Puis il y eut les drames. Lors de la 34ème journée, Pescara reçoit Livourne au Stadio Adriatico. Le match prend un tournant tragique lorsque Piermario Morosini, milieu de terrain adversaire, s’effondre à la demi-heure de jeu victime d’un arrêt cardiaque. Les 22 acteurs restent sous le choc à l’annonce du décès brutal du jeune joueur de 25 ans.
Pour les Delfini déjà endeuillés par la disparition du préparateur des gardiens Francesco Mancini quelques jours plus tôt, le ballon devient une préoccupation secondaire. Zeman disparaît quelques jours dans sa villa et les joueurs ont quartier libre.
Apitoiement et apothéose
Le cœur lourd, la jeune bande décide de conjurer le sort sur les terrains. «La tristesse, le choc, ne sont pas des motifs acceptables pour justifier un échec sportif. À Pescara, ils seront des motifs de revanche sur le destin», lance le capitaine Sansovini.
Un destin déjà partiellement écrit qui méritait d’être confirmé. Et sur les terrains, c’est l’explosion. Les Abruzzais concluent la saison avec 26 buts sur les 8 dernières rencontres et signent deux succès prestigieux contre la Sampdoria (1-3) et le Torino (2-0), synonymes de titre.
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Les jeunes pépites de Zeman exultent, alors qu’en coulisse les «gros» de Serie A se partagent déjà l’alléchant gâteau. Immobile, qui termine la saison à 27 buts, file au Genoa où il signe pour cinq ans. Lorenzo Insigne rentre à la maison pour disputer sa première saison professionnelle sous les couleurs de Naples. Quant à Marco Verratti, il figure dans la liste élargie de Prandelli pour disputer l’Euro 2012, de quoi augmenter encore un peu plus sa cote.
Pour le séduire, la Juventus met les bouchées doubles en faisant jouer la corde sensible de l’héritier de Pirlo, sans succès. C’est le PSG, mené par Leonardo et Ancelotti, qui parvient à séduire toutes les partis. «À la Juve on parlait du futur, au PSG du présent», synthétisera Verratti dans les colonnes roses de la Gazzetta dello Sport.
À Pescara en revanche, on ressasse encore ce passé. Celui d’une saison ponctuée d’un titre, d’un record de buts en Serie B, mais aussi celui d’une équipe où 3 promesses deviendront des références internationales à leur poste.
Dans une interview souvenir parue également dans la Gazzetta dello Sport, Zeman livrait sa fierté d’avoir couvé une nouvelle génération dorée pour la sélection italienne : «Ils m’ont rappelé les Totti, Di Biagio, Tommasi, Favalli, Nesta ou Fuser. Je les vois comme les petits frères d’une belle portée.»
Nul doute que ces trois-là défendront vaillamment les couleurs de la Nazionale à l’Euro cet été, en se rappelant aux bons souvenirs du Tchèque et de cette brillante saison sur la côte Adriatique.
Par Colomban Jaosidy
Crédit : Iconsport