Ce soir, la Real Sociedad fera face à son grand rival basque : l’Athletic Club. Un derby aux airs de fête pour le Pays basque, qui se jouera à huis-clos à Séville, 350 jours après sa date initiale. Bien plus qu’une finale de Coupe du Roi, c’est l’avènement de toute une région et d’un modèle de football en perdition.
Pour la première fois de leur histoire, les deux clubs se rencontreront en finale de la Coupe du Roi. Une rencontre qui devait avoir lieu le 18 avril 2020, reportée la faute à la pandémie de Covid-19. Les deux clubs basques avaient, à l’époque, choisi de reporter la finale jusqu’à ce qu’elle puisse être jouée avec du public, oubliant au passage le ticket européen offert au vainqueur de la Coupe. Message d’amour à leurs supporters d’abord, message d’espoir pour tout un peuple basque ensuite, cette finale se jouera finalement ce samedi 3 avril 2021, toujours sans spectateurs et à deux semaines de… la finale de l’édition 2020-21. Contraints par la Fédé.
Le match d’un peuple
«Ça aurait été une immense fête, se désole Rafael Alkorta, le directeur sportif de l’Athletic. Ça sera difficile et étrange.» Même son de cloche chez son confrère à la Real Sociedad, Roberto Olabe, dans des propos rapportés par le Guardian : «C’est le derby le plus important de tous les temps, le moment le plus significatif dans l’histoire du football basque.» Les deux clubs s’étaient pourtant mis d’accord dès le premier jour : la finale se jouera forcément avec leur public. La décision historique qu’ils ont pris il y a quasiment un an est aussi belle que représentative d’un état d’esprit basque qui transcende l’opposition des deux clubs : c’est le match d’un pays, qui doit se jouer avec son peuple.
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Un acte de résistance dans un football moderne qui se satisfait de pouvoir continuer à jouer chaque compétition avec des bandes sonores en guise d’aficionados. «C’est un exploit», commente Roberto Olabe. Le pari était risqué, et finalement raté, mais le message passé laisse admiratif. «La fidélité est au cœur de notre philosophie, une équipe forgée à partir de notre environnement, explique Rafael Alkorta. Nous partageons beaucoup de choses avec nos voisins.»
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«Nous aurions pu jouer à l’époque, précise Olabe, mais cela n’aurait pas été juste ; ne pas jouer était logique.» L’accord passé entre les deux clubs est brisé par la Fédération espagnole, gestionnaire de la Coupe du Roi, obligée de faire jouer l’édition 2019-20 avant celle prévue le 17 avril entre l’Athletic et le Barça, finale de cette saison. Autre côté décidément historique : les joueurs de Bilbao joueront deux finales de Coupe à deux semaines d’intervalle, toujours sans supporters. «Nous avons attendu pour être avec eux, maintenant nous devons le faire pour eux, trouver un moyen de les faire participer, se rassure le directeur sportif de la Real Sociedad. Nous voulons gagner pour de nombreuses raisons, mais essentiellement pour eux.»
Les supporters le leur ont bien rendu. San Sebastian s’est paré de bleu-et-blanc, et Bilbao de rouge-et-blanc. Avec à chaque balcon le drapeau de son club, selon la ville où on habite. Et les aficionados ne se sont pas contentés de ça. Puisqu’ils étaient privés de déplacement, restrictions sanitaires obligent, ils sont venus chanter à pleins poumons au départ des joueurs pour l’aéroport. Les deux camps avec autant de vigueur et de passion. Des scènes de liesses populaires, qui sèment la polémique de l’autre côté des Pyrénées, mais qui ont forcément galvanisé les joueurs à 48h de la rencontre.
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Les Basques n’ont pas moins à prouver sur le terrain, même en l’absence des leurs. Il s’agira de représenter fièrement l’Euskal Herria (le Pays basque en basque). La région ne pèse pas bien lourd ni en superficie ni en population, mais le Pays basque (historique, avec la Navarre) a sur ses terres 25% des clubs de Liga (Alavés, Eibar et Osasuna en plus). Et tous les clubs de cette finale.
En 350 jours, les effectifs des Leones et des Txuri-Urdin ont évolué. Des joueurs qui ont permis aux clubs d’arriver jusqu’en finale jouent désormais sous une autre tunique. La Real Sociedad a perdu Martin Odegaard, remplacé depuis par David Silva, Willian José et Diego Llorente partis en Angleterre. L’Athletic Club devra faire sans son mythique buteur Aritz Aduriz, en retraite, mais qui sera présent en tribunes pour soutenir les siens. Entre temps les Leones ont même changé d’entraîneur. Gaizka Garitano, licencié début janvier, a laissé sa place à Marcelino, dernier coach vainqueur de la Copa del Rey avec Valencia en 2018-19.
Une rencontre mythique pour deux clubs historiques
Les derbies entre la Real Sociedad et l’Athletic Club ont toujours été marqué par une réelle fraternité, avec la volonté de faire resplendir tout le Pays basque. Bien sûr, un derby ça se gagne. Mais au sein des tribunes, Txuri-Urdin et Leones se mélangent, chantent ensemble Hegoak (un poème basque) et trinquent à la même table en sortant. Si c’est la première fois que les deux clubs se rencontrent en finale de Coupe, cela fait 92 ans qu’ils se croisent sur les pelouses espagnoles. Tous deux fondés par des travailleurs anglais, ils s’affrontent pour la première fois en 1929, dans ce qui est la toute première journée de Liga de l’histoire.
Depuis, l’Athletic Club n’a jamais été relégué, au même titre que le Real Madrid et le FC Barcelone. Toujours dans la cour des grands, c’est le troisième club le plus titré d’Espagne, derrière les deux mastodontes. Le palmarès de la Real Sociedad est bien moins fourni, mais ils sont les derniers des deux adversaires à avoir remporté la Copa del Rey en 1987 (1984 pour l’Athletic).
Pourtant les deux clubs eurent leur ère dans le football espagnol. En décembre 1976 d’abord, lorsque les capitaines des deux clubs entrent sur la pelouse avec le drapeau basque avant un derby. Drapeau pourtant interdit sous la dictature franquiste, dont l’exhibition est passible de prison. Un mois après le drapeau est autorisé, sans aucun doute grâce à leur action. Puis en 1981 et 1982, la Real Sociedad remporte la Liga. Les deux saisons suivantes seront remportées par l’Athletic Club.
Un derbi cargado de emoción y simbolismo.
Uno de los derbis más recordados de la historia.
El derbi de la ikurriña.#IQONIQMoments #HistoriaRS #AurreraReala pic.twitter.com/wjQdrPxBjz— Real Sociedad Fútbol (@RealSociedad) December 5, 2020
Les deux clubs n’ont remporté aucun trophée majeur depuis leur dernier triomphe en Copa, laissant place à 34 ans de disette. L’Athletic Club a malgré tout remporté deux Supercoupe d’Espagne en 2015 et 2021, et on se souvient encore des images de Villalibre célébrer avec sa trompette.
La Real Sociedad et l’Athletic Bilbao, qui représentent une autre vision du football que celle prônée par l’immense majorité, ont donc quelques difficultés à être directement compétitifs face à un système mondialisé. Pourtant, le gagnant de la Copa del Rey ce soir mettra fin à ces années sans trophée, et portera haut et fort la voix du football basque. Et celui du football de formation locale.
Formation et cuadrilla
La Real Sociedad et l’Athletic Club ont une idée commune : développer le football basque. Et cela passe par deux axes : former des jeunes dans leurs académies et recruter des joueurs locaux. C’est pas moins de 33 canteranos (des joueurs formés au club) qui trouvent leur place au sein des deux effectifs. 16 dans les rangs de la Real Sociedad : Zubeldia, Elustondo, Aihen Muñoz, Le Normand, Zaldua, Guevara, Barrenetxea, Gorosabel, Guridi, Roberto López, Illarramendi, Merquelanz, Zubimendi, Sangalli, Oyarzabal et Bautista. 17 parmi les Leones : Unai Simón, Herrerín, Núñez, Capa, Yeray, Lekue, Yuri, Nolaskoain, Unai López, Sancet, Zarraga, Vencedor, Morcillo, Muniain, Williams, Iñigo Vicente et Villalibre.
Une politique de formation directement liée avec la volonté de n’être rattaché qu’au Pays basque. À l’Athletic Club, tous les joueurs qui ont joué en Liga cette saison sont basques ou navarins. Une obligation pour pouvoir porter le maillot Leones. Et cela dure depuis la création du club. La formation est donc la seule solution pour que Bilbao reste compétitif, comme l’explique Alkorta à Sports Illustrated : «Nous ne pouvons pas sortir et recruter les meilleurs joueurs du monde. Nous devons créer nos propres superstars.»
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À la Real Sociedad, cette politique est moins marquée. D’abord obligatoire entre 1960 et 1980, les Txuri-Urdin finissent par renoncer faute de résultats et autorisent les recrutements de joueurs étrangers. Avec toujours l’ambition de former un maximum de joueurs. Ainsi sur les 28 joueurs ayant joué cette saison pour l’équipe de San Sebastian, 19 étaient basques ou navarins.
Les deux académies de l’Athletic Club (Lezama) et de la Real Sociedad (Zubieta) sont des références de la formation, et abritent bien plus que de simples terrains mais sont surtout les garantes d’une identité. Les deux clubs ne jouent pas le même football, mais partagent les mêmes valeurs. Des valeurs que les joueurs cultivent ensuite sur le terrain.
Les joueurs qui arrivent en équipe première connaissent souvent leurs coéquipiers depuis des années, ayant grandi avec la même mentalité basque et dans le même centre de formation ensuite. Une certaine garantie de la préservation du jeu mais aussi des valeurs locales. Et de la bonne entente ensuite sur le carré vert.
There’s a lot of things that make Saturday’s Copa del Rey final special… one of them is the amount of players that will be on that pitch representing the club they’ve supported since they were kids pic.twitter.com/J3jQ0y028F
— Alexandra Jonson (@AlexandraJonson) April 1, 2021
«Tu te bats avec des amis avec lesquels tu as grandi», confie Iñaki Williams. Un état d’esprit de «cuadrilla», une bande de potes inséparables, qui rend plus facile le travail de l’entraîneur ensuite. Marcelino le souligne d’ailleurs lui-même lors d’une conférence de presse : «Cela rend le travail d’un coach plus facile. Ils sont une cuadrilla. Parfois, un entraîneur doit construire une cohésion mais elle est déjà là, un profond sentiment d’appartenance. La politique s’est avérée plausible et c’est fantastique d’avoir des principes.»
À l’Athletic Club, la notion de bande a même pris une autre dimension. Asier Villalibre, qui avait sorti sa trompette pour fêter la Supercoupe d’Espagne, et 5 autres de ses coéquipiers (de Marcos, Balenziaga, Lekue, Vesga et Dani Garcia) forment ensemble le groupe Orsai. Un groupe de rock qui naît en 2018-19 lors de la pré-saison et qui sort 3 ans après son premier titre au moment de la victoire, nommé évidemment One Club Men. Une chanson en basque, qui parle de sentiment d’appartenance et de fraternité.
Ce samedi, ce sont donc des joueurs supporters de leur club depuis tout petit que l’on verra s’affronter. Qui ont grandi avec l’idée de jouer un jour sous le maillot Txuri-urdin ou Leones, avec les valeurs et les couleurs d’un club. Et qui vivront leur rêve tous ensemble de jouer un derby en finale de Coupe du Roi, avec leurs amis de toujours, leur cuadrilla.
S’il y a bien un match à regarder ce samedi soir, ça sera cette finale historique de Coupe du Roi. Même si l’hymne basque ne devrait pas résonner dans l’enceinte andalouse, même si le peuple basque restera cantonné à ses rues et ses balcons, la magie d’un derby représentant toute une région en finale de coupe nationale est suffisante pour allumer la Chaine l’Équipe à 21h30.