Le pays de Galles, devenu terre de football sur le tard, profite de ce nouveau statut pour construire son identité nationale autour de la sélection. Après leur exploit à l’Euro 2016 qui les avait emmenés jusqu’en demi-finale, les Gallois tenteront de se hisser en quarts de finale de cet Euro 2020 en battant le Danemark, ce samedi à 18h.
Si les plus jeunes ont pris l’habitude de voir jouer le pays de Galles lors des compétitions internationales, il est bon de rappeler qu’avant l’Euro 2016, les Gallois n’avaient pas mis les pieds dans ces grands rendez-vous depuis plus de 58 ans. «Pour les supporters de longue date, l’idée que le pays de Galles n’atteigne jamais une phase finale de son vivant n’était que trop réelle», avoue même David Owens, journaliste gallois qui suit les Dragons pour la presse depuis plus de 30 ans.
Cette qualification pour un deuxième Euro consécutif sonne presque comme un rêve pour tout un peuple qui devait se contenter du rugby pour voir le pays rayonner. Avec ceux que les Gallois nomment «la deuxième génération dorée», David Brooks, Daniel James, Harry Wilson et Ethan Ampadu prenant place aux côtés des plus expérimentés Gareth Bale, Joe Allen et Aaron Ramsey, le pays de Galles va tenter de battre la séduisante équipe danoise. Dans l’objectif de faire vivre un second été de rêve après celui de 2016, alors que l’immense majorité des supporters devront se contenter des pubs pour vivre les rencontres, Covid-19 oblige.
Un football de galériens à l’image d’une terre de travailleurs
Avant d’en arriver à ces sommets, l’équipe nationale galloise de football, c’est surtout beaucoup de bas pour très peu de hauts. Des éliminations aux portes des qualifications pour des compétitions internationales majeures, un sélectionneur ultra réformateur, Gary Speed qui se suicide à 42 ans (pour en savoir plus, cliquez ici)…
Une «malchance» très galloise s’il on en croit les dires du journaliste David Owens. Pour autant, le football s’est fait une place de choix au pays de Galles, remplaçant même le rugby. «La popularité du rugby au pays de Galles tient à son succès historique. Plus que le football gallois, qui a dû attendre de 1958 à 2016 pour se qualifier pour un tournoi majeur, explique le journaliste. Le fait est qu’il y a plus de clubs et d’équipes de football au pays de Galles que de rugby et que le football est le sport le plus populaire. Au niveau des clubs, le rugby est peu fréquenté. Ce n’est qu’au niveau international qu’il atteint une importance culturelle et que sa popularité persiste.» Jean-Claude Delzongle, qui a vécu plusieurs années en Galles, est du même avis : «Il y a beaucoup de personnes qui adorent le foot plus que le rugby, même avant la qualification de 2016. Les deux clubs de Swansea City et Cardiff City entretiennent une rivalité acharnée qui développe le football.» Même s’il reconnaît que le rugby est «une religion» là-bas.
Au sein d’une population galloise de 3 millions d’habitants dont beaucoup sont ouvriers, le football fait finalement son chemin. Une évolution qu’explique très simplement David Owens : «Le football est fort à partir de ses racines. Il est né d’une société ouvrière et a toujours cet attachement aujourd’hui. Il est populaire dans tout le pays de Galles, le rugby étant surtout présent dans le sud du pays. Au cours de la dernière décennie, l’Association de football a fait une tentative consciente de redorer l’image du football au pays de Galles.» La sélection galloise aujourd’hui arrivée à son apogée, a donc un rôle à jouer dans le développement du football, mais également en tant que porte-drapeau de l’identité de tout un pays, souvent assimilé à l’Angleterre. «Si le pays de Galles se qualifiait pour une Coupe du monde plus tard, il mettrait son nom sur la carte», espère Jean-Claude Delzongle, qui raconte avoir dû expliquer à maintes reprises que non, les Gallois ne sont pas des Anglais.
Le football comme moteur de développement de l’identité galloise
Ces dix dernières années, le football international gallois a connu de nombreuses transformations tant sur le terrain qu’en dehors, fruit du travail de la fédération galloise. «Le succès engendre le succès et attire les supporters. Mais l’expérience vécue par les supporters le jour du match au Cardiff City Stadium est un facteur clé pour les fidéliser», explique David Owens. Il faut dire que les images impressionnantes du fameux Mur Rouge, constitué par les supporters gallois lors de l’Euro 2016, a marqué les esprits et offrent aux fans un sentiment fort de communauté.
Autre aspect : l’hymne gallois. Dans un pays bilingue anglais-gallois, s’unifier autour d’un même hymne est un acte constitutif d’une nation. Et la Fédération galloise l’a bien compris : «L’une des premières choses que la FAW a voulu régler c’était le chant de l’hymne national avant les matches. Ils ont fait appel à des chanteurs pour interpréter l’hymne avant les matches, utilisé des bandes sonores enregistrées, affiché les paroles sur l’écran et dans les programmes pour les fans… Tout cela a fonctionné jusqu’à un certain point, mais le plus gros problème était que la foule n’était finalement pas synchronisée avec l’hymne. Ils ont donc retiré une grande partie de la musique de l’hymne, ne jouant que les trois premières mesures pour lancer les fans, et laissant le Mur Rouge prendre le relais.» Aujourd’hui le Land of my Fathers est repris par tous ces supporters de football qui ont, pour beaucoup, appris le chant au stade. Donnant lieu à de magnifiques avant-matches.
Au-delà de cet hymne, c’est toute une culture et une identité galloise qui sont transmises dans les enceintes de football. «L’un des aspects les plus réjouissants de l’expérience des supporters est la quantité de chansons en langue galloise qui sont désormais chantées au stade», s’extasie David Owens. Un travail de promotion de la langue locale mené depuis de longues années par la fédération, qui préfère nommer son équipe Cymru (pays de Galles en gallois) et communique sur ses réseaux en gallois.
Le speaker de l’équipe nationale, Rhydian Bowen-Phillips, l’explique très bien au site wales.com : «La FAW n’a pas peur de ce que nous sommes en tant que pays, de notre héritage linguistique. Elle met le Cymraeg au premier plan, sans honte et sans réserve, partout et à chaque fois qu’elle le peut, que ce soit sur les médias sociaux, lors des conférences de presse ou en inscrivant “Diolch” (ndlr : merci en gallois) sur les t-shirts des joueurs.» Lui-même en tant que voix du stade a son rôle à jouer dans cette stratégie nationale : «Tout ce que je dis au micro du stade est bilingue, le cymraeg étant toujours le premier. J’ai toujours vécu une vie bilingue et cela a toujours été accepté par le Mur Rouge.» Un sentiment d’appartenance grandissant, qui vient donner de plus en plus d’idées d’indépendance du Royaume-Uni aux supporters gallois, qui n’hésitent plus à broder le mot sur leurs drapeaux.
Un 12e homme puissant mais ouvert à tous
Le Red Wall ou Y Wal Goch est devenu depuis l’Euro 2016 une institution du football gallois, entretenu par la fédération elle-même. Un mur, de supporters habillés de la tunique rouge de l’équipe nationale, qui reprennent en cœur les chants -en gallois autant que possible- qu’ils ont appris ensemble. «Le succès de l’Euro 2016, cependant, s’est construit au fil des années, sur un slogan qui avait galvanisé la partie internationale – “Together Stronger”, la base sur laquelle le Mur Rouge a été construit», explique David Owens. L’idée de la fédération est de créer une image collective forte et puissante avec ce Mur Rouge, mais aussi et avant tout de montrer que ce même collectif est le reflet de toute la société galloise.
You're all part of the team and have made us proud!!! #TogetherStronger #EURO2016 pic.twitter.com/NwfmTC1O3j
— FA WALES (@FAWales) July 7, 2016
Le football et l’identité galloise se nourrissent donc réciproquement, permettant à l’un de prospérer alors qu’un pan de la société cherche à revendiquer son autonomie du Royaume-Uni, quand l’autre y voit l’opportunité de développer son identité galloise. «Le football gallois au niveau international est lié à une version moderne et dynamique du pays de Galles, indépendante et internationaliste, analyse celui qui écrit pour Nation.Cymru, un média qui revendique son identité galloise. Il reflète la croissance risquée de ceux qui soutiennent l’indépendance du pays de Galles. Elle est cosmopolite, inclusive et bilingue. La langue galloise joue un rôle important dans le marketing et l’image de marque du football gallois.»
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Tous ses éléments sont finalement repris par la fédération au moment d’instituer le Mur Rouge, y ajoutant le fameux slogan «Together Stronger» devenu cri de ralliement juste après l’échec pour les qualifications à la Coupe du monde 2014. Une philosophie qui «a changé l’image du football auprès du public et qui a donné naissance à une nouvelle confiance en soi sur le plan culturel». Dans The Guardian, Carys Ingram, co-leader du Rainbow Wall, branche LGBT du Mur Rouge, explique que ce slogan repris par les joueurs et les supporters n’est pas juste du marketing : «“Together Stronger” n’est pas seulement un slogan percutant pour notre équipe, c’est un mode de vie. Nous ne sommes qu’un pays de 3 millions d’habitants, mais la fierté que nous ressentons en enfilant nos maillots du pays de Galles est quelque chose d’indescriptible. Nous sommes une grande famille, quelle que soit la couleur de votre peau, votre orientation sexuelle, votre sexe, votre capacité physique ou votre origine.»
L’Euro 2016 fondateur de l’esprit gallois
Salués pour leur exemplarité lors de l’Euro 2016, les supporters gallois avaient même reçu un prix spécial. Hales Evans, qui a voyagé avec la sélection galloise depuis plus de 20 ans, raconte pour The Guardian ces moments tranquilles passés entre supporters : «Nous nous intéressons à la culture locale, nous faisons des visites à pied, nous voyons les sites touristiques. Évidemment, nous buvons aussi beaucoup, mais nous tenons à représenter notre pays correctement.» À l’image de ces scènes que l’on avait pu voir dans les rues de Paris, où supporters gallois et nord-irlandais chantaient et s’amusaient ensemble à quelques heures d’un huitième de finale entre leurs deux nations.
David Owens aussi se souvient de cet été mémorable passé en France aux côtés de ses compatriotes : «Ceux d’entre nous qui ont décampé en France témoigneront de la glorieuse fête du football qui s’est déroulée, où les fans se sont mélangés librement, où des amitiés se sont forgées, où des souvenirs à vie ont été créés et où des records du monde de gueule de bois ont été établis.» Avant d’ajouter : «Alors que les hooligans anglais et russes participaient aux championnats du monde de lancer de chaises en plastique, les supporters gallois gagnaient les cœurs et les esprits en faisant preuve de bonne humeur et de prouesses en matière de boisson.»
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Après avoir été jusqu’en demi-finale où ils seront éliminés par les futurs champions d’Europe, les Gallois rentrent chez eux en héros. Des dizaines d’enfants prennent leur licence de football pour imiter leurs idoles, et font désormais passer le football avant le rugby. En ce jour de match contre le Danemark (18h), les rues de Cardiff seront certainement désertées. Le Mur Rouge, en effectif restreint dans le stade Johan Cruyff d’Amsterdam, trouvera son écho dans chaque pub gallois où s’entassent ceux qui ne peuvent faire le déplacement compliqué en cette période pandémique. L’occasion d’observer pendant 90 minutes celui qui accroche un sourire sur le visage de chaque supporter des Dragons : Gareth Bale, ou «le meilleur joueur que le pays de Galles ait jamais eu» selon David Owens. «Ce n’est qu’une question de temps avant qu’une statue de lui ne soit érigée au pays de Galles !» s’amuse-t-il.
Un grand merci à David Owens (@asoundreaction) pour toutes ses réponses et son temps, et à Jean-Claude Delzongle.
Crédit photo : GEPA pictures / Icon Sport