Un évènement qui fera date dans l’histoire récente du club. L’invasion du centre d’entraînement de l’Olympique de Marseille par ses supporters aura marqué les esprits. Loin d’être un évènement anodin, il serait réducteur de l’analyser comme isolé et propre à la vie du club olympien. Si tout est amplifié à l’OM, rien n’est artificiel. Le malaise est réel. Nous voilà donc face aux maux d’une crise latente au sein même du football moderne, un défi identitaire dont les réponses qu’il faudra apporter sont loin d’être évidentes.
Violence symbolique et révoltes populaires
« Il faut arrêter de dire que ce sont des supporters. Ce sont des individus qui avaient une ambition seule, c’était d’éventuellement créer le trouble. Il faudra que l’institution reste forte face à ce fléau-là »
Ces mots sont prononcés par un consultant dont le nom n’importe que très peu dans la recherche du vrai. Leur présence ici n’a que pour unique but d’illustrer l’une des pires manières de résumer les événements de la Commanderie. Afin d’en comprendre l’essence, il faut resituer ces derniers dans leur contexte car loin d’être des revendications isolées, elles sont la conséquence d’un conflit ouvert entre la direction de l’OM et ses supporters
Désireux d’intégrer son OM dans le giron du football moderne, Jacques-Henri Eyraud a démontré son ambition de gérer un club de football comme une entreprise ordinaire. Avec un succès contestable, il a multiplié les actions en décalage avec son environnement local. Ses idées sur l’innovation dans le football ou sur l’identité marseillaise au sein du club ont fait grincer les dents de supporters déjà agacés par son mandat. En somme ce sont deux mondes qui s’affrontent : celui d’une élite acquise à la cause d’un capitalisme pragmatique et mondialisé face aux représentants d’une culture identitaire localisée. Des positions difficilement réconciliables au vu de leur antagonisme.
Oui, les envahisseurs du centre RLD sont des supporters du club. Marginaliser et nier le caractère représentatif du sentiment véhiculé dans ces révoltes contribue à crisper les positions. La violence symbolique d’une gestion qui nie le particularisme identitaire d’un club de football a mécaniquement entraîné la révolte de fidèles ne se sentant pas respectés. Très justement souligné par l’enseignant-chercheur Ludovic Lestrelin, ce qu’il se passe à Marseille n’est qu’un miroir grossissant des deux tendances contraires qui parcourent actuellement notre football.
Identité vs McWorld
Au début des années 1990, le politologue américain Benjamin R. Barber théorisait l’horizon politique des sociétés imprégnées par le capitalisme globalisé. Selon lui, la mondialisation économique a fait de la planète un immense parc à thèmes où tous seraient soumis aux règles de la consommation standardisée. Dans ce monde uniforme, le “McWorld”, on y trouverait la défense voire la violence des particularismes culturels. Des particularismes qui tenteraient tant bien que mal de résister à l’uniformisation économique et culturel du tsunami capitaliste. Un constat palpable sur le plan sociétal et dont l’on perçoit sa transpiration dans l’écosystème footballistique. A Marseille, à Bordeaux ou encore à Nantes, les supporters s’élèvent face à une direction qui semble en déconnexion avec ses racines et obnubilée par la logique mercantile.
Le top 5 des buts de Marseille contre Rennes
https://embed.dugout.com/v3.1/ultimo-diez.jsLa radicalisation des supporters face à la dilution identitaire n’est pourtant pas un phénomène nouveau. De 1946 à 1949, le Grande Torino glane quatre titre de champion d’Italie. Une période dorée qui s’achève brutalement le 16 mai 1949 lorsqu’au retour d’un match amical face à Benfica, l’avion de l’équipe s’écrase sur la colline du Superga et ne laisse aucune chance à ses 31 occupants. Des années noires s’en suivent sur le plan sportif et budgétaire. Elles forcent les dirigeants du Torino à envisager au début des années 1950 une fusion avec son rival historique, la Juventus de Turin. Immédiatement le “Gruppo Sostenitori Granata” ayant pour vocation de réunir des supporters du Torino se renomme les “Fedelissimi Granata” (“Très fidèles Grenats”).
Ces derniers iront alors jusqu’à inscrire dans les statuts du club leur volonté indéfectible de le “défendre contre toute fusion éventuelle”. Une volonté qui ira jusqu’à demander la démission de ses dirigeants quelques temps plus tard. La valeur de cet exemple réside bien évidemment dans le constat d’une radicalisation des supporters lorsqu’ils considèrent que leur identité est en danger. Plus largement, il est intéressant que la démocratisation du mouvement Ultra intervient de manière concomitante avec la mondialisation économique, sportive et communicationnelle du football.
À LIRE AUSSI – Reprise de la Coupe de France : la voix des amateurs
Le football moderne, à travers sa mondialisation et sa financiarisation, tend à redéfinir les clivages traditionnels et pousse ainsi pour le “McWorld”. Celui-ci institue le football comme une culture de masse focalisée sur la consommation passive du sport-spectacle. La création d’une Super League Européenne en est sans doute l’un des exemples frappants. Il s’agit de dépasser les identités nationales afin d’inscrire les clubs dans un cadre européen. Une volonté dont la portée philosophique s’arrête sur l’autel des profits anticipés.
Le mal du siècle
Cette ambition économique provoque au mieux une perte de repère et au pire des révoltes violentes. Des réponses doivent être apportées et celles-ci ne peuvent pas se contenter d’être des condamnations démagogiques des violences menées. Ce mal du siècle c’est plus globalement celui de l’effritement des instances de socialisations traditionnelles qui sont inefficacement remplacées par la figure de l’individu-roi. On n’envisage désormais la réalisation d’un individu qu’à travers sa capacité à consommer. Une perspective qui occulte bien souvent les croyances, les affinités et les adhésions partisanes de chacun. Celles-ci ne peuvent pas toujours être substituées par la diversité de la consommation individuelle.
C’est un constat trop souvent occulté par les élites dirigeantes de notre football. Mépris de classe et arrogance sont les ingrédients d’une vision d’un supporter ne comprendrait pas les enjeux en cours. Il ignorerait manifestement la portée colossale des bénéfices supplémentaires dégagés par une imbrication globale du football et ce, au prix de la refonte traditionnelle de ses clubs, de ses compétitions et de ses supporters. C’est exactement ce mépris qui est reproché à Jacques-Henri Eyraud ainsi qu’à d’autres. Les recettes léchées du succès entrepreneurial occulte souvent les particularismes identitaires. Elles provoquent malgré elles un grand désenchantement pourtant néfaste à leur intérêt.
Ce matin, l’Olympique de Marseille a publié un communiqué aussi absurde qu’inquiétant. Il résume bien l’incompréhension et la malhonnêteté d’une élite qui ne cherche pas à comprendre, peut-être à dessein. Les supporters olympiens se sont vu jeter l’anathème de l’attaque du Capitole tandis que le club s’érigeait en parangon de vertus, en véritable représentant de la démocratie. Point Godwin de ces derniers mois, les premiers seraient des représentants des forces obscures, des opposants à la vérité dont les maux ne valent pas la peine d’être entendus. A deux doigts d’être traités d’islamo-gauchistes. Évidemment, une telle sortie est regrettable parce qu’une fois de plus, elle empêche la remise en question d’une élite trop persuadée du bien-fondé de sa mission civilisatrice.
Les graines de la discorde sont pourtant déjà semées et certaines semblent croître. Le mal est à notre porte et la “glorieuse incertitude” du football ne semble plus suffire à attirer les regards. Selon une étude de l’Association européenne des clubs, les nouvelles générations sont celles qui s’intéressent le moins au football. Parmi les différentes pistes, la saturation vis-à-vis d’une offre télévisuelle toujours croissante en est une. Dans une époque où la diversité de l’offre est importante, la lassitude que provoque l’omniprésence du football est soumise à la concurrence. L’un des responsables de l’ECA, Lasse Wolter, indique justement qu’il est très facile de suivre une dizaine d’équipes avec un investissement émotionnel moindre. Une réalité qui ne cessera de se confirmer tant que l’on occultera l’essence partisane que porte le football qui est tout sauf un spectacle se consommant de manière passive. Preuve en est, l’envie d’Omar Da Fonseca d’entamer un strip-tease à chaque crochet du petit numéro 10.
Crédits photo : IconSport