Juventus-Monaco, ou la victoire du football

Deux ans après sa finale de Ligue des Champions perdue face au Barça, la Juventus de Max Allegri est de retour dans le carré final de la Coupe aux grandes oreilles, face à l’équipe qu’ils avaient éliminée en quarts de finale en 2015 : l’AS Monaco.

Deux années après, les deux équipes se retrouvent, preuve de l’immense régularité qui les caractérisent. Pourtant, ces deux équipes n’ont plus rien à voir avec celles qu’elles étaient deux saisons auparavant.

Des intersaisons mouvementées

Côté bianconeri, seuls Bonucci, Chiellini et Buffon sont encore titulaires (indiscutables) en 2017. Le reste ? Soit partis (Vidal, Pirlo, Pogba, Tevez, Morata, Pereyra, Evra…), soit poussés vers un rôle de supersub (Marchisio, Lichsteiner, Barzagli). De même pour Monaco où seuls Fabinho et Subasic sont restés indispensables dans le 11 de Leonardo Jardim. Les Martial, Carrasco, Kondogbia, Kurzawa, Abdennour ont quitté le Rocher, remplissant allégrement les caisses monégasques. Quant à Moutinho, Raggi, ils font mieux qu’assurer leurs « simples » rôles de supersub en silence, en témoignent notamment leurs matchs face au Borussia.

Alors que les monstres barcelonais et bavarois suivront ces demi-finales sur leurs délicieux canapés en cuir, il est presque insensé d’y retrouver la Juve et Monaco si haut, avec en plus, de véritables chances de victoire finale. Car rien ne les prédestinait à être là. Comme énoncé plus haut, Monaco et la Juve partagent tout d’abord la particularité de perdre des cadres majeurs à chaque intersaison. Lorsque Pogba et Morata décidaient l’été dernier de quitter le navire turinois, la Juve perdait gros. Pogba et Morata représentaient le futur de la Juventus. Le premier était vraisemblablement le meilleur joueur de la Juventus sur la saison 2015-2016 et la saison 2016-2017 se présentait comme celle de la maturité pour la Pioche ; un effectif complet, un système travaillé autour de Pogba et beaucoup de joueurs capables d’assumer un leadership technique en cas de défaillance du français (Dybala en pôle). Le second -bien que relégué dans un rôle de supersub- demeurait une garantie pour la Juve à l’échelle européenne au vu de sa campagne 2015 en Ligue des Champions ou encore de son match surréaliste à l’Allianz Arena.

Pourtant, à aucun moment la Juve n’a semblé s’opposer à leurs départs. Déjà parce que la Juve n’a jamais eu la politique de retenir des joueurs contre leur gré mais aussi et certainement parce que Max Allegri avait déjà de la suite dans les idées pour faire mieux que les remplacer sur le terrain.

Une politique sportive gérée d’une main de maître

Monaco lui n’a pas perdu de cadres majeurs cet été hormis Toulalan et Carvalho, mais rien d’irremplaçable sur le papier, sans faire injure à ces deux joueurs ô combien expérimentés. Pourtant le 11 monégasque n’a rien à voir avec celui de l’an passé. Les retours de Falcao et Germain sur le front d’une attaque qui manquait cruellement de valeurs sûres l’an passé (Carrillo, Vagner, Traoré n’ont jamais réussi à performer), l’éclosion d’Mbappe, la signature de Dimsou Mendy qui a permis d’enterrer les problèmes récurrents de latéral gauche. Quant à celle de Glik, elle a définitivement clos le chapitre du vieillissant Carvalho.

Monaco et la Juve sont la preuve qu’une politique sportive sur du moyen-long terme est possible, en dépit des intersaisons mouvementées. Même lorsque, comme eux, on n’a pas forcément les moyens de résister aux offres des très grands clubs. Un exemple pour de nombreux clubs adeptes de la politique du court terme, et autres panic buy surpayés. Ces deux demi-finalistes pourraient d’ailleurs donner de précieux conseils à Gustavo Frings ou Walter White sur comment blanchir son argent avec brio. Monaco s’est spécialisé dans l’achat revente de jeunes à fort potentiel -on est déjà effrayé quand on imagine la manne financière que leur rapportera les Mendy, Lemar, Fabinho…- et Beppe Marotta tient à jour son fichier des joueurs libres à attraper dans ses filets entre les Pirlo, Khedira, Pogba, Coman… Les deux derniers lui ont rapporté près de 130 millions d’€ avec un investissement quasi-nul.

La régularité malgré les effectifs décimés, la politique sportive proche de la perfection sont les deux caractéristiques fondamentales que partagent les deux futurs adversaires. Mais il en existe une troisième : la mutation de leur style de jeu.

De la bétonnière au caviar

Longtemps le Monaco de Jardim et la Juve d’Allegri ont eu une réputation ultra-défensive, voire trop, et un manque de créativité offensive. On entend encore de judicieux analystes nous expliquer que «Monaco z’est nul, Zardim z’est un vrai portugais za bétonne, on z’ennuie » ou encore que « La Juve bah z’est la tradizion italienne hein z’est le catenazio ». Force est de constater que les choses ont bien changé. Lemar-Mbappe-Falcao-Silva ; Mandzukic-Higuain-Dybala-Cuadrado, ajoutez à cela de très très offensifs latéraux comme Mendy-Sidibé et Sandro-Alves et vous obtenez deux équipes aussi explosives que les idées politiques de Kim-Jong Un.

Comment cette mutation a-t-elle été possible ? Sans aucun doute grâce aux deux coachs probablement les plus pragmatiques de la planète football à l’heure actuelle. Conscient des limites offensives passées de l’ASM, Jardim n’avait eu aucun mal à guider une équipe résolument défensive avec au menu efficacité et contres saillants. Les mercatos menés d’une main de maître, l’éclosion au cours de son mandat de Silva et Fabinho lui ont donné l’opportunité de changer son fusil d’épaule et de proposer un jeu beaucoup plus chatoyant que par le passé. L’adaptation à son effectif : la clé du succès de Jardim, longtemps critiqué, aujourd’hui adoubé par toute la France du football.

Max Allegri a lui aussi essuyé beaucoup de critiques. Un 3-5-2 jugé hors de coup, prévisible et sans la moindre folie ; un mercato lui aussi peu épargné avec les arrivées d’Higuain et Pjanic. Mais 6 mois plus tard la donne a totalement changé… Fini le 3-5-2 stéréotypé. Max « Dai Dai Dai » Allegri a opté pour un inédit 4-2-3-1 inattendu. Et inattendu est le moins que l’on puisse dire ; Mandzukic ailier gauche, Pjanic sorti de sa zone de confort pour jouer les charbonneurs de l’entrejeu, Marchisio -probablement le meilleur joueur turinois des 2 dernières années- poussé vers le banc depuis sa blessure au genou et surtout l’abandon de la BBC derrière. Ce choix tactique semblait ô combien risqué et insensé lors de son installation mais aujourd’hui ce système est la plus grande réussite sans aucun doute depuis l’arrivé de Mr Dai à la Juve. La Juve n’a rien perdu de sa superbe défensive comme en atteste son déplacement au Camp Nou. Mandzukic s’est mué dans un incroyable rôle d’ailier gauche unique au monde (¼ ailier gauche, ¼ deuxième attaquant, ¼ deuxième latéral gauche, ¼ j’cours partout sur le terrain mettre des tacles), Pjanic le nonchalant est devenu un incroyable chien de garde devant sa défense avec une qualité de relance et un sang-froid exceptionnels, Dani Alves 34 ans, 3 LDC au compteur, après une première moitié de saison moyenne a prouvé face à son ancien club qu’il avait encore la grinta et la faim pour enchaîner les aller-retours sur son couloir droit et essuyer les gueulantes délirantes de Max à chaque tentative de petit pont dans sa surface de réparation ; quant à Higuain, il n’a certes pas marqué face au Barça, mais son abattage dans l’entrejeu, sa mise au service du collectif, témoignent là encore d’un sacré travail d’Allegri pour transformer la star de Naples autour duquel tournait toute l’équipe. Mandzukic, Pjanic, Alves, Higuain, 4 points d’interrogations quelques mois en arrière sont devenus de véritables évidences et au final, malgré les critiques, malgré les réticences, c’est toujours Allegri qui a raison.

Si la Juventus fait tout de même figure de favori dans cette demi-finale, difficile de se prononcer sur le futur vainqueur de cette confrontation. Mais le résultat au final importe peu, l’important est ailleurs. Cette demi-finale couronne l’immense travail accompli par ces deux club sur les 3 dernières années et récompense d’ores et déjà deux formidables coachs qui ont su imposer et faire progresser leurs idées au fil du temps envers et contre tous. A l’heure d’un football toujours plus fou, toujours plus en demande de résultats immédiats, la présence de Monaco et de la Juve dans le carré final (au même titre que l’Atletico) fait déjà office de belle victoire pour notre sport favori. Maintenant, que le meilleur gagne !

Photo credits : AFP PHOTO / FRANCK FIFE

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