Quand Halilovic devient Guajilovic et écrit avec Gijon la plus belle des romances

Numéro 10 attendu dans toute l’Europe, Alen Halilovic a émerveillé autant que déçu. Tel un petit village breton, Gijon, est de ceux qui résistent et rêvent encore du talent de celui qu’ils ont nommé Guajilovic. Une love story singulière, entre un club que tout le monde aime et un joueur qui ne demandait qu’à être aimé. 

Le passage d’Alen Halilovic au Real Sporting de Gijon reste gravé dans les esprits en Asturies. Son nom, que beaucoup pensent oublié, lui qui devait être le «Messi des Balkans», résonne encore dans la tête et le cœur des Sportinguistas. Telle une romance d’été éphémère, le jeune croate se lie avec une afición qu’il ne fréquentera que le temps d’une saison en prêt (entre 2015-16). Les souvenirs qu’il laisse au Molinón (enceinte du club de Gijon) demeurent pourtant impérissables six années après, au point que par nostalgie on en oublie ses quelques dribbles de trop qui ont pu frustrer. Sa saison rojiblanca fût sans doute la meilleure de sa carrière sportivement, mais certainement aussi la plus belle émotionnellement. Si les histoires d’amour finissent mal en général, celle-ci finit beaucoup mieux que ce que beaucoup semblaient annoncer. Sans doute ce qui fait là aussi le charme de cette histoire qui s’est achevée trop tôt, mais qui nourrit encore les espoirs de Gijon. «C’était une époque très romantique», se souvient Adrian R. Huber, journaliste pour l’agence de presse EFE.

«La meilleure chose pour moi était de venir à Gijón»

L’histoire commence en août 2015, quand Abelardo contacte le jeune numéro 10 croate pour qu’il le rejoigne du côté de Gijon. Ancien coéquipier au Barça et en sélection de Luis Enrique qui est alors entraîneur chez les Catalans, il convainc rapidement le joueur et son ami d’une arrivée sur les côtes asturiennes. Les deux entraîneurs sont des idoles au Molinón, ayant tous deux faire leurs gammes au sein du Sporting durant leurs carrières professionnelles. Et forcément, le petit protégé du FC Barcelone de Luis Enrique devient vite celui du Real Sporting d’Abelardo. «Le Barça préférait que je vienne au Sporting plutôt que dans un autre club en Angleterre ou en Allemagne, racontait le joueur dans un entretien pour l’agence EFE à son arrivée. J’ai ensuite parlé à Luis Enrique, qui m’a dit que la meilleure chose pour moi était de venir à Gijón, où je serai dans une bonne équipe, une équipe jeune. J’ai reparlé à Abelardo, j’ai vu que le Sporting me voulait et me connaissait bien, car nous avons joué l’un contre l’autre en deuxième division, puis j’en ai parlé avec mes parents. Ils m’ont dit que c’était la meilleure chose à faire. Et j’ai signé.»

À LIRE AUSSI – Paulo Dybala par Théo Cotrel

L’idylle commence entre les deux parties, facilitée par un entremetteur bien local qui vient faire la renommée d’Alen Halilovic avant même qu’il ne foule la pelouse. «Il est arrivé à un moment où les supporters étaient très attachés à l’équipe, qui venait d’être promue en Liga sans avoir pu signer de joueurs, puisque le club était interdit de transferts pendant deux ans», se souvient celui qui a interviewé Alen Halilovic après ses quelques semaines au club. Très vite, l’afición rojiblanca s’emballe et vient saluer celui qui arrive avec un véritable statut de «star».

«Nous tous Sportinguistas avons été très surpris quand il a été annoncé parce que nous étions très excités que le “futur méga crack d’Europe” joue pour le Sporting», sourit encore aujourd’hui Jonas, qui tient le compte Twitter Sentimiento RSG (sentiment Real Sporting de Gijon en français). Timide comme lors d’un premier rendez-vous, Alen Halilovic esquisse quelques sourires et se dit «très heureux d’être à Gijon». Du côté du Molinón, son nom est sur toutes les lèvres et Gijon n’a d’yeux que pour lui. «La signature du Croate a été l’une des arrivées les plus médiatiques de l’histoire centenaire du Real Sporting, rappelle Alejandro Vigil Morán, responsable de la section sports du journal La Voz de Asturias. Le club a eu de grands joueurs comme Quini ou Luis Enrique, mais à cette époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux pour amplifier l’impact de ces stars.»

Un accueil plus grand que celui de son propre entraîneur au FC Barcelone et toute une ville qui vibre pour son Sporting fraîchement monté en première division, le prodige du Dinamo Zagreb devra montrer qu’il est à la hauteur des passions qu’il déchaîne. Avec des premiers jours toujours déterminants…

«Quand le ballon arrivait à Alen, tout le monde savait que quelque chose allait se passer !»

Seulement quatre journées après son arrivée, le croate délivre le Molinón en adressant une passe décisive d’un extérieur du pied gauche pour Alex Menendez, qui marquera le but du 3-2 contre le Deportivo La Corogne. Il récidivera deux journées plus tard, face au Real Betis, avec une passe décisive que le commentateur appellera «una genialidad de Alen Halilovic» (défaite 1-2). Puis, face à l’Espanyol une semaine après, il inscrit son premier but, un «golazo», d’une frappe enroulée pied gauche à l’entrée de la surface (victoire 2-1). Son début de saison impressionne et permet au Sporting d’engranger de précieux points pour le maintien, qui n’est alors que l’unique objectif du club.

«Je me souviens de lui comme d’un joueur différent des autres, avec une très bonne technique. Ce dont il avait besoin, c’était de la confiance et de la maturité, se remémore Alvaro Conejo Sastre, membre de la Peña de la Zafiro. Il était un joueur qui, s’il était dans un bon jour, faisait la différence dans le match pour gagner.» Déterminant et déterminé, Alen Halilovic donne sans compter et se fait un nom dans le coeur des supporters du Sporting. «Il a surtout impressionné par son implication dans l’équipe», m’explique Miguel Menendez, président de la Peña Exilio Rojiblanco. «Il donnait tout sur le terrain, ce que les fans du Sporting aiment le plus chez les joueurs», lui répond l’autre penyista, Alvaro.

Après seulement deux mois au sein du club, le lien entre lui et les supporters est scellé et on se presse au Molinón pour voir les performances du petit prodige. Jonas en souffle encore en se remémorant les folles enjambées du Croate : «Pff, quand le ballon arrivait à Alen, tout le monde savait que quelque chose allait se passer ! Je me souviens de sa conduite de balle en jouant comme ailier droit, il faisait le geste mythique de commencer sur l’aile et de revenir au milieu pour finir avec son pied gauche, comme Léo Messi. Beaucoup d’entre nous ont crié « ohh » cette année-là !» Puis, lancé dans sa tirade sur celui qui portait alors le numéro 25 de son club, il continue : «Sa spécialité n’était pas son sens du but, loin de là. Ses changements de rythme, ses dribbles et ses passes étaient son point fort. La qualité de son pied gauche était énorme. C’est un grand joueur capable de mettre tout le Molinón à ses pieds. Pour moi, il est l’un des meilleurs joueurs que j’ai vu sous le maillot sportinguista.»

Alternant entre le poste de numéro 10 et celui d’ailier droit, il parvient constamment à faire dresser les poils des supporters locaux, qui le traitent presque comme un fils. Six ans après, Alejandro se souvient «de la foule debout au Molinón lorsque Halilovic recevait un ballon près du but adverse». Toujours émerveillé, il ajoute : «Cela donnait la sensation qu’il pouvait marquer des buts ou distribuer des passes décisives à tout moment !»

«El favorito del Molinón»

Entre ses bonnes prestations et son dévouement pour l’équipe, Halilovic gagne définitivement le cœur des Sportinguistas. Il devient «Guajilovic», un surnom fait de «guaje» qui signifie jeune garçon dans les Asturies et de son nom de famille. «À cette époque, on disait que le Sporting était l’équipe des guajes, car il y avait beaucoup de footballeurs avec peu d’expérience mais très compétitifs», explique Alejandro Vigil Morán. «Ce surnom de Guajilovic, c’est grâce à Gerardo Ruiz, qui était le préparateur physique de l’époque, qui est l’un de mes voisins, raconte Alvaro Conejo Sastre, qui participe à l’émission Conexión Sporting. C’est une personne très affectueuse qui est toujours en train de construire le collectif. Il avait l’habitude de dire qu’Halilovic était très timide et que pour briser la glace, il l’appelait comme ça dans le vestiaire, ce qui lui a valu ce surnom.» Avec un surnom local, dans une ville qu’il aime et qui le lui rend bien, Alen devenu Guajilovic viendra remercier de la plus belle des manières cette afición qui ne cesse de l’encourager.

Un soir de 1er novembre 2015, Alen Halilovic vient marquer le seul but d’une terne rencontre à domicile face à Malaga. D’une frappe croisée avec son éternel pied gauche à l’entrée de la surface, il offre la victoire au Sporting. Mais en plus des trois points précieux dans la course au maintien, Guajilovic vient célébrer son but devant les supporters du Molinón en folie. En imitant la façon traditionnelle asturienne de verser du cidre dans un verre. Geste ultime qu’aucun Sportinguista n’oublie de me mentionner six ans après.

«Il a appris à boire du cidre dans une cidrerie de Gijón avec d’autres footballeurs et quelques jours plus tard, il a célébré un but de cette manière en remerciement de l’avoir appris», dévoile Alejandro. «Les fans ont vu ça comme un clin d’œil à leurs traditions. C’était une façon de montrer qu’il était bien adapté à la société de Gijón», renchérit Juan Ahuja, journaliste à La Hora Rojiblanca. Devenu moins décisif les matches suivants alors que le Sporting enchaîne les défaites, il reste le «favorito del Molinón», un numéro 10 virevoltant faisant rêver petits et grands. «Je l’aime beaucoup car mon petit neveu avait 3 ou 4 ans quand Halilovic jouait ici et il était son idole. Aujourd’hui, on l’appelle encore « Hali » en raison de sa passion pour le joueur», confie Juan. 

Quelques coups d’éclat rappellent ensuite au Molinón le joueur qu’ils ont tant aimé en début de saison : un doublé en Copa del Rey en décembre face au Bétis dont une bombazo en dehors de la surface qui fait exploser le Molinón à 2-1 (3-3 score final), puis un but face au Rayo en février sur un rush qu’il lance seul à 30 mètres de son propre but, pour trouver Jony en une deux et conclure seul devant la défense après une longue course (2-2 score final). «Le génie de Dubrovnik nous offre une des meilleures actions de cette journée», s’exclamera alors le commentateur, pendant que Guajilovic célèbre en versant à nouveau du cidre imaginaire.

À LIRE AUSSI – Glen Kamara, le milieu finlandais de tous les combats

Face à Villarreal au Molinón lors de la dernière journée, Alen entre à la 68e dans un match désormais historique. Ayant été dans la zone de relégation pratiquement toute la saison, le Sporting s’impose 2-0 face à un sous-marin jaune classé 4e et se maintient dans l’élite espagnole une saison de plus. Cette équipe des guajes avec une moyenne d’âge très jeune, de nombreux joueurs venus en prêts et des gamins du centre de formation donne le sourire à tout un Molinón, dont le terrain est envahi dès le coup de sifflet final. Abelardo sert son prodige dans ses bras, Halilovic sourit et partage sa joie comme on l’a rarement vu faire. Mission réussie. L’idylle si bien commencée s’achève même mieux que prévue. «Il y avait de nombreux doutes quant à savoir si cette équipe serait suffisante pour se maintenir, rappelle Alvaro le peñista de la Zafiro. Mais avec la détermination dont les guajes ont fait preuve, nous avons finalement été sauvés lors de la dernière journée contre toute attente. Cette nuit-là, la ville a connu une explosion de célébrations.» Et aucun n’oublie la contribution du numéro 10 croate à cette success-story. «Sans lui cela aurait été impossible», précise Alvaro. 

«Le nom d’Halilovic est dans le cœur de nombreux fans»

Après tant d’émotions et de larmes de joie versées, Guajilovic reprend le chemin de la Catalogne, laissant derrière lui un surnom et un peuple Sportinguista qui le réclame encore. Abelardo a demandé au Barça à ce que son prêt soit prolongé d’une saison. Sans succès. La séparation est définitive et la rupture est difficile à accepter. Alors chacun nourrit l’espoir des retrouvailles. «Je suis sa carrière et de nombreux supporters du Sporting aussi», me confie Alejandro, qui gère aussi sporting1905.es. «Le nom d’Halilovic est dans le cœur de nombreux fans en raison de ses bons matches sous le maillot du Sporting, poursuit-il. Bien que les fans soient conscients que son salaire est très élevé et qu’il cherche des équipes dans une catégorie supérieure. C’est un rêve presque impossible.»

Libre de tout contrat cet été après sa pige à Birmingham City, Alen Halilovic est une nouvelle fois au cœur des rumeurs du mercato du Sporting. Avec des supporters, qui, comme chaque été, espèrent de tout cœur pouvoir revoir Guajilovic fouler la pelouse du Molinón. «Nous l’espérons, mais Alen n’est pas un joueur pour la deuxième division et son salaire élevé est impossible pour nous, s’oblige à constater Jonas. Peut-être l’année prochaine en première division si on arrive à monter, ce serait pas mal de le faire revenir, nous serions ravis de l’avoir à nouveau» Avant de conclure par un «Jugadorazo Alen!!» 

L’histoire a été belle, les souvenirs sont désormais impérissables, et comme un premier amour ne s’oublie pas, l’espoir des Sportinguistas pour un retour de leur Guajilovic ne mourra jamais.

Muchisimas gracias à Adrián R. Huber, Jonas de @Sentimiento_RSG, Miguel Menendez, Juan Ahuja, Alvaro Conejo Sastre et Alejandro Vigil Morán pour leurs témoignages et leur disponibilité.

0