[Euro 2020] Italie : grazie Azzurri

Quinze ans après son dernier sacre dans un tournoi majeur et trois ans après le non-Mondial 2018, l’Italie s’est offert le plus beau des retours au premier plan en remportant l’Euro de cet été 2021. Mieux, la Nazionale a glané un succès total, bien au-delà du cadre de 7 matches de 90 minutes (et parfois un peu plus).

On attendait de l’Italie, à l’occasion de cet Euro, qu’elle se sorte pour de bon de l’enfer dans lequel elle était tombée en novembre 2017. Ou en juillet 2012, selon notre vision des choses. Elle avait déjà posé un pied en dehors de celui-ci en s’offrant deux ans d’invincibilité. La moitié du travail minimal requis avant d’espérer poursuivre toute ambition de grande envergure restait à faire : emmener cette nouvelle Nazionale dans un tournoi majeur, s’y faire une expérience et tenter d’avancer jusqu’à se mesurer à une grande équipe, chose n’ayant pas eu lieu durant lesdites années de rémission post-Suède. Le tout en se sachant désignée moins forte, au moins sur le plan individuel, que les nations visées. Avec le report d’un an de cet Euro 2020, dont la phase de poules se jouerait à domicile, celui-ci avait tout de l’étincelle parfaite pour lancer le moteur et viser une arrivée à bonne allure sur le Mondial 2022. L’étincelle était en fait un Big Bang.

Partie d’un fragile statut d’outsider annoncée en danger contre la Turquie pour son match d’ouverture, l’Italie termine sur le toit de l’Europe un mois plus tard en ayant tout embarqué sur son passage. Dans une compétition ô combien particulière, le succès azzurro se sera fait sur biens des plans à la fois, le rendant probablement encore plus beau que certains acquis dans les grandes heures du calcio.

Le succès du jeu

Que la Nazionale à la sauce Mancini ait le goût du ballon n’était déjà plus un secret le 11 juin dernier. Quand Andrea Bocelli a ouvert le bal européen, la question était surtout de savoir si celle-ci oserait danser selon les mêmes pas que dans son salon. Le constat fut sans appel, avec une phase de poules maîtrisée de A à Z.

Dans la lignée de ses dernières sorties sur le territoire national, l’Italie enthousiasme son public, se réconcilie toujours un peu plus avec lui et avec le football. Les observateurs se trouvent un petit chouchou dans une phase de poules qui paraît parfois bien longue dans ce format à 24. Il y a les vieux briscards, quelques uns. Des joueurs qui de par les échecs passés n’auront jamais été présentés au grand public de ces tournois. Il y a des jeunes, beaucoup. Mais quel que soit l’âge, l’enthousiasme est palpable chez chacun d’entre eux. Une bouffée d’oxygène. Les doutes quels qu’ils soient et leurs poids se sont envolés.

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Des doutes il y en avait pourtant beaucoup. La charnière en premier lieu. Bonucci mauvais en club depuis des années, et Chiellini toujours plus fragilisé physiquement doivent-ils jouer ? Les deux ont retrouvé leurs jambes d’il y a 5 ans. Zéro dribble subi sur l’ensemble de la compétition. Bonus participation à la construction pour Bonucci, d’une efficacité énorme. Florenzi latéral droit ? Blessé d’entrée et remplacé par Di Lorenzo qui, malgré un rendement en dents de scie quand le niveau s’est élevé, peut se targuer d’avoir fait un tournoi correct dans l’ensemble.

Il y avait aussi le cas de l’attaquant de pointe. Le seul gros problème qui n’aura sans doute pas été résolu, tant Ciro Immobile aura multiplié les maladresses. Deux petits buts pour mettre la tête sous l’eau à des Turcs et des Suisses n’en menant pas large, beaucoup d’efforts au pressing pour ce qui est du positif, bien peu de chose devant le déchet monumental et le nombre de ballons de contre offerts par la même.

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Entre concurrents plutôt décevants et luxe de pouvoir jouer à la maison, l’Italie peut dérouler tranquillement et s’amuser pendant trois matches. Sept buts inscrits, zéro encaissés, trois succès, du jamais vu. Faire aussi bien en phase éliminatoire ? Difficile, mais pas impossible. Le huitième de finale contre l’Autriche représente l’occasion qu’attendaient les plus sceptiques pour faire retomber le soufflet italien. Un match fermé, où les solutions face au mur autrichien sont peu nombreuses. Si les rouge-et-blanc ne sont pas attendus comme dangereux à ce niveau, à plus forte raison au vu de leur phase de poules sans grand coup d’éclat, ils sont en revanche les premiers à poser de véritables problèmes à l’Italie depuis deux ans.

Immobile est introuvable, le côté gauche si remuant composé de Spinazzola, Insigne et Verratti est considérablement gêné par l’énorme activité de Konrad Laimer, Barella a du mal à trouver la place de s’exprimer et Berardi touche ses limites dans le rôle de dynamiteur qui lui a été attribué depuis le début de l’Euro. Tant de problèmes qui se posent pour la première fois tous en même temps, ainsi que d’autres encore inconnus à cette équipe : Premier déplacement hors de l’Olimpico, à Wembley, pour le premier match à élimination directe de cette équipe nationale-là (voire premier tout court pour certains joueurs à l’expérience européenne en club limitée).

Sans oublier le fait que c’est la première fois que cette Italie doit faire face à la pression. En construction avant le tournoi, insouciante au début dans le format très permissif de la compétition, elle fait soudain face à un mur de difficultés et de responsabilités. Le contrat, c’est une qualification en quarts, mais la voilà attendue et «favorite» sur ce huitième.

C’est la découverte aussi pour Roberto Mancini qui pour la première fois doit s’adapter et proposer un véritable coaching en cours de match. Le temps du doute s’est clairement fait sentir, les changements sont venus tard, mais ce sont les bons. C’est d’ailleurs le moment où bascule le tournoi de Federico Chiesa, qui débloque la situation et s’empare de la place de titulaire à droite de l’attaque. Entre ses derniers mois difficiles à la Fiorentina et le coche loupé lors des derniers rassemblements sur blessure, il n’aura pas pu s’intégrer aussi pleinement à la toile tissée par Mancini que ne l’a fait Berardi. Avec son entrée, les lignes à droite s’étirent plus. Mais la différence de talent est si grande… Et arrivé à un moment dans un tournoi de ce niveau, celui-ci doit s’exprimer.

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L’Italie file en quarts, avec un plan de jeu initial parfaitement respecté. Le contrat est rempli. La suite, c’est du bonus, surtout avec la Belgique, le fameux «numéro 1 du classement FIFA» en face. Une fois l’Autriche et ses épreuves passées, l’objectif atteint, l’Italie se débarrasse à nouveau de son manteau de pression. Il n’y a plus rien à perdre. Alors au vu des faiblesses affichées par la Belgique durant le tournoi malgré son parcours sans faute, on peut imaginer une surprise. Une surprise oui, un sursaut, une résistance, un petit quelque chose. Mais sans doute pas l’heure de noyade footballistique que l’Italie fait subir à la Belgique. Elle montre que même face à l’un des favoris du tournoi, eh bien rien ne change ni dans l’intention ni dans la réalisation. Aucune concession n’est faite.

Le trio du côté gauche se défoule sur Meunier et ses acolytes, Jorginho fait son boulot de chef d’orchestre. Et à droite, l’entrée de Chiesa apporte un changement majeur : la possibilité pour Barella de se concentrer sur l’occupation de l’axe entre les lignes, plutôt que de devoir faire l’effort d’élargir le bloc sur le côté droit. Lequel est généralement un peu dégarni par les incursions dans l’axe de Berardi et la consigne pour Di Lorenzo de ne pas s’aventurer trop haut. Chiesa est un mangeur de ligne, Barella s’incruste dans l’axe, et tire le premier. Cette réorganisation lui offre un peu d’air dans une compétition sans doute difficile pour lui sur le plan physique. Voilà donc sans doute son meilleur match.

Vient juste après le grand numéro de torture de Vermaelen ce qui est sans doute le tournant de l’Euro italien. Insigne qui s’échappe, crochette Tielemans, s’avance, et envoie sa frappe enroulée favorite au ras du poteau de Courtois. La concrétisation de la domination italienne, le vrai coup de massue sur ce match. La Belgique est écrasée par le pressing, ne s’en sort que sur de rares percées de De Bruyne permises par des sorties de balles hasardeuses, et subit, subit, subit encore, vague après vague. Quand Insigne place son coup de canon, la digue saute. Malgré le scénario rendu inutilement compliqué permettant surtout à Bonucci et Chiellini de se distinguer et les efforts de Doku, le tournant est là. L’Italie colle un k.o technique à une nation attendue tout là-haut. Changement de programme, ce sera la Nazionale dans le dernier carré, sans aucune limite fixée.

Au rayon du rationnel, de ce qu’il était possible de faire, cette équipe a tout déballé en quarts, présenté tout le stock. Avec la fatigue commençant à se faire sentir, la perte de Spinazzola et les adversaires arrivés ensuite, elle a donc dû faire ce qui était impossible. La maîtrise technique espagnole a complètement brisé le plan de jeu initial. Impossible de presser sans s’exposer. À partir de là, Pedri, Olmo & co ont eu 90 minutes pour tenter tour à tour de faire sauter le verrou, sans succès.

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Pour tout tifoso, ce match est de loin le pire de l’Euro malgré le dénouement heureux. Tout n’est que souffrance pendant 120 minutes. Pour la première fois, après 5 matches, on ne s’amuse pas en regardant cette équipe. Et les joueurs ne s’amusent plus non plus. Le peu de plaisir que l’on peut tirer de cette demie se trouve dans la capacité de cette équipe à puiser instinctivement dans ce qu’a toujours été historiquement l’équipe Italie. De la lucidité, de l’intelligence, du vice, un énorme sens du sacrifice et du collectif. Un certain sens de l’héroïsme incarné par Chiesa.

Attention, elle n’a pas non plus renié ce qu’elle est devenue avec Mancini. «Chassez le naturel, il revient au galop.» Il y a une part de vrai. Une part seulement. La Nazionale s’est regroupée derrière des valeurs auxquelles elle n’avait jamais eu besoin de faire appel depuis des années, mais elle n’a pas refusé le jeu. L’Espagne l’en a privé. Ses seuls moments de panique en seconde période comme en prolongation coïncident avec la volonté de presser haut sur chacune des actions en question. Morata ou Gerard Moreno touché entre des lignes qui s’étiraient au moment d’aller presser, punition derrière. L’Espagne peut regretter que Morata n’en ait converti qu’une, et l’Italie s’invite en finale.

La finale n’aura pas été la plus belle de l’histoire de l’Euro dans son contenu, et il n’y a pas mille choses à en dire. Tout y est affaire d’intention. L’Angleterre, chez elle, issue d’un parcours relativement tranquille et surtout à domicile. L’Angleterre se voyant déjà gagner parce que «it’s coming home» et les observateurs nationaux le clamant sur tous les toits. L’Angleterre qui avait tout pour écrire l’histoire, mais qui a choisi de prendre pour modèle les sacres du Portugal et de la France. Oubliant toute notion de contexte, de personnalité, oubliant de jouer au football passé la 2e minute de jeu et le but de Shaw. Résultat, c’est l’Italie qui joue, qui tente, qui marque. Sans doute le moins beau but de son tournoi, mais qui récompense un ensemble. Qui permet de rire de la fascinante capacité de Verratti à rendre certains moments iconiques lorsqu’il décide de placer sa tête au second poteau.

1-1. La faute à une mauvaise analyse, à un édifice construit sur du sable par le savant fou Southgate qui envoie les gamins du Royaume au casse-pipe, à un Donnarumma qui compense l’improbable moment d’absence de Jorginho, l’Italie gagne. Mais quand l’on parle de jeu, aussi incroyable que cela puisse paraître, l’impression est qu’il n’y a pas qu’elle qui l’emporte. Au fil de son parcours, cette Nazionale s’est érigée en cheval de bataille pour les amoureux du jeu de l’Europe entière. Habituelle froide méchante de l’histoire, l’Italie fait l’unanimité. Du nord au sud au pays, de l’observateur du dimanche à Raymond Domenech, tout le monde est séduit par cette équipe, ses valeurs, ses intentions.

Un groupe inquantifiable

Il y a le jeu, et tout ce qui va autour. Cette sélection, c’est une aventure humaine, un groupe de bonhommes avec beaucoup de petites histoires qui devaient en faire une grande. La grande, c’était de redorer le blason de la Nazionale, être un symbole d’unité pour un pays qui a traversé des moments affreux depuis un an et demi, de représenter un pays soudé. L’Italie ne l’est pas. C’est à peine un pays. Mais chaque fois que Giorgio Chiellini tenait ses coéquipiers par les épaules pour hurler que tous sont Frères d’Italie à pleins poumons, c’était comme si la Botte passait par le fil du meilleur cordonnier d’Europe. Des premiers pas sur la pelouse de l’Olimpico le 11 juin dernier à la parade en bus faite au ralenti à travers Rome, cette sélection a eu tout juste en terme d’image, de ce qu’elle devait apporter à l’Italie.

Le trophée. La parade. Le discours du capitaine Chiellini devant le président Mattarella, son hommage aux valeurs du sport et au regretté Davide Astori. La redistribution d’une bonne partie des primes de victoire des joueurs (plus de 200.000€ chacun) à des actions contre le Covid-19. L’adoption sportive de Matteo Berrettini, premier tennisman italien à atteindre la finale de Wimbledon et embarqué par la délégation de la sélection pour le retour au pays, le passage au Palazzo Quirinale et la parade dans Rome, inventant un superbe symbole pour le sport italien. Voir les scènes de liesse, les drapeaux et les klaxons via Borgo Palazzo à Bergame, là où il y a un an et demi le monde découvrait en avant-première à travers des vidéos les effets du virus et les convois de camions militaires charriant des cercueils par centaines.

Plus près du terrain, Marco Verratti s’est offert une rédemption. Daniele De Rossi a effacé le souvenir de son engueulade avec Giampiero Ventura lors d’Italie-Suède en fêtant comme un joueur de cette équipe le titre à grandes glissades sur les tables du vestiaire. Gianluca Vialli est revenu de loin, d’un état de santé extrêmement précaire, pour finalement vivre une aventure inoubliable avec son frère de coeur Roberto Mancini.

Le même Roberto Mancini qui lui a pris soin, en plus de tenir toutes ses promesses, de faire participer tout le monde à ce succès. Seul Alex Meret, 3e gardien, n’aura pas pu fouler la pelouse. Mais même Sirigu, si précieux au groupe, sera entré contre le Pays de Galles. Matteo Pessina, hors de la liste initiale, a marqué, s’est trouvé une place. Idem pour Bryan Cristante ou Castrovilli. Federico Bernardeschi, tellement inattendu et décrié, aura été l’un des indispensables du vestiaire, pour la vie du groupe, pour délester d’autres de la pression dans les séances de tirs au but.

Plus largement, il n’y aura jamais eu de problèmes de gestion ou d’égo, comme en atteste la passation sans accroc entre un Locatelli en pleine bourre et Verratti à partir du 3e match. Et enfin, il y aura eu Leonardo Spinazzola. Tout un symbole. Joueur pétri de talent, qui n’aura pas pu poursuivre son rêve de jouer sur le long terme pour la Juve à cause de ses blessures à répétition. Arrivé avec l’intention d’en faire voir de toutes les couleurs à l’Europe, et c’est chose faite. Blessé lors du quart contre la Belgique, et devenu l’élément qui a achevé de souder l’équipe au moment où les choses se compliquaient.

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Immense sans-faute du point de vue humain et de l’image dégagée par ce groupe. Et ne vous y trompez pas, image parfaite ne veut pas dire lisse. On connaissait la personnalité des vieux briscards du groupe, Chiellini en tête qui en aura fait de belles dans cet Euro à Saka ou Jordi Alba. Qui aura été le garde-fou d’un Locatelli dévasté après son tir au but raté en demie. Mais il y aura aussi eu l’espèce de simplicité noble de Chiesa, notamment dans sa célébration du titre, ou le rôle de petit frère du groupe de Raspadori. Sans oublier que tout avait commencé avec cette émission pré-Euro surréaliste sur la RAI où Insigne et Immobile, les deux grands enfants de l’équipe, se sont retrouvés à faire du rap entre un match de babyfoot et des échanges improbables pendant 3 heures d’antenne.

Toute l’Europe et l’Angleterre en tête a goûté au caractère revanchard de Bonucci scandant le «it’s coming Rome» et les invitant à aller manger plus de pâtes. Di Lorenzo, en bon Napolitain, a célébré clope au bec façon Sarri ce titre. Et c’est sans doute Nicolo Barella qui a clôt le festival, lunettes de soleil cachant les yeux rougis par les festivités, en s’envoyant une bière en douce dans le dos du président de la République en pleine réception officielle. Ils auront tout fait, de ce qu’il y a de plus noble à enfantin, de très humain. Et donc de proche de ceux qui les soutiennent. Qui justifie sans doute les messages individualisés à tous les joueurs d’un Del Piero ému aux larmes par ce titre.

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Ce qui est fou avec cette équipe, c’est qu’elle n’a oublié personne. Ses joueurs, son staff, ses valeurs, ses idées, ses anciens membres, les amoureux du beau jeu, les Italiens, petits et grands, et même ceux qui ne sont plus là. D’habitude, on dirait que celui qui se distingue par sa réussite et son humanité est «uno di noi». On attirerait à soi un élément qui se distingue car il nous plaît. Mais là, ce sont eux qui font de vous l’un des leurs, qui que vous soyez, vous emportant dans leur sillage. Une équipe qui saute les barrières de l’antagonisme et des rivalités une à une pour conquérir le respect de tous. La marque des très grands, et l’assurance que l’Italie a tout gagné. Et nous un très beau champion.

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