Euro 2020 : et si la vraie star, c’était l’équipe ?

Compliqué d’affirmer avant la finale qui a été le meilleur joueur de l’Euro 2020. Pour cause. Que ce soit l’Italie, l’Espagne ou encore le Danemark, ce sont avant tout les collectifs qui ont brillé lors de la compétition, valorisant des plans de jeu bien définis, même si certaines équipes font exception.  

Par Arthur Picard et Anna Carreau

On attendait la France de Benzema, le Portugal de Ronaldo ou encore la Belgique de Lukaku. Finalement, aucune de ces trois nations favorites n’a atteint le dernier carré, portée avant tout par une addition de stars plus que par un projet collectif abouti. Au contraire, depuis le 11 juin dernier, de nombreuses équipes se sont révélées grâce à la qualité de leur jeu et des idées collectives qui priment sur les fulgurances individuelles de certains. Alors que l’Italie nous régale depuis le match d’ouverture, d’autres équipes comme l’Espagne ou le Danemark se sont fait une place en demi-finales avec comme seul star le collectif au service d’une idée. Des projets de jeu qui viennent poser la question de la place du collectif et des stars en équipe nationale, avec au cœur du sujet l’identité de jeu.

La star, c’est le coach

Plus que jamais, l’Euro 2020 a été celui des entraîneurs pour les nations ayant réalisé un parcours satisfaisant. Ils se sont distingués comme les individualités marquantes de leur effectif. Voir l’Espagne et le Danemark dans le dernier carré ou l’Ukraine parmi les huit meilleures équipes du continent n’était pas une évidence. La rigueur tactique affichée par ces équipes a permis de progresser rapidement, cela même après un début de compétition poussif, voire mauvais. La Roja n’a pas changé son plan de jeu avant de trouver l’ouverture face à la Slovaquie (5-0) tout comme les Danois n’ont pas renié leurs idées avant la victoire éclatante face à la Russie (4-1). 

Si tout n’a pas été parfait pour l’Espagne de Luis Enrique, l’ancien coach de Barcelone est resté fidèle à ses principes. Malgré les difficultés liées à la Covid-19 en début de tournoi, l’équipe est arrivée soudée, guidée par sa philosophie de jeu. Critiquée pour son incapacité à marquer face à la Suède (0-0) et la Pologne (1-1) dans un premier temps, l’Espagne est montée en puissance jusqu’à cette demi-finale perdue aux tirs au but face à l’Italie. Une fois de plus, les Espagnols ont péché dans la création d’occasions dangereuses, mais leur maîtrise du ballon permet de vivre la partie dans le camp adverse, loin de son propre but. L’effectif ne comportait pas de grande star et c’est la raison pour laquelle Luis Enrique s’est avant tout appuyé sur un groupe à l’écoute de ses idées. 

Ce dernier évoquait lui-même le fait que les 24 convoqués étaient potentiellement des titulaires. Qu’importe les joueurs sur le terrain, la philosophie reste la même avec cette impression que chacun se plie aux volontés de l’entraîneur et à celles du collectif. L’Italie de Roberto Mancini dégage sensiblement la même aura. Lorsque Marco Verratti laisse sa place à Manuel Locatelli ou Matteo Pessina, la différence dans le jeu ne se fait que très peu ressentir malgré le profil différent des joueurs. Rome ne s’est pas construite en un jour, de la même manière que le travail d’un sélectionneur s’effectue bien avant le mois de juin.

Adaptation, tactique et jeu collectif : la valorisation de l’équipe

Le sélectionneur dispose avec son équipe nationale de beaucoup moins de temps pour construire son équipe qu’en club. Il ne peut pas recruter à tout-va pour modeler son effectif et doit logiquement s’adapter aux joueurs à sa disposition pour représenter la nation. Le réservoir n’est pas le même partout. Même sans star, il est plus facile de viser loin avec des joueurs qui se rapprochent du haut du panier et l’Espagne ou l’Italie seront souvent les plus à même de se hisser parmi les meilleures équipes. Le sélectionneur aura toujours l’obligation de choisir les meilleurs joueurs, et ainsi de construire un plan de jeu à partir des éléments à sa disposition.

Louis Van Gaal disait ce vendredi dans une interview à L’Équipe : «La qualité de vos joueurs est plus importante que le système, il faut donc adapter votre système à votre effectif.» Avant de préciser que l’équipe primait sur le reste, et donc sur la nécessité de ne pas laisser les individualités au centre du système. Le sélectionneur doit fabriquer en fonction de la matière qu’il a sous la main, tout en essayant de trouver un équilibre tactique entre les différents rassemblements. Cet équilibre est primordial pour garder une continuité avec l’équipe nationale entre les différentes périodes de l’année et s’adapter aux absences ou aux mauvais états de forme. Une équipe sera bien plus constante et performante en ayant trouvé sa formule, tandis que celle qui change de dispositif entre chaque match se retrouve rapidement en manque de repères, comme ce fût le cas avec les Bleus.

L’intégration de nouveaux éléments dans l’équipe nationale se fait donc avec beaucoup plus de facilité lorsque la tactique est définie et que chaque joueur connaît le rôle pour lequel il est appelé. C’est notamment la raison pour laquelle Aymeric Laporte s’est parfaitement fondu dans le collectif espagnol tandis que Jules Koundé était perdu sur le côté droit face au Portugal. Ces individualités n’ont pas toujours la carrure de star mais se trouvent plus facilement au sein du collectif. Il est alors plus facile d’évoluer lorsque le sentiment d’adhérence au groupe est plus fort.

Marco Verratti déclarait, avant d’entamer l’Euro 2020, qu’il acceptait une place de remplaçant si cela pouvait permettre à son équipe d’aller loin. Une nouvelle fois, l’exemple de l’Italie est révélateur. Les joueurs sont rangés derrière Roberto Mancini. Louis Van Gaal en dit d’ailleurs ceci : «Pour moi, les Italiens avaient la meilleure équipe. Ils ont des joueurs de qualité, n’importe qui peut marquer, et ils jouent en équipe justement.»

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Le cycle entamé suite à l’échec de la Coupe du monde 2018 porte ses fruits, avec un style de jeu qui diffère de ce que pouvait proposer l’Italie par le passé. Luis Enrique n’a lui pas drastiquement modifié le jeu de la sélection. Il est tout de même parvenu à entamer le nouveau cycle tant attendu en Espagne avec le meilleur résultat depuis 2012, résultat sur lequel les Espagnols pourront s’appuyer pour la suite. L’identité danoise se transmet entre les différentes générations. Les jeunes de Albert Capellas lors de l’Euro U21 ont également montré un jeu fait de pressing haut et de possession grâce à leur jeu de position. Les joueurs ont su s’adapter au changement de système en gardant la même identité, avec Damsgaard en tant que remplaçant d’Eriksen à la création et des pistons déterminants.

Schéma flexible, tactique peu lisible et reposant sur ses individualités : la valorisation des meilleurs éléments

Le sélectionneur doit construire son équipe avec ses meilleurs éléments. Il peut donc être tenté de faire jouer en priorité ses «stars» et de chercher à toutes les faire entrer dans un XI. À l’image de l’armada offensive française que «tous les pays nous envient». Didier Deschamps a changé de système et d’animation offensive au dernier moment pour faire «jouer ensemble» les 3 fantastiques Mbappé, Griezmann, Benzema. Des joueurs qui, si on y regarde bien, ont des profils assez peu complémentaires. La difficulté est là. Avoir de très bons joueurs est une chance pour une sélection, mais une nation est avant tout une équipe. Il faut donc faire en sorte que chacun ait un rôle défini, qu’il se tienne à un poste avec des tâches qui lui sont demandées, tout Karim Benzema ou Kylian Mbappé qu’il est. 

Le problème reste que le plan de jeu repose entièrement sur les exploits individuels. Une blessure ou un passage à vide d’une des fortes individualités entraînent la défaillance de toute l’équipe. Et on va même souvent jusqu’à rendre responsables ces joueurs pour les échecs de l’équipe, alors que le football est avant tout un sport collectif et qu’un joueur ne devrait pas être le seul pilier d’une sélection. La faute revient en réalité plus souvent aux coaches qu’aux joueurs, qui, pensant leur créer un système confortable où ils sont les uniques protagonistes des rencontres, se retrouvent en situation d’échec.

Dans un système pensé autour de quelques joueurs, la défaillance individuelle devient vite une défaillance collective. L’essentiel du jeu de la Belgique était par exemple porté par l’attaque, et donc Lukaku, Hazard et De Bruyne. Quand les deux derniers sont blessés, l’attaquant de l’Inter assume pratiquement seul l’animation offensive belge et le sélectionneur préfère même faire jouer KDB sur une jambe plutôt que de le remplacer. Sans doute par crainte que personne ne puisse prendre son rôle, si tant est qu’il ait été défini auparavant. 

Pour autant, s’il est logique de vouloir profiter de ses plus grands joueurs en sélection, eux aussi nécessitent un plan de jeu clair à partir duquel ils peuvent construire pour ensuite faire la différence avec leur talent. L’absence de réussite de ce «plan» conduit les individualités à prendre davantage de responsabilités afin de porter l’équipe, quitte à dépasser leurs propres fonctions, assez floues, pour apporter davantage de déséquilibre. Un déséquilibre qui peut se payer cash si l’équipe dans son entièreté n’a pas été préparée à le combler. L’Angleterre joue de ce déséquilibre avec son côté gauche Luke Shaw – Raheem Sterling d’où provient la majorité de ses attaques.

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Avec le XI de Southgate quasi immuable et la difficulté à être dangereux sans Kane et Sterling, les Three Lions pourraient être rangés dans cette catégorie d’équipes qui reposent sur leurs individualités. Il existe tout de même une certaine cohérence liée à l’uniformité de l’effectif, majoritairement issu de Premier League avec donc quelques qualités communes. Le plan de jeu reste vague -Southgate se vantait lui-même de sa polyvalence tactique- et chaque secteur a ses individualités fortes, laissant apparaître un semblant d’équipe, basée avant tout sur la solidité de sa défense avec un seul but encaissé avant la finale.

Dans ces conditions, il est moins question d’équipe que de performances individuelles au sein d’un collectif, à l’image de ce qu’a pu être Maradona avec l’Argentine à certains moments. Le sélectionneur «construit» autour d’individualités éphémères avec l’intention qu’elles suffisent à faire gagner l’équipe. Un discours qui ne convient pas à Van Gaal : «La meilleure équipe devrait toujours l’emporter, pas les meilleures individualités. Les Pays-Bas ont plein de joueurs fantastiques mais sur ce match, on ne les a pas vus (face à la République tchèque, 0-2, ndlr). Il faut se demander pourquoi. Ça vaut aussi pour la France ou le Portugal : pour moi, ce ne sont pas des équipes mais une addition d’individualités.»

Faut-il que la star soit l’équipe pour gagner ?

Les amoureux du beau jeu, ceux qui se sont régalés devant les matches du Danemark ou de l’Italie durant cet Euro 2020, seraient tentés de souhaiter que ceux qui mettent en avant le collectif soient récompensés. Telle une vérité implacable qui viendrait classifier les «bonnes» et les «mauvaises» sélections selon leur approche du jeu. Mais il est nécessaire de rappeler qu’une équipe nationale dispose de moins de temps pour travailler, et qu’il serait hypocrite de pointer du doigt certaines sélections qui viennent faire passer les résultats avant le jeu, souvent au détriment du collectif.

La sélection peut parfois aggraver cette notion d’urgence de résultats avec des formats de compétitions internationales qui demandent à être opérationnel immédiatement, là où une saison en club est beaucoup plus longue. Et plus qu’en club, la sélection est souvent une question de contexte. Quand Roberto Martinez décide de faire jouer Hazard, De Bruyne et Lukaku ensemble, c’est aussi parce qu’il sait que cette génération dorée est la plus belle chance de résultats pour une Belgique qui espère beaucoup de ces trois-là. 

Développer une identité de jeu demande du temps et une volonté commune de toute une fédération, bien au-delà de la sélection qui va représenter le pays lors des grandes compétitions. L’équipe première ne devient alors qu’une vitrine de la formation locale et de l’identité développée dans les équipes nationales inférieures. À l’image de ce qu’a pu faire le Danemark. Pour autant, est-ce que les supporters de chaque pays attendent de leur nation un tel projet de jeu ? Pas forcément et même plutôt non. En France, il y a cette réclamation récente de la création d’un vrai collectif avec une lisibilité tactique après l’échec des Bleus à l’Euro et le tâtonnement de Deschamps. Mais cela reste un discours peu adapté au «grand public», du moins en France. Les résultats procurent de l’émotion, donc si le fond de jeu est critiquable mais que l’équipe gagne, la remise en question est souvent compliquée.

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Cette question du contexte est un argument à prendre en compte, que l’on soit pour ou contre l’idée de jeu en sélection. Avec un exemple qui se contredit tout seul : lorsque Deschamps arrive à la tête de l’équipe de France en 2012, il a cette nécessité de gagner pour «regagner le cœur des Français» déçus après le fiasco de Knysna. Si l’urgence de l’époque avait contraint DD à exploiter ses individualités plutôt que de construire un collectif, neuf ans après, le plan de jeu est toujours difficilement lisible. Pourtant depuis, la France a été championne du monde et vice-championne d’Europe. Cet argument du contexte reste donc lui-même à modérer, puisque s’il on prend les deux finalistes du soir, chacun aurait de bonnes raisons de ne miser que sur les résultats : l’Italie après sa non-qualification au Mondial 2018 ou l’Angleterre qui attend un titre depuis 55 ans. Les deux nations nous offriront finalement un duel entre deux modèles distincts.

L’identité de jeu en sélection ne sera jamais la seule clé de la réussite, et les contre-exemples sont nombreux, à commencer par l’Angleterre en cas de titre ce soir. En revanche, si le trophée termine entre les mains de la Nazionale, alors oui, la star de cet Euro 2020 sera définitivement l’équipe.

Crédit photo : LaPresse / Icon Sport – Italie-Espagne Euro 2020

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