Karim Benzema, l’opinion publique m’a tuer

Acteur des pires déboires du football français, protagoniste des égarements judiciaires d’une bande de jeunes au talent certain, Karim Benzema traîne derrière lui un passé accablant et traumatisant. Banni, détesté ou adulé, il est l’icône d’une génération aux promesses dévastées et aux espoirs ruinés. Mais est-il vraiment le seul responsable de cette situation ? Est-il possible qu’un seul homme porte un casier judiciaire, ou plutôt un casier moral, aussi lourd, aussi écrasant, aussi assassin ? Nulle volonté ici de raviver la croyance d’un possible retour de Karim Benzema en Equipe de France mais simplement de s’interroger et de comprendre tous les mécanismes de l’entreprise qui a mené à sa chute.

Il y a des plaisirs plus forts que les autres, des plaisirs où l’on engage notre personne sans même nous en apercevoir, où l’on met en jeu nos sentiments, nos peines et nos espoirs parce qu’il n’y a qu’eux, que ces plaisirs pareils à des drogues, que ces plaisirs si importants dans la vie d’un homme qu’on serait prêt à tout, même à se battre, pour les sauvegarder. S’il est une chose de sûre, c’est que le football fait partie de ces plaisirs, de ces petites choses érigées en rendez-vous indispensables tant elles sont précieuses pour notre bonheur. On parle d’ailleurs souvent du football, et du sport en général, comme d’une catharsis, une purgation des passions, un véritable défouloir. Ces passions sont justement celles qui nous font sourire sans raison devant les exploits de notre équipe ou qui nous font pleurer sans honte face aux défaites que l’on peut subir. Mais ces passions sont aussi celles qui nous font bondir, réfléchir, parler, déblatérer, débattre, insulter, regretter, pardonner. Ces passions sont celles qui nous font discuter de sujets qui dépassent largement le cadre du football, qui nous font prendre des positions, parfois radicales, face à des polémiques que les créateurs du football n’auraient pas imaginé un jour voir s’immiscer dans leur sport. Karim Benzema est au croisement de toutes ces passions.

Il nous a fait sourire lors de ses débuts avec l’Olympique Lyonnais, il nous a fait pleurer lors des échecs lamentables de l’Equipe de France, il nous a fait débattre lors de ces polémiques extra-sportives qui ont modifié à tout jamais son destin. Le problème de Karim Benzema est que ces polémiques ont éclipsé au fur et à mesure son talent, son travail et tout simplement ce pourquoi il était connu. Aujourd’hui Karim Benzema n’est plus un joueur de football, mais le joueur de football qui a baigné dans une affaire de sextape. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment a-t-on fait pour bouleverser à ce point l’image que l’on avait d’un joueur, pour troquer la figure du prodige contre celle du délinquant ? La réponse procède certainement de la combinaison de prestations mitigées, d’un comportement pas irréprochable mais aussi d’une volonté de faire payer à quelqu’un les déboires d’une génération devenue l’objet d’une véritable chasse à l’homme.

2008, 2010, 2012. Pendant que l’Espagne régnait sur le monde entier, l’Equipe de France repoussait encore un peu plus les limites du ridicule, laissant tout un peuple orphelin d’une équipe censée le représenter fièrement. Petit à petit, le fossé se creuse entre une équipe humiliante et un pays humilié et les coupables sont vites pointés du doigt, Nasri, Ribéry et Benzema en têtes de gondole. On peut déjà se demander pourquoi ces trois-là. Du racisme ? Peut-être. Des comportements peu appropriés ? Certainement. Et cela est d’autant plus vrai quand en 2010, Karim Benzema et Franck Ribéry sont mis en examen dans le cadre de l’affaire Zahia. Puis les années passent et les brebis galeuses ne sont plus conviées dans le groupe sauf deux d’entre elles : Ribéry et Benzema. Détestés mais talentueux, l’opportunisme est à son paroxysme. Car les Français ont une mémoire à capacité variable et voient en Ribéry et Benzema les deux représentants des derniers échecs de l’équipe nationale.

Alors quand les blessures de Franck Ribéry l’éloignent de l’Equipe de France, il ne reste plus qu’un seul représentant de cette génération qui a tout raté : Karim Benzema. Il y a certainement ici l’un des points les plus importants de la détestation de l’attaquant du Real Madrid : il a payé et continue encore de payer pour tous ces joueurs qui ont failli lamentablement à leur tâche. Karim Benzema n’est certainement pas innocent mais encaisse plus qu’il ne devrait, il a joué au mauvais moment dans la mauvaise équipe. Remarquez d’ailleurs la clémence appliquée à la génération suivante et notamment à Kingsley Coman, coupable de violences conjugales et pourtant régulièrement sélectionné, jamais réprouvé. Le pire dans ce jugement public à deux vitesses est certainement la non-distinction entre l’inculpé et le coupable, une non-distinction qui a fait de Karim Benzema, l’ennemi public numéro 1 du foot français…

On en arrive ici à la partie la plus intéressante du cas Benzema. Car non Karim Benzema n’a pas été irréprochable sportivement, non Karim Benzema n’a pas eu un comportement des plus respectueux, oui Karim Benzema a dû s’expliquer devant les juges dans le cadre de l’affaire Zahia et oui Karim Benzema s’est tiré une balle dans le pied avec cette affaire de la sextape. Et si sur le plan sportif, il a certainement payé pour d’autres, sur le plan judiciaire, Karim Benzema est victime de l’échec de la présomption d’innocence, victime d’une opinion publique qui associe trop vite l’inculpé au coupable, le soupçon au fait. Quatre ans après sa mise en examen pour l’affaire Zahia, l’attaquant du Real Madrid est relaxé par le Tribunal Correctionnel de Paris.

Pourtant il restera pour toujours, avec Franck Ribéry, la personne associée à l’affaire Zahia. Le problème est le même dans l’affaire de la sextape. Si aujourd’hui Karim Benzema est en ballottage très favorable dans ce dossier, il restera aux yeux de la foule celui qui a joué un rôle fondamental dans cette affaire de chantage, on se souviendra uniquement de son nom. Karim Benzema est ici confronté à un phénomène que son avocat, Éric Dupont Moretti, rencontre assez souvent : l’échec de la présomption d’innocence. À partir du moment où quelqu’un est cité dans une affaire, il est aux yeux du public associé à cette affaire comme s’il était coupable. La foule juge et punit bien plus violemment que la justice.

On pourrait alors reprocher pour les mêmes motifs à Noël Le Graët sa décision d’écarter Benzema de l’Equipe de France mais on peut aussi voir dans ce choix une certaine bienveillance envers l’équipe nationale, d’autant plus que la mise à l’écart de l’attaquant madrilène n’était que provisoire. Or, depuis les dernières évolutions de l’affaire en faveur de Karim Benzema, il n’y a eu aucun changement, aucune décision ni même aucune parole autour d’un éventuel retour. Cette volonté de non-réinsertion est sans aucun doute due, outre une communication 2.0 plus que borderline, à une opinion publique qui voit en l’ancien numéro 9 de l’Equipe de France un délinquant plus qu’un joueur de foot. Car il faut bien comprendre que le jugement moral de la foule résiste au temps bien plus que le jugement institutionnel de la Justice. Et cette peine que la foule lui a infligée, cette image dégradante qu’il portera à perpétuité, jamais Karim Benzema ne pourra la purger, jamais Karim Benzema ne pourra la quitter. En attendant, il reste un joueur frustré qui n’a plus que les réseaux sociaux pour s’exprimer, un joueur aux promesses dorées pour qui rien ne s’est passé comme on l’annonçait, un joueur qui de chez lui pourra ruminer son comportement et celui de son pays car s’il ne devait y avoir dans cette histoire qu’un seul perdant, ce ne serait pas l’Equipe de France mais bien Karim Benzema.

 

Photo credits : FRANCK FIFE / AFP

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Quand les gens sont d'accords avec moi, j'ai toujours le sentiment que je dois me tromper.