Nous sommes à la 55ème minute du match entre Fenerbahçe et Besiktas, une rencontre qui vaut une place en finale de coupe de Turquie. Après un 2-2 à l’aller, les Canaris de Fener sont en position de force pour se qualifier et affronter le modeste club de Akhisar au dernier tour. Alors, en supériorité numérique depuis la 29ème minute et l’expulsion du Portugais Pepe, Fenerbahçe va pousser dans une partie qui lui semble promise. Mais l’histoire va être différente et va amener le match dans un univers parallèle. Récit du match de la honte.
Honte aux supporters
Dans un contexte toujours particulier entre les deux clubs stambouliotes, l’ambiance est toujours très électrique. Le fameux folklore local comme on aime à l’appeler a aujourd’hui dépassé les limites. Le match entre Fenerbahçe et Besiktas a été arrêté par l’arbitre de la rencontre à la 55ème minute. Cette fois-ci, il ne pouvait pas faire autrement. Les multiples briquets lancés sur Quaresma n’ont pas eu raison de sa patience mais le projectile à destination de Senol Gunes a arrêté le match de manière définitive. L’entraîneur de Besiktas va recevoir un objet sur la tête. Ensanglanté et choqué par ce qui vient de se passer, le technicien turc va recevoir cinq points de suture et va être transporté à l’hôpital le plus proche pour recevoir des soins complémentaires. De nombreux incidents ont déjà touché des joueurs mais très rarement un entraîneur. En Turquie, on ne rigole pas avec les personnes plus âgées surtout quand on sait l’importance qu’a Senol Gunes au pays. Cet incident risque d’avoir des répercussions très grave pour le football turc, et surtout à Fenerbahçe.
NTV SON DAKİKA! pic.twitter.com/qwgKuTyaMm
— Beşiktaş GO (@besiktasgo) April 19, 2018
Le cas de Selon Gunes est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Au-delà de la gravité de l’incident, c’est surtout la répétition et la banalisation des actes dangereux qui sont pointés du doigt. Si c’est Fenerbahçe qui risque une grosse sanction, la majorité des clubs turcs ont aussi contribué à ce climat délétère. Besiktas, Galatasaray ou Trabzonspor ne sont pas exempts de tout reproche. On se rappelle de la bouteille en verre jetée en direction de Lugano lors d’un Gala – Fener ou du visage ensanglanté d’un dirigeant de Mener après un Besiktas – Fenerbahçe. Chaque gros match est devenu une bombe à retardement et aujourd’hui, elle a éclaté aux yeux du monde.
L’année dernière, notre dirigeant Hasan Çetinkaya s’était ouvert le crane à cause d’un projectile lancé par les supporters de Beşiktaş au Vodafone Park.
Le match avait continué. pic.twitter.com/jx6C7YbWwh
— Fenerbahçe France (@Fenerbahce__FR) April 19, 2018
Les matchs entre les Aigles noirs et les Canaris se sont toujours disputés dans un contexte très particulier. Le règne de Besiktas a attisé une haine encore plus grande entre les deux clubs. Rajoutez les signatures de Gokhan Gonul et Caner Erkin (deux anciens de Fenerbahçe) et vous obtenez une ambiance de guerre civile à chaque match. Le carton rouge de Pepe à l’heure de jeu avait mis de l’huile sur le feu, ses applaudissements ironique envers le public du Sukru Saracoglu vont définitivement chauffer les supporters des Jaune et Bleu. L’irréparable va avoir lieu et c’est tout le football turc qui s’arrache les cheveux. Après les événements en Grèce, un autre championnat connu pour ses controverses se voit être dans la tourmente, c’est aussi tout un système qui est fautif.
Mais où est la police ?
Malgré des moyens exceptionnels mis en oeuvre pour chaque match, rien n’empêche la violence présente durant ces matchs. Hier soir, la police anti-émeute était pourtant bien là, mais rien à faire, les voyous arrivent toujours à semer le trouble. Le problème devient politique et ne concerne plus seulement les instances du football turc. Ces incidents pointent un autre problème, l’utilisation du Passolig. Ce précieux sésame permet à chaque supporter de se rendre au stade. Sans celui-ci, il est impossible pour une personne d’entrer dans une enceinte turque. Cette carte de crédit permet au gouvernement d’Erdogan d’avoir une fiche de suivi de chaque personne entrant au stade. Ce pass a été mis en place à la base pour surveiller les potentiels opposants au président turc, et ainsi les retrouver rapidement. Un système performant d’après le gouvernement, mais qui n’est que très rarement mis en pratique pour retrouver les idiots qui lancent des projectiles sur les joueurs adversaires et les staffs techniques. Un constat saisissant qui montre les problèmes d’organisations à ce niveau.
L’apathie générale des dirigeants du football turc pour trouver des solutions est le plus grave. Les sanctions financières et autres retraits de points ne suffisent plus à calmer les supporters dans leurs bêtises, et pourtant aucune autre décision n’est prise. Le cas de Selon Gunes n’était qu’une question de temps, un drame d’une autre envergure a peut-être été évité ainsi. La folie en tribune dépasse les limites de l’entendement, des incidents beaucoup plus grave auraient pu avoir lieu. Surtout que dans le cas de l’entraîneur de Besiktas, il s’agit d’une des personnes les plus appréciées dans le paysage du football turc et un des deux meilleurs entraîneurs turcs de l’histoire. Respecter et aduler dans toute la Turquie, le sélectionneur est un homme qui a laissé une bonne image partout où il est allé. Trabzonspor n’a pas hésité à rendre hommage à son ancien coach, ancien gardien mais surtout enfant de Trabzon. Alors que la rivalité avec Besiktas ne fait que s’accroître, l’ancien club de Selon Gunes s’est montré solidaire avec celui qui a donné de sa vie pour ce club. Son ancien milieu à Trabzonspor, Didier Zokora a montré son soutien envers son mentor sur Twitter.
Big coach Şenol Güneş! Get well soon. pic.twitter.com/uDRiKwsFIN
— Didier Zokora (@dzokora5) April 19, 2018
Des sanctions sont attendues contre l’équipe de Fenerbahçe. L’arrêt définitif du match devrait logiquement permettre à Besiktas de l’emporter sur tapis vert et de se qualifier pour la finale de la coupe de Turquie. Un potentiel huis-clos sur une longue période est envisageable vue la teneur des incidents. A titre de comparaison, Boca Juniors avait été disqualifié de la Copa Libertadores après l’utilisation de gaz poivré de la part des supporters Xeneize dans le tunnel, un acte qui visait directement les joueurs de River Plate. En plus de cette disqualification, le club devait s’acquitter d’une amende de 200 000 dollars et de quatre matchs à huit-clos. Une sanction jugée « gentille » par les autres clubs tant les incidents étaient impressionnants. Il ne serait pas étonnant de voir les Canaris écoper d’une sanction du même acabit. Une triste publicité pour un championnat qui essaye de se faire une place au soleil depuis quelques années.
Crédit photo : STRINGER / AFP