Il était l’un des plus grands, il le sera désormais pour toujours. Cette décision semblait évidente depuis plusieurs années mais lui paraissait immortel, comme lié à jamais à ce club. Arsène Wenger a annoncé aujourd’hui qu’il allait quitter Arsenal, le moment est venu de lui rendre hommage.
« Arsène who ? ». C’est par ces termes que l’Evening Standard avait accueilli Arsène Wenger en 1996 lors de son arrivée à Londres, comme une manière de montrer que l’Angleterre ne sera pas clémente et ne fera pas de cadeaux au nouvel arrivant… C’est pourtant elle qui en a reçu un ce jour-là.
Vingt-deux années plus tard, les réticences de 1996 peuvent se faire toutes petites car elles ont en réalité annoncer le contraire de ce qu’il s’est passé : on attendait un entraîneur qui ne connaissait rien à ce championnat, Arsène Wenger se l’est approprié pour le rendre meilleur. Promoteur d’un football généreux et offensif, l’entraîneur alsacien a fait découvrir à l’Angleterre un nouveau style, plus propre, plus beau, plus proche des standards esthétiques que venait de fixer à cette époque le FC Barcelone, un football libéré où le travail est avant tout basé sur le collectif, sur la passe, sur le geste. Les plus jeunes retiendront le but de Wilshere face à Norwich après cet enchaînement improbable de passe, les autres retiendront le but de Bergkamp contre Newcastle où dans un geste inventé, l’attaquant hollandais a exposé tout l’étendue des saveurs du football de Wenger, du collectif à l’individuel, de la générosité à la jouissance.
Il y aura eu des moments compliqués et c’est d’ailleurs ce qui occupait l’esprit des supporters ou même des moqueurs ces derniers temps : une inlassable quatrième place, une disette de trophées et surtout le souvenir, le souvenir des années passées, d’une gloire reconquise, de joueurs héroïques. Le souvenir que l’on ravive parfois comme ce soir de janvier 2012 où le même Thierry Henry que quelques années auparavant, la barbe en plus, inscrit un but similaire à ceux qu’il avait l’habitude de marquer, ces fameux plats du pied droit qui ont fait rêver tant de gamins qui s’achetaient alors des maillots floqués du numéro 14. Mais ces souvenirs que l’on a agité ces derniers mois pour stigmatiser encore un peu plus les échecs d’Arsène Wenger, ce sont d’abord les siens. Il ne faut pas s’y tromper, c’est lui qui a construit cet Arsenal là, invincible, jeune et audacieux. C’est lui qui a permis à de nombreux jeunes de se révéler au monde entier et c’est encore lui qui a introduit sa propre philosophie de jeu dans un championnat plutôt fermé. Arsène Wenger est un pionnier que l’originalité et l’unicité n’effraient pas. Arsène Wenger est un punching-ball que la critique et l’intimidation ne changent pas.
D’ailleurs, que restera-t-il de ces critiques dans un moment si particulier ? On pourra toujours attaquer son bilan mais aujourd’hui, même ceux qui l’ont blâmé ne pourront rien faire d’autre que de se soumettre à l’unisson qui va régner lors des prochaines journées. Cet unisson, c’est l’harmonie de tout un peuple qui va célébrer celui qui aura été leur maître pendant vingt-deux ans, celui qui les aura accompagnés dans leurs joies comme dans leurs désillusions. Et ce peuple-là s’étend bien au-delà du Nord de Londres, bien au-delà des limites mêmes de la capitale, ce peuple-là s’étend à tous ceux qui de près ou de loin ont été touchés une saison, un match, un instant par le football de Wenger. Que l’on soit fan de Mourinho ou admiratif de Ferguson ne change rien, Arsène Wenger fait partie, par sa longévité et par sa rareté, de ces grands du foot face à qui l’on doit faire passer le respect avant la conviction. Ferguson lui-même s’est incliné devant l’entraîneur alsacien. Pourtant l’un de ses grands rivaux, l’un de ceux qui émettaient des doutes à son arrivée, il était le premier à le défendre face aux moqueries ou méchancetés des supporters : « C’est vraiment injuste de le critiquer. Il faut garder en mémoire tout ce qu’il a fait pour Arsenal ».
Garder en mémoire tout ce qu’il a fait pour Arsenal, il ne reste désormais plus que cela à faire. Se souvenir de 1996 et de cet homme presque inconnu, aux petites lunettes de métal et à la veste de costume trop longue, déjà ; cet homme que certains prenaient pour un professeur de langues, loin de toutes capacités footballistiques ; cet homme largement méprisé qui a réussi en moins d’une décennie à rendre sa grandeur à Arsenal.
Lors des prochaines semaines, nous verrons ce que nous n’avons jamais pensé : Arsène Wenger parcourra pour la dernière fois le couloir de l’Emirates Stadium. Chacun de nous lui rendra hommage à sa façon : les joueurs avec une haie d’honneur, les supporters avec un tifo, les amateurs avec une pensée et un regard vers cette statue de bronze plus vraie que nature : immortel comme Arsène Wenger.
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