Décrié et critiqué pour son profil atypique, l’ancien Girondin enchaîne les bonnes performances avec la lanterne rouge de Serie A. Sauveur de Metz la saison dernière, le joueur, prêté au mercato hivernal par Osmanlispor, avait pour mission de réitérer cet exploit. Cette fois-ci, le miracle n’aura pas lieu. Ses sept buts en autant de rencontres n’auront pas suffi, mais il aura longtemps entretenu l’infime espoir de maintien pour Benevento. Cheick Diabaté reste une véritable énigme, un footballeur à part, qui n’en finit plus d’étonner.
Cheick, c’est un style. Inimitable. Sous l’apparente gaucherie d’un géant encombré par ses centimètres sévit une vraie qualité de déplacement qui lui permet d’enfiler les buts comme des perles. « Diabaté Super », titrait le Corriere dello Sport, au lendemain du nouveau doublé du Malien permettant à son équipe de décrocher le point du nul sur la pelouse de Sassuolo (2-2). Après celui face au Chievo Verone (victoire 3-0) et contre la Juventus (défaite 2-4), il venait d’inscrire son troisième doublé consécutif. Il faut remonter à octobre 2001 et Dario Hübner pour retrouver trace d’une telle prestation en Serie A. Déjà lors de son premier match, il avait été tonitruant en offrant la victoire à ses partenaires (contre Crotone 3-2) par un but salvateur dans les arrêts de jeu. En sept matchs de Calcio disputés, dont quatre en tant que titulaire, Diabaté flambe. Il affole les compteurs avec ses sept buts inscrits en seulement dix frappes cadrées. Un ratio à la fois efficace et bluffant pour ce renard des surfaces. Le joueur qui va bientôt fêter ses 30 ans est déjà devenu le meilleur buteur des Stregoni dans l’élite.
Pour autant, ses performances à la pointe de l’attaque n’ont pas pu régler tous les problèmes de son équipe. Le défi était de taille et la marche était bien trop haute. En enregistrant le pire démarrage de l’histoire du championnat italien, le destin de Benevento avait un goût d’inéluctable. Le promu avait, en effet, accumulé quinze revers consécutifs toutes compétitions confondues, dont quatorze en championnat. Grâce à son attaquant, le bon dernier du Calcio n’a toutefois cessé de croire au miracle. Avant le premier match de Diabaté, Benevento affichait un total de sept points. Depuis sa première, le 18 février, l’équipe italienne n’a engrangé que sept autres points, pas assez pour éviter la relégation.
« Le Cheick sans limites »
La fin n’est donc pas celle que l’on espérait, même si le scénario est semblable à celui de l’exercice écoulé. Prêté en janvier par son club turc au FC Metz, il claque huit buts en quatorze matches. Pour son premier match, il inscrit les deux buts victorieux contre Montpellier. Le Malien enfile son costume de super-héros, relègue Mevlüt Erding sur le banc et s’affirme comme l’élément majeur du maintien des Grenats. Un résultat qui va bien au-delà des espérances du club lorrain, qui occupait alors la 18ème place de Ligue 1 à son arrivée.
Souvent moqué pour sa conduite de balle incertaine et une qualité technique qui lui fait parfois défaut, l’attaquant répond donc par ses statistiques. « Quand tu vois Cheick courir pour la première fois, tu te rends compte de toute sa complexité : il boite, son genou est en vrac… Puis, tu le fais jouer et il marque, toujours. Diabaté, c’est un finisseur, il ne va pas voir ce qu’il se passe sur les côtés, il n’a pas une grosse qualité de dribble, pas de vitesse, mais il claque en permanence, dans son style » (Eric Bedouet, préparateur physique des Girondins). Une belle revanche pour celui qui avait fait l’objet de nombreuses critiques quand il jouait aux Girondins de Bordeaux. Malgré ses 66 buts en 152 matchs, on reprochait à l’avant-centre ses incroyables loupés devant les cages. « Tu as marqué, mais tu aurais pu marquer plus », pouvait entendre le joueur à son égard. C’est un triste constat, même dans le football : pourquoi en demander beaucoup à un joueur qui en fait déjà assez ? « C’est con, mais quand vous avez Diabaté dans votre équipe, vous avez plus de chances de gagner. Et cette efficacité fait passer beaucoup d’autres choses au second plan », analysait Philippe Hinschberger dans les colonnes de So Foot.
Le géant malien
Diabaté n’a jamais douté de ses capacités : “j’ai toujours eu confiance, il fallait juste me donner ma chance”. Une assurance qui pourrait passer pour de la suffisance, mais en réalité, s’il en est là aujourd’hui, c’est par son travail et son mental. Ce n’était pourtant pas gagné.
Cheick arrive au centre de formation des Girondins, en provenance du centre de Salif-Keita à 18 ans. « C’était un joueur atypique, qu’on ne retrouve généralement qu’en Angleterre, qui avait des problèmes de coordination ». Le géant évolue d’abord avec l’équipe réserve avant d’être prêté à Ajaccio puis Nancy. Il effectue ensuite ses débuts avec l’équipe première lors de la saison 2010/2011. Comme à son habitude, plutôt que de faire comme tout le monde, il se permet de marquer pas un, mais deux buts pour ses premières réalisations.
Il s’est souvent attiré les foudres du public de Lescure en accumulant les approximations techniques, mais les railleries se sont progressivement éteintes pour faire place à des applaudissements. Diabaté ne s’est pas miraculeusement mué en un renard des surfaces de calibre international, mais grâce à de nombreux départs, il s’est révélé au grand jour dans un rôle de pivot où il excelle. Avec son mètre 94, l’attaquant pèse physiquement sur les défenses, et quand il rate, il s’accroche. Parce que le Malien est un guerrier, un vaillant. En dix ans, il laissera le souvenir d’un joueur indispensable, capable de faire vaciller une rencontre. On retiendra la finale de Coupe de France 2013 contre la terrible équipe d’Evian. Il se permet de rater un penalty et préfère offrir le trophée aux siens en marquant le but victorieux à la 89ème minute, en plus d’avoir ouvert la marque. La saison précédente, Bordeaux se qualifie pour la Ligue Europa en allant s’imposer chez les Verts (2-3). Une fois de plus Cheick Diabaté est grand, il se distingue et plante un doublé. Parti en 2016, le club et ses supporters ne peuvent que regretter d’avoir laissé filer un crack comme lui.
Pas toujours esthétique, certes, mais Cheick mérite toutefois bien plus de reconnaissance, car il fait partie de la grande famille des attaquants et reste malgré tout, un héros incompris. Il est grand temps de le reconnaître à sa juste valeur. L’homme est un courageux, qui, malgré les épreuves telle que la perte de ses parents quand il était jeune, est un concentré de douceur, promenant son éternel sourire comme un devoir moral. Un homme qui ne vit que par amour du football et qui s’est risqué à s’exiler en Europe pour parvenir au haut niveau.
Le joueur n’aura pas réussi l’impossible avec son club, mais il aura contribué à ralentir sa chute. Ce n’est malheureusement pas un sorcier et il ne peut panser les plaies du monde entier. À Benevento, comme à Bordeaux et à Metz, Cheick aura, en tout cas, laissé une trace indélébile. Celle d’un attaquant prolifique qui, contre toute attente, a permis de réaliser les exploits les plus fous.
Crédit photo: Matteo Ciambelli / NurPhoto