Le football perd-il peu à peu sa dimension émotionnelle ?

Un dimanche de juin, à midi, sous un soleil de plomb, accompagné de notre famille et de nos amis, on s’apprête à manger. Et les beaux jours ayant enfin pris place, on en profite pour s’installer sur la terrasse. Trêve de babioles, entrons dans le vif du sujet, à table. Convivialité et bonne humeur sont au rendez-vous. Le repas bat son plein, tant au niveau des mets que des discussions. Comme à chaque retrouvaille, entre deux irremplaçables blagues potaches, ça parle politique. De notre côté, on prend part au débat ou, las, on attend. On attend que la conversation prenne une autre tournure, qu’elle dérive sur un sujet qui nous semble inévitable. D’autant plus à quelques jours de la Coupe du Monde. C’est un secret de polichinelle, nos pensées sont envahies par le football, et quand l’occasion d’en parler se présente, toute autre action que de la saisir paraît alors impensable.

Vient alors le moment d’épiloguer sur le cuir et ses acteurs, au grand dam de certains convives, qui aimeraient eux que cela cesse, bien conscients qu’ils y auront droit des heures durant. Rien à faire. Tous les sujets en lien avec le sport le plus populaire du monde sont passés au crible. Le football n’en finira jamais d’animer les passions. Et la passion ne va pas souvent de pair avec l’objectivité. C’était inéluctable, cette bonne vieille rengaine du tonton en bout de table, se dressant, guidé d’un brin de subjectivité et d’une bonne grosse pincée de nostalgie, et ne pouvant s’empêcher de glisser, partial, le fameux « c’était mieux avant ». Ces quelques mots qui de prime abord nous font dire qu’ils sont tout simplement sortis de la bouche d’un « vieux con » et donc pas à prendre en compte mais qui, après réflexion, poussent à se pencher sur la question.

« Les réseaux sociaux, c’est le plus gros danger pour un joueur aujourd’hui » – Florent Balmont (SoFoot)

Le sport est un fait social total, qui ne manque donc pas d’évoluer conjointement à la société. De ce fait, les mœurs changent et s’adaptent à ceux du monde. Le foot, en tant que sport et non des moindres, ne peut échapper à la règle. Il est ainsi devenu partisan des réseaux sociaux. Des réseaux sociaux sur lesquels les joueurs ne manquent pas de s’exprimer (les desservant dans certains cas), même à des instants et lieux restant habituellement intimes. Venant donc rompre par la même occasion un principe définissable par cette célèbre maxime adaptable au foot : « ce qui se passe dans les vestiaires reste dans les vestiaires ». Et si nous ne sommes pas avisés de critiquer leur emploi tant nous sommes friands des publications sur les différentes plateformes, certains faits laissent à penser qu’ils sont une menace à la spontanéité émotionnelle.

« Quand je perdais un match je cassais tout par frustration. Aujourd’hui les gars perdent, font un selfie et le mettent sur Internet. Ils me dégoûtent » – Gennaro Gattuso

Dans un football où sont apparues des notions devenues essentielles comme le marketing et la communication, beaucoup de choses semblent calculées et une fois encore, moins spontanées. Comme ces moments en aval des matchs où la finalité de celui-ci peut sembler dénué d’importance pour les joueurs, à en croire la réaction de certains sur ces mêmes réseaux. Où certains s’empressent de réagir et de partager afin d’entretenir leurs comptes, à défaut de vivre l’instant, naturellement et sans arrière-pensées calculatrices. Un soin accordé à leurs profils contribuant entre autres à l’individualisation d’une pratique qui se veut collective.

Le débat et les chaînes privées, nuisibles à l’émotion ?

 

Le paysage audiovisuel est aujourd’hui bondé d’émissions sur le foot. C’est à n’en plus finir. A la mi-temps, ou encore après un match, il ne faut pas chercher bien loin pour trouver une émission parlant de foot. Des émissions construites autour du show à travers des débats clivant, des positions binaires et avec un seul et même fil conducteur : l’esprit critique.  La jeune génération baignera donc dans ces rendez-vous au lieu d’apprécier les matchs dans leur forme la plus pure, sans prendre de recul mais en les contemplant de manière insouciante, conduite par les émotions qu’ils procurent.

Mais une triste réalité ne laisse rien présager de tout ça : la disparition du football des chaînes publiques. Au micro d’Europe 1 Maxime Marchon, rédacteur en chef à So Foot, faisait part de ce malheureux constat : « On veut du football gratuit, du football pour tous ». En effet, pour un sport qui se dit être celui du peuple, il faut un sacré budget pour s’octroyer le droit de profiter de toutes les grandes compétitions. Plus le temps passe et plus c’est cher. Donc par induction de plus en plus inaccessible. Du moins légalement. Et si l’on veut que l’amour du ballon rond perdure, c’est un point auquel il faut remédier. Que tout le monde profite du spectacle.

Et puis…

 

Et puis le jour où la pensée de cet article a traversé mon esprit il y a eu la Roma. Et puis le lendemain Real-Juve dicté par toute la dramaturgie qu’on lui connaît. Et puis le surlendemain il y a eu Marseille, dont l’enceinte a rappelé qu’elle n’avait que très peu d’équivalent. Au même moment la rationalité perdait tout son sens à Salzbourg. Et puis on repense à la Remontada, à cette foutue finale de l’Euro 2016, à ces joueurs dont on voit les tripes sur le terrain, les Cavani, Sakai et bien d’autres… Enfin bref, le football n’a de cesse de nous prouver qu’il est le sport où l’émoi peut être le plus intense, malgré tous les défauts qu’il peut comporter.

« On oublie souvent que le football c’est avant tout la création de l’émotion et de la passion » – Marcelo Bielsa

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Mon football ? Celui de Pep (Guardiola pas Génésio)