Pour la deuxième fois en quelques jours, Ivan Rakitić peut entretenir le rêve de tout un pays. Son pied ne tremblera pas. Ni Schmeichel, ni Akinfeev ne briseront son rêve et celui de toute une patrie qui attendait ce moment depuis 20 ans. La Croatie retrouve le dernier carré d’une compétition internationale, deux décennies après Davor Suker et le mondial en France, la bande à Ivan le terrible est de nouveau en demi-finale. Mais l’histoire aurait pu être différente, entre son choix de représenter le pays de ses ancêtres la Croatie plutôt que la Suisse, son pays d’adoption et ce pénalty raté face à la Turquie il y a 10 ans, la carrière de Rakitić a failli prendre un tournant à 360 degrés.
Choix de vie.
Alors que le monde du football s’émoustille en voyant la Croatie retrouver le dernier carré d’une compétition internationale, l’anomalie aurait dû prendre fin il y a dix ans déjà. Direction l’Euro Austro-Suisse de 2008, La Croatie affronte la Turquie en quart de finale. Un match fou qui est entré dans l’histoire. Un affrontement palpitant avec des joueurs de qualité des deux côtés du terrain. Jusqu’au bout de la nuit, Turcs et Croates vont donner toutes leurs forces. Klasnić délivre son peuple à la 119ème minute, Semih Sentürk répond à la 121ème. La séance de tirs au but est lunaire. Darijo Srna est le seul croate à marquer le sien. Luka Modrić rate son penalty, Mladen Petrić et Ivan Rakitić font de même. La Turquie va en demi-finale et la Croatie rappelle qu’elle est une équipe de « chokeur ».
Le destin est cruel pour Mladen Petrić et Ivan Rakitić. Les deux ne sont pas issus de la formation croate et sont parmi les premiers expatriés à porter le maillot à damier. Petrić a beau être né en Bosnie, c’est en Suisse qu’il va faire sa formation. Quant au joueur du FC Barcelone, c’est dans le canton d’Argovie qu’il voit le jour. Rakitić va donner ses premiers caviars en Suisse, dans le club de son père, le NK Pajde Möhlin. Tout un pays croît tenir un futur crack, le joueur vedette qui manquait tant à ce pays qui rêve des sommets. Hakan Yakin n’a pas eu la carrière tant attendue, on mise dorénavant tout sur ce phénomène de précocité. Le petit Ivan va finir sa formation au FC Bâle, accompagné par son ami et compatriote Mladen Petrić.
On rêve de voir les deux joueurs d’origine croate reprendre le flambeau des frères Yakin et Ricardo Cabanas, eux aussi internationaux suisses mais aux origines étrangères. Entre rêve et réalité il n’y a qu’un pas et pourtant, Rakitić ne le franchira jamais. Lui ne jure que pour la Croatie et va réaliser un « affront » envers le pays qui lui a tout donné.
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Non, il ne marchera pas sur les traces de Valon Behrami, Johan Djourou et autre Blerim Dzemaili, jeunes Suisses aux origines étrangères qui ont accepté de représenter la Nati pour le mondial 2006 en Allemagne. Rakitić et Petrić préfèrent enfiler le maillot à damier plutôt que le rouge pimpant. Une décision qui a défrayé la chronique il y a 10 ans. Rares sont les joueurs qui ont tourné le dos à l’équipe nationale helvétique. Mladen Petrić et Ivan Rakitić restent les grandes anomalies de la formation suisse jusqu’à aujourd’hui. Alors que l’immigration n’a jamais été un sujet à controverse en Suisse contrairement à d’autres pays européens, ce revirement de situation entraîne un déferlement de haine. Entre racisme, xénophobie et menaces de mort, les néo-Croates sont considérés comme des traîtres à la nation. Mais la vérité est autre part, les Suisses découvrent une situation nouvelle, à la différence de la France ou l’Allemagne qui ont vécu plus tôt dans leurs histoires de tels cas. Car l’histoire de chaque enfant dont les parents ont déménagé en Suisse est différente. C’est avec le maillot croate que Rakitić va découvrir le niveau international, et disputer sa première compétition internationale… en Suisse durant l’Euro 2008.
Détesté en Suisse, héros en Croatie.
Dix ans après, le sujet fait toujours débat en Suisse. Les affaires Shaqiri et Xhaka durant le mondial ont ravivé la flamme de la double nationalité. Aujourd’hui, le problème des bi-nationaux a émergé après le match face à la Serbie. On s’est rendu compte que les joueurs des Balkans possédaient un lien très fort avec le pays de leurs origines. Les députés cherchent des solutions pour éviter une Rakitić 2.0, au point où les idées les plus machiavéliques vont émerger. Renoncer à la bi-nationalité pour pouvoir être formé en Suisse, remboursement des frais de formation, des idées abjectes qui ne passent pas auprès du Suisse lambda. Onze ans après le Rakitić Gate, aucune réponse n’a été trouvée pour éviter une potentielle fuite des cerveaux. Considéré comme responsable, le milieu du FC Barcelone n’en a plus rien à faire, son attachement à la Nati est maigre dorénavant, il ne jure que pour la Croatie.
Et pourtant, l’histoire aurait dû être tragique. Ce pénalty trop croisé face à la Turquie aurait pu l’anéantir. Avec Modrić et Petrić, ils représentaient l’avenir de la sélection mais aussi un coup de poker de Slaven Bilić. S’appuyer sur des gamins d’une vingtaine d’années pour porter la Croatie est assez osé de la part de la légende croate. Le trio va parfaitement lui rendre en ratant ses tirs au buts face à la Turquie.
Malgré cet épisode tragique, le peuple croate continuera à croire en ses champions. Une décennie plus tard à naviguer entre le bon et le moins bon, la Croatie se cherche. Que ce soit en 2014 au Brésil et en 2016 en France, la bande à Rakitić n’y arrive pas. Ce dernier représente bien l’échec de la Croatie. Ses matchs sont insipides et à des années lumières de son niveau au FC Séville puis au FC Barcelone. « Comment fait-on pour ne rien proposer avec deux des meilleurs milieux de notre histoire? ». Ni Rakitić, ni Modrić n’arrivent à assumer leurs responsabilités lorsque le niveau se hausse. C’est durant cette période de doute que les deux vont devenir plus proches que jamais. L’ancien du FC Bâle jure que Modrić est le meilleur joueur de l’histoire du football croate, pendant que le numéro 10 du Real fait des pieds et des mains pour que le capitaine sévillan le rejoigne à Madrid.
La Croatie est à 90 minutes d’écrire une page de son histoire récente. Cette équipe n’a pas l’audace, ni le caractère de celle de 1998 mais elle possède un collectif et un coeur énorme. Les deux scénarios face au Danemark et la Russie laissent penser que cette fois est différente de celle de 1998 et 2008. Le pénalty raté de Modrić à la 115ème puis l’égalisation à la même minute des Russes auraient pu les anéantir et pourtant, ils remportent par deux fois la séance de tirs au but. Danijel Subasić a été l’un des héros des deux matchs mais celui qui qualifia à chaque fois la Croatie est Ivan Rakitić. Désigné comme cinquième tireur à chaque séance, le joueur du FC Barcelone sait qu’il n’a plus le droit à l’erreur. Son raté face à la Turquie ne doit plus le faire cogiter. Ce pénalty est de l’histoire ancienne, la preuve, sur les deux tirs face à la Russie et le Danemark, Rakitić a tiré exactement au même endroit qu’il y a 10 ans et a marqué à chaque fois.
Crédit Photo : Odd Andersen / AFP Photo.