« Je suis un joueur de football. Je suis pacifiste. Le football, ce n’est pas de la politique. Mais je reconnais son pouvoir ». Le football n’a jamais été qu’une simple histoire de terrain vert et de 22 hommes qui courent derrière un ballon pour marquer un but, c’est tellement plus que ça et Davor Suker le sait mieux que quiconque. Au soir de cette finale de Coupe du monde, le football va encore s’en sortir grandi. Croates et Français vont s’affronter pour l’événement football de la saison, une lutte acharnée de 90 minutes ou plus pour savoir qui sera considéré pendant quatre longues années comme étant la meilleure équipe du monde. Mais derrière ce graal sacré se cache un autre message : les footballeurs croates et français vont laisser une trace dans leur pays respectif.
Génération sacrifiée
« En l’inspirant, tu lui donnes la force de réussir ». Une punchline bateau sortie par Mac Tyer et pourtant, elle représente très bien le sentiment que ressentiront les plus jeunes après la finale de Coupe du monde. D’Évreux à Zadar, en passant par Bondy, Slavonski Brod ou « Roissy la source » comme dirait Paul Pogba, cette finale sera regardée avec des étoiles dans les yeux. La fierté des nôtres comme on dit, les acteurs des deux nations ont permis à des personnes lambda de découvrir ces patelins qui ont vu naître joueurs et personnes d’exception.
« Occupe toi de ta politique internationale, le football est une chose trop importante ». Maradona est aussi connu pour son doublé légendaire en 1986 que pour ses faits divers et pourtant, sa réflexion sur la place du football dans la société est la plus juste. Aujourd’hui, Luka Modrić vient de donner raison à toutes les personnes dans le monde qui ont été victimes d’injustice. Le natif de Zadar voit sa ville être bombardée et le priver d’une partie de sa famille. Lui rêve de football, il ne verra que les bombes et les mines pendant 4 ans de sa vie. La cause de cet affrontement ? L’explosion de la Yougoslavie et une guerre en pleine Croatie qui verra Lukita perdre son grand père durant les affrontements. 27 ans après l’indépendance, 23 après la fin de la guerre, le monde est capable de placer la Croatie sur une carte mondiale grâce au parcours héroïque de l’équipe nationale.
A un degré différent, les joueurs de l’équipe de France ont réussi quelque chose de fort. Mettre en valeur nos banlieues et autres cités tant décriées ces dernières décennies. La Madeleine à Évreux, l’Agachon à Fréjus, le Potager à Bondy ou la Renardière de Roissy-En-Brie, chaque quartier a eu droit à un article, reportage ou documentaire élogieux. Pour une fois, ce ne sont pas les caméras de Bernard De la Villardière qui viennent arpenter nos quartiers, ce sont celles de la BBC, de beIN Sports et Sky Sports qui veulent découvrir, connaître, disséquer ces lieux tant décriés en France mais qui forment les meilleurs footballeurs du monde. Ces cités où on ne croit plus aux politiques, où on se rattache à la religion, au football et aux études pour s’en sortir. Ce sont les enfants des cités qui ont permis de revoir la France sur le devant de la scène.
« Pour quel pays ça ne ferait pas de bien de gagner la Coupe du monde ? Bien sûr que ça ferait du bien, que ce soit sportivement ou socialement, ça enlève plein de problèmes ». Pédagogue, le juvénile mais très mature Mbappé représente bien l’importance d’un mondial, que ce soit pour la France ou la Croatie. Socialement, un pays vit mieux après une victoire en Coupe du monde. On oublie tous les problèmes liés au chômage, aux agressions, au racisme, à la xénophobie et au climat délétère qui règne au quotidien dans le pays, « on se lève avec la banane » comme dirait l’attaquant de 19 ans du Paris Saint-Germain.
« Le 13 juillet c’était encore plus jouissif, tous les arabes étaient beaux. Ils avaient aboli le racisme. Encore plus jubilatoire : le 14 juillet, le 15, le 16, le meilleur été de ma vie. On avait la cote, les meufs elles voulaient être avec des petits rebeus et des petits renois, on sentait que c’était notre année ». Dans l’exagération et la caricature, Jamel Debbouze avait résumé l’état d’esprit régnant après France 1998. Un discours qui revient et qui laisse présager un avenir radieux pour les deux nations.
L’avenir est à nous
Il n’existe pas d’effet Coupe du monde dans les faits. Que ce soit au niveau macro-économique ou du chômage, il n’y a aucun boom à ce niveau. Et pourtant, l’héritage que vont laisser ces deux générations est grand. Dans un monde individualiste où on nous parle de chômage, d’argent, les joueurs croates sont des OVNI. Le petit moche Luka Modrić serait « un joueur d’un autre temps » d’après Hatem Ben Arfa, mais d’autres Croates sont plus que des simples footballeurs. Dejan Lovren et Ivan Rakitić représentent le passé, le présent et l’avenir de la Croatie. Les parents du milieu du FC Barcelone ont préféré fuir les tensions naissantes en Yougoslavie et rejoindre la Suisse avant la naissance de celui qui est considéré comme l’un des meilleurs joueurs croates de l’histoire. Le parcours de l’ancien du FC Bâle va rappeler à tout les Croates qui ont fui le pays pour des raisons de guerre qu’il est toujours possible de s’en sortir malgré un passé douloureux. Demain, il y aura des nouveaux Rakitić, nés en Suisse, Allemagne, Italie, France qui épouseront le maillot à damier car ils auront vu le helveto-croate jouer une finale de mondial.
L’histoire est différente pour Dejan Lovren. Un parcours encore plein d’humilité qui dépasse le cadre de la Croatie et l’ex-Yougoslavie. Le défenseur de Liverpool est l’un des porte-drapeaux des réfugiés. La famille Lovren a fui la guerre de Bosnie, direction l’Allemagne avec un statut de réfugié politique. S’en suivra une expulsion puis une arrivée en Croatie. L’ancien Lyonnais n’hésitera pas à monter au créneau pour défendre la cause des migrants, une cause qui lui tient à coeur. « Ce n’est pas leur faute ; ils se battent pour leur vie, pour leurs enfants. Ils désirent seulement rejoindre un lieu sûr pour leurs enfants » avance Lovren. « Donnez-leur une chance. Ce n’était pas pour trouver un travail, ou quelque chose comme ça, c’était pour nous sauver la vie. Il faut se rendre compte de ce que c’est de tout laisser derrière soi. » Des paroles sages qui ont fait écho dans toute l’Europe, notamment en Croatie. Une génération de Croates va vivre avec le parcours de Lovren, Rakitić ou Modrić en tête et va tout faire pour titiller les sommets à son tour.
La France n’est pas en reste non plus. L’image que dégage ce groupe marquera cette Coupe du monde 2018. L’envie de se sacrifier pour le camarade, le mélange de cultures, la bonne ambiance en permanence, c’est ce qui définit le mieux ce groupe. Chaque français espère que l’image que dégage cette équipe déteigne sur la société après le mondial. Voir le mélange de cultures dans les vidéos de la FFF a égayé pendant un mois chaque supporter des Bleus. Griezmann qui bouge la tête en rythme sur Seka Seka de DJ Maréchal aura été une des vidéos les plus représentatives. Le football est le reflet de la société, on rêve secrètement que cette ambiance crée un engouement positif au pays. Alors qu’on estimait que l’équipe de France était plate, sans relief, les fameux « ouin-ouin », on a découvert des jeunes respectueux, bons vivants, ouverts et plein d’humilité. Le patriotisme d’Antoine Griezmann, les prières d’Olivier Giroud et Paul Pogba, l’accent de Lucas Hernandez, c’est aussi ça la France.
Croates et Français vont se livrer une véritable guerre de tranchées mais l’essentiel sera ailleurs, ils sont définitivement rentrés dans le coeur de leurs supporters et vont laisser en héritage une génération d’enfants qui rêveront a leur tour de toucher les sommets. Et encore une fois, c’est le football qui nous apprend la vie.
Photo crédits : MLADEN ANTONOV / AFP