En chiffonnant 0-4 l’OGC Nice dans son antre samedi dernier et en rejoignant ainsi la première place du classement de la Ligue 1 Conforama, au même nombre de points et de victoires que le galactique Paris Saint-Germain, le Dijon Football Côte-D’Or propulse avec lui en tête du championnat une idée et une vision jugée parfois trop candide ou hardie par ses frangins « petits » clubs de Ligue 1 : celle d’exister et de performer par le jeu, par l’attaque, par le spectacle.
« Nous sommes Dijon, pas le PSG. Le titre, ce n’est pas pour nous et la Coupe d’Europe, c’est très loin. Partant de cela, il faut quand même que l’on donne envie aux gens de venir au stade. Dijon n’est pas une ville de foot ; ici, il y a plutôt une tradition des sports de salle. Il faut essayer d’intéresser les gens. Sauver sa place en Ligue 1 oui, mais est-ce qu’on ne peut pas essayer de rajouter quelque chose ? Essayer de créer du jeu, aller de l’avant, proposer un football offensif … ». Lucidité, humilité et ambition. C’est comme cela sans doute que l’on pourrait traduire la maxime dijonnaise depuis son retour en Ligue 1 en 2016, parfaitement résumée ici par Olivier Dall’Oglio, entraîneur de l’équipe bourguignonne depuis 2012, dans un entretien accordé au quotidien suisse Le Temps quelques jours avant le début de la saison.
Une humilité et une lucidité qui apparaît comme une fatalité pour le club le plus jeune du championnat. Celui-ci est fondé peu avant la coupe du monde 1998. Le DFCO, issu d’une fusion entre le Dijon FC et le Cercle Dijon, traîne avec lui, en plus de ses seules vingt années d’existence, l’un des palmarès les plus minces du championnat. Seul le titre de CFA acquis en 2000 remplit l’armoire à trophée côte-d’orienne, longtemps devancée et éclipsée par les différents exploits nationaux et continentaux de l’autre club de la région : l’AJ Auxerre. Quinzième budget de l’élite, qu’il a seulement – à l’échelle des autres clubs du championnat bien sûr- découvert en 2011, Dijon avance pas à pas, sur la pointe des pieds, sans millions mais avec ambition, et surtout avec cohérence. Une cohérence symbolisée par la longévité d’Olivier Dall’Oglio sur le banc de touche dijonnais. Arrivé en 2012 après la descente du club en Ligue 2, et surtout par ce que l’on voit de son équipe tous les samedis depuis presque deux ans : un jeu alléchant, porté vers l’offensif, attiré par la victoire et le but.
Tristement considérées comme des équipes appliquées à ne pas perdre le match plutôt que de le gagner, les équipes « moyennes » de Ligue 1 ont tout intérêt à prendre exemple sur le DFCO. Non pas pour plaire aux romantiques du football que nous sommes, mais tout simplement car cela porte ses fruits. Et ce n’est pas Patrick Vieira qui dira le contraire. Auteurs de la meilleure saison de l’histoire du club l’an passé, les joueurs dijonnais ont, lors de cette difficile seconde saison de confirmation post-maintien, régalé le Stade Gaston-Gérard et, avouons-le, comblé nos fameux petits cœurs de romantiques du football. Avec 55 buts marqués, les Dijonnais ont achevé cette dernière saison à la cinquième place du classement des meilleures attaques. Évidemment derrière le Big Four composé des deux olympiques, de l’AS Monaco et du PSG, mais bel et bien devant des équipes tels que l’OGC Nice, les Girondins de Bordeaux ou l’ASSE, aux objectifs et aux moyens considérablement supérieurs à celui des joueurs de Dall’Oglio, d’ailleurs nommé par ses pairs parmi les meilleurs entraîneurs de Ligue 1 aux derniers trophées UNFP. Ainsi, Dijon s’est retrouvé aux portes de l’Europa League début avril, avant de finalement finir à une historique et belle onzième place. La faute aux carences de sa défense, l’avant-dernière de la saison passée, dont l’un de ces naufrages les plus marquants restera la défaite 8-0 au Parc des Princes. Les limites d’un football audacieux et offensif incarné par un quatuor de feu aux chiffres impressionnants : la SKST (oui, ce nom est nul) avec ses 37 buts et 16 passes décisives.
La vitesse et la percussion de Wesley Saïd alliée à la qualité de dribbles de Kwon (malheureusement blessé en ce début de saison), le tout mené par la finesse du délicieux Naïm Sliti et conclue par le meilleur buteur de l’histoire du club Julio Tavares. La voilà la recette de la mayonnaise dijonnaise. Onze buts la saison dernière et déjà trois cette saison pour le dernier – capitaine du club en ce début de saison et courtisé par différentes écuries britanniques -, soit un de plus que le Sud-Coréen Kwon, l’un de ces nombreux talents à l’avenir prometteur mis en avant par la LFP, également auteur de quatre passes décisives l’an dernier. Les deux S, enfin, affichent le bilan honorable de 16 buts et 12 passes décisives pour l’exercice 2017-2018. 9 buts et 3 passes décisives pour Saïd, contre 7 buts et 8 passes décisives pour le Tunisien Sliti. Mais outre les chiffres, c’est bien la manière qui impressionne. Transitions rapides, maîtrise technique, combinaisons en une touche dans les petits espaces, le 4-2-3-1 dijonnais, Naïm Sliti en chef d’orchestre, impressionne et régale.
Un carré magique qui, en plus de compter comme solutions de rechange Sammaritano, Jeannot ou Keita, a vu le renfort d’un ex-futur maître de ce football pur et de ce « beau jeu » : Yoann Gourcuff. Envoyé en Chine, au Qatar, aux USA, à Toulouse, à Montpellier, à Nice, c’est finalement en Côte-d’Or que l’ancien bordelais a décidé de poser ses valises. Le choix du jeu pour celui qui ne pense plus qu’à donner et prendre du plaisir. « J’ai vu l’équipe pratiquer un jeu assez séduisant, assez offensif. J’ai pris plaisir à regarder jouer cette équipe. » assurait-il lors de sa présentation. De quoi faire rougir de fierté davantage les dijonnais. Signer un joueur de 33 ans au casier médical aussi rempli et au salaire conséquent pour un club dont le budget ne dépasse pas les 35 millions peut s’apparenter comme une folie rare, comme un risque énigmatique. Mais là est la réussite du modèle dijonnais au niveau du recrutement de ces joueurs : le risque. Une méthode qui paye à l’heure actuelle.
Benjamin Corgnet, Pierre Lees-Melou, Romain Philippoteaux, Eric Bauthéac, Julio Tavares, Valentin Rosier, Jules Keïta. Outre le fait que tous ces joueurs portent ou ont porté le maillot dijonnais, un autre point commun les rassemble : celui d’être les arguments les plus éloquents d’une méthode de recrutement devenue routinière depuis quelques années au DFCO : piocher les talents au sein des divisions semi-pros ou amateures. Du football amateur au football professionnel il n’y a qu’un pas et il se nomme Dijon Football Côte-D’Or pour ces joueurs. Tous ont pour première expérience professionnelle le club bourguignon qui, porté par l’éclosion des Valbuena, Ribéry & compagnie (repérés au niveau amateur) et la nécessité d’équilibrer son budget, en a fait sa marque de fabrique. Une réussite sportive quand on sait que certains ont connu des clubs comme l’OGC Nice ou l’ASSE, que d’autres ont mutés en légende du club ou que les plus jeunes d’entre eux commencent à pointer sérieusement le bout de leur nez au monde de la Ligue 1. Jules Keïta et Enzo Loiodice sont les exemples les plus récents. Le premier, recruté cet été alors qu’il était stagiaire pro au Sporting Club de Bastia, est déjà l’une des coqueluches des supporters bourguignons. Son entrée à Nice (2 buts et 1 passe décisive) et la folie qu’il a amenée sur le côté gauche de l’attaque dijonnaise ont marqué les esprits. Lui qui se prétend potentiellement aussi bon que Neymar dans quelques années. Rien que cela. Le second, 17 ans à peine, a enchaîné ce week-end sa quatrième titularisation d’affilée en L1 dans l’entrejeu dijonnais et sa quatrième prestation de haut niveau.
Une stratégie assez paradoxale lorsque l’on s’intéresse à l’autre facette du recrutement dijonnais : celle de l’exotisme, de la découverte, de la surprise. Matérialisé par les arrivées d’Oussama Haddadi en provenance du Club africain (Tunisie), installé comme latéral gauche depuis janvier, de Nayef Aguerd, buteur samedi, acheté cet été à l’US Fath (Maroc), du portier islandais Rúnar Alex Rúnarsson ou encore par celle de Kwon, auteur d’une première saison européenne quasi-parfaite, arrivé tout droit du championnat sud-coréen, Dijon se démarque des autres « petits » clubs de Ligue 1 , habitués à faire du nouveau avec de l’ancien en recyclant visages connus sur visages connus du championnat. Deux modèles qui se rejoignent finalement au travers de ce qui symbolise le jeu dijonnais : le risque.
Alors oui, Dijon ne gagnera sans doute rien cette année. L’hégémonie de plus en plus croissante des quatre mastodontes de devant semble confisquer tous les trophées hexagonaux pour cette saison encore. Ce n’est pas cette année que l’armoire à trophées dijonnaise se remplira enfin. Mais qu’importe, ce n’est en aucun cas l’objectif premier du DFCO. Si l’excellent début de saison des hommes d’Olivier Dall’Oglio se confirme et perdure jusqu’en mai prochain, le Dijon Football Côte-D’Or pourrait se vanter d’être devenu l’avant-gardiste d’un modèle et d’une vision inspirant peut-être les clubs moyens de Ligue 1 dans les années à venir : celle d’exister à travers le risque, l’ambition et le plaisir pris et donné. Celle d’exister à travers l’essence du football.
L’intégralité de l’entretien d’Olivier Dall’Oglio accordé au quotidien suisse Le Temps en août dernier : https://www.letemps.ch/sport/jai-besoin-joueurs-pensent.
Crédit Photo : AFP PHOTO / ROMAIN LAFABREGUE.