Lettre d’un girondin à Fernando Ezequiel Cavenaghi

Cher Fernando,

En ce soir de décembre où nous n’avons pas réussi à créer l’exploit en nous qualifiant pour les phases finales de C3, je suis plutôt d’humeur nostalgique. Face à cette nouvelle désillusion, je me suis remémoré le bon vieux temps. Je repensais à cette époque où nous étions les maîtres de l’Hexagone et où nous disputions encore la Ligue des champions. Cela m’a logiquement amené à penser à toi. Toi qui m’as fait tant vibrer. Toi qui m’as procuré tant de bonheur. Toi qui as bercé mon enfance. Toi qui m’as fait aimer le foot tout simplement. Et parce qu’écrire est le remède à la mélancolie, j’ai pris ma plus belle plume pour te dire ô combien tu nous manques.

Les légendes ne meurent jamais dit-on. Il est vrai qu’au fond de mon âme de supporter, tu ne t’es jamais éteint. Lorsque tu es arrivé en janvier 2007, en provenance de Moscou, pour remplacer le grand Lilian Laslandes, je savais que l’on pourrait compter sur toi. Sous les ordres de Ricardo peu porté sur l’offensive, tu ne t’es jamais imposé, ne marquant que 2 petits buts seulement. Heureusement pour toi et pour nous, l’idylle a pris une meilleure tournure avec la venue de Laurent Blanc sur le banc. Tu me diras, c’est à cela qu’on reconnaît les plus grands coaches : ils savent magnifier des joueurs moyens. Il a fait de toi un vrai buteur en série. Le début d’une belle histoire d’amour. L’essence même du romantisme. L’amour à l’état pur. Tu es sans doute un des joueurs les plus merveilleux que j’ai vu jouer mais je n’aurai jamais la place nécessaire sur le serveur d’Ultimo Diez (qui est déjà bien trop lent d’ailleurs) pour vanter toutes tes qualités.

En tapant ton nom dans la barre de recherche du Youtube game, je suis tombé sur une compilation de tes buts. J’ai eu des frissons. C’est vrai qu’il y en a eu pas mal. 47 pions au total. Il y a surtout eu des buts de numéro neuf à l’ancienne. Des vrais buts de renard des surfaces, inscrits dans toutes les positions que le football autorise. Du pied droit, du pied gauche, de l’intérieur du pied, de l’extérieur ou du bout du pied, du tibia même, de la tête face mais aussi dos au but, en talonnade ou encore en aile de pigeon. Tu avais établi le théorème Cavenaghi : envoyez un ballon n’importe comment dans la surface et Fernando sera toujours là pour le récupérer. Quand tu étais sur la pelouse, tu étais notre héros à nous. Lescure se transformait en mini-estadio Monumental. On sortait les drapeaux argentins et la communion avec le public était telle que je suis certain que les « Cavenaghi ohoh, marque pour tes ultras » hantent encore les tribunes.

Ma réaction quand Lukas Lerager réussi à enchaîner deux passes d’affilées

Mais comme l’a si bien écrit Frédéric Beigbeder, l’amour ne dure que trois ans. Au terme d’une saison 2009-2010 en demi-teinte, tu es contraint de ne jouer que des petits matches. Le coach à la touillette préférant aligner Marouane Chamakh seul en pointe lors des grosses oppositions. L’arrivée de Jean Tigana la saison suivante comme entraîneur n’y change rien. Cette saison fut marquée par ce fameux « break » amoureux où tu as voulu assouvir ton fantasme espagnol du côté de Majorque, avant de vivre une amourette de vacances sous le soleil brésilien de Porto Alegre. Ces aventures sans lendemain auront eu raison de ta relation avec les Girondins et conduit à une rupture à l’amiable. Comme un ex encore sous le charme, tu es logiquement retourné vers ton amour de jeunesse pour lequel tu auras toujours eu le béguin : River. Hélas, tu fais partie de ces hommes qui préfèrent flirter plutôt que de s’inscrire dans une relation durable mais je ne t’en veux pas. Personne ne t’en veut. Chaque histoire a une fin et, paraît-il, les histoires d’amour finissent mal en général. Toutefois, tu as avoué que ne pas avoir prolongé aux Girondins a été le pire choix de ta carrière. Et pour moi, ce fut l’un des moments les plus douloureux de ma vie de supporter car cela a marqué la fin d’une époque.

Je ne te cache pas ma tristesse depuis que tu n’es plus là. Tu as laissé un immense vide. Il paraît que certaines personnes sont irremplaçables mais que l’on s’en rend compte une fois qu’elles sont parties. Eh bien, je ne peux que te le confirmer. Depuis ton départ, les « pseudos » buteurs se succèdent. La longue liste est truffée de trouvailles plus ou moins loufoques. Pêle-mêle, il y eut le Brésilien qui voulait marquer 40 buts mais n’en marquera finalement aucun (André Felipe Ribeiro de Souza), l’étudiant Erasmus (Moussa Maazou), le joueur qui joue maintenant en D2 allemande après un passage par la Chine (Anthony Modeste), l’international ivoirien (Thomas Touré), les Scandinaves (Isaac Kiese Thelin et Martin Braithwaite), le joueur qui ne marque toujours pas (Enzo Crivelli), l’éternelle promesse (Diego Rolan) et même l’ancien Milanais (Jérémy Ménez).

Triste ironie du sort, certains enfilent les buts comme des perles une fois qu’ils ne sont plus chez nous. Parmi eux, un grand landais (Gaëtan Laborde), un mec qui marque plus que Ronaldo dans un même match (Guillaume Hoarau) et un compatriote à toi argentin (Emiliano Sala). Il y a bien eu l’immense Cheick. Pas assez pour faire oublier ton absence. Aujourd’hui, nous avons la charrue qui cherche encore à savoir lequel de ses deux pieds est le plus fort (Jimmy Briand), le sans-pieds (Nicolas De Préville), le viking danois (Andréas Cornelius) et l’éclopé (Alexandre Mendy). Bref, tu l’auras compris, aucun qui ne t’arrive à la cheville. Tu vas rire, on a même récupéré le coach qui ne t’avais pas fait confiance lors de tes débuts chez nous. Sa philosophie de jeu est restée la même. Comment tu veux que l’on marque des buts ?

Quand je vois que Maxime Poundje s’apprête à centrer

La dernière fois que je t’ai vu, c’était après le match des légendes et juste avant celui contre le Stade Rennais. Je t’ai interpellé alors que tout le monde s’empressait de se réfugier dans les enceintes du stade car la pluie commençait à s’abattre. Tu t’es gentiment arrêté pour prendre ce selfie que je garde précieusement. Qui sait, peut-être que je le montrerais un jour à mes enfants. Ce fut l’unique lumière de cette sombre journée où nos joueurs se sont piètrement inclinés au terme d’un match laborieux (0-2). Comme un symbole, un ancien qui a porté le maillot scapulaire avait marqué ce jour-là : un certain Yoann Gourcuff.

Si jamais tu lis ces lignes, Fernando, sache que je garderai toujours une part de toi dans mon cœur. La grappe de raisin que tu t’es fait tatouer sur le bras montre bien que tu as les Girondins dans la peau. Ne t’inquiète pas, tu as une place de choix parmi les meilleures crues qui sont conservées dans la cave du château du Haillan. Tu seras à jamais un des nôtres. Tu resteras toujours notre Cavegol. Notre dernier grand buteur.

Crédit photo : PIERRE ANDRIEU / AFP

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