Au stade il y a ceux qui animent le rectangle vert, ceux qui occupent la touche, et puis il y a ceux qui occupent les tribunes, qui les font vibrer, qui les habitent. Ceux qui font des tribunes un autre terrain de jeu, à quelques mètres de celui des joueurs. Et sans toucher le cuir, ils jouent pourtant. Le douzième homme, avec sa voix, avec son cœur, habite les 11 acteurs. Cet acteur-là est aussi important que les autres. Sans lui, la pièce est fade, silencieuse. Alors on l’aide. On l’aide à faire valoir ses droits, on l’aide à se faire entendre.
C’est dans cette danse coordonnée entre les différents acteurs que le référent de ce douzième homme entre en scène. Parce que ce douzième homme représente en réalité des dizaines, des centaines, des milliers de personnes. Alors il faut les aider, parler pour eux, les représenter pour qu’ils continuent d’habiter les tribunes et que les 22 hommes sur le terrain continuent de les entendre. Les tribunes n’abritent pas uniquement des personnes qui soutiennent des équipes, elles servent aussi à créer des liens sociaux, elles dépassent le sport. Elles sont un jeu à elles seules. Un jeu qui a besoin d’être intégré au club, et à tous les autres services autour pour fonctionner pleinement.
Article 35 et le rôle de référent-supporters
En 2010, l’UEFA publie son règlement sur l’octroi de licence aux clubs et le fair-play financier. Dans ce manuel d’une centaine de pages, on retrouve bon nombre d’éléments qui touchent tout ce qui gravite autour d’un club professionnel. La troisième partie du troisième chapitre s’intéresse quant à elle à des éléments plus précis dont les médias, l’administration et donc les supporters. L’article 35 intitulé « Responsable de l’encadrement des supporters » n’a que deux points mais il est clair. Il stipule clairement que « le candidat à la licence doit avoir désigné un responsable de l’encadrement des supporters afin qu’il serve de point de contact principal pour les supporters. », ainsi que « le responsable de l’encadrement des supporters doit assister régulièrement aux séances avec la direction du club et collaborer avec le responsable de la sécurité sur les questions de sécurité ». Deux règles devant entrer en vigueur à compter de la saison 2012/2013. Le premier point est clair, il met clairement en avant le rôle de référent-supporters ou supporters liaison officer (SLO). Le second évoque la coopération, un point sur lequel on reviendra plus tard.
Pour ce qui est du référent-supporters, c’est un rôle qui a vu le jour sous l’impulsion de l’association Supporters Direct Europe (SD Europe) et de l’UEFA en s’inspirant de pratiques déjà existantes au début des années 90 en Allemagne où le premier SLO a été engagé par un club. Ceci découlait du Concept national pour le Sport et la Sécurité. Pour ce qui est du projet actuel et européen, il a été longuement débattu au cours de la saison 2009/2010 puis mis en place lentement.
« Nous avions besoin d’atteindre les centaines de milliers de supporters qui étaient fantastiques, pas seulement nous concentrer sur les quelques-uns qui créaient des problèmes. Nous y sommes parvenus en implantant et soutenant la fonction de SLO et nous avons commencé à construire un terrain de compréhension mutuelle afin d’éviter les conflits inutiles. » – Mats Enquist, CEO de la Ligue Suédoise (Föreningen Svensk Elitfotboll)
Créée en 2007 et active dans 38 pays d’Europe, l’association SD Europe a pour objectif de représenter les supporters ainsi que les associations, entre autres. Après une étude réalisée en 2007 par cette même association, le procesus a été lancé. Ils ont d’ailleurs rédigé la réforme que l’on trouve dans le manuel de l’UEFA. Cette réforme a par la suite été discutée lors du Congrès Européen des supporters de football organisé par Football Supporters Europe durant l’été 2009 puis soutenue par les Fédérations de chaque pays présent au sein de l’UEFA Club Licensing Committee. Elle représente donc les prémices d’un mouvement visant à améliorer la conditions des supporters à travers l’Europe, et doucement mais sûrement des progrès sont faits. Les travaux d’SD Europe auprès des clubs ont débuté dès 2010 mais restent toutefois laborieux comme le rapporte le SD Europe/UEFA SLO Coordinateur Stuart Dykes « J’avais déjà commencé en 2010 parce que le travail consistait à préparer les fédérations nationales car la majorité des pays ne savait pas ce qu’était un SLO. Cela existait en Allemagne et dans quelques pays mais il n’y avait aucun savoir ou aucune compréhension du rôle, son importance ou de ses actions donc nous devions préparer le terrain ».
Il semble donc évident qu’un travail en profondeur doit être fait auprès de chaque pays, de chaque fédération, afin de mettre au point ce poste permettant de créer un véritable lien entre supporters, clubs et les instances du football. Pour aller plus loin, le rôle du SLO peut aussi être perçu comme celui d’un médiateur : il permet aux supporters, ultras ou non, d’avoir un point d’ancrage, une personne avec laquelle il est possible d’évoquer les problèmes dans les tribunes, de faire remonter des informations au club. C’est simplement un rôle qui permet d’ériger un pont entre les supporters et le club au-delà de l’affection. Stuart Dykes rappelle que si ce rôle a été introduit sous la pression d’SD Europe c’est parce qu’il y a « un manque de dialogue et de communication entre les autorités footballistiques, l’autorité publique, les supporters et les clubs ». Il rajoute que d’après un sondage de l’UEFA effectué lors d’un séminaire à Amsterdam début 2019 « 92% des autorités footballistiques présentes ont dit avoir encore des problèmes dus à un manque de dialogue et de communication. Les autorités publiques étaient présentes et ont donné un chiffre similaire, environ 93% ». Les discussions font défaut et cela saute aux yeux. L’instauration du référent-supporters devient, de facto, une nécessité pour résoudre cette équation.
Une équation qui doit permettre de faciliter le passage des informations d’un point A à un point B. Cependant, il est important de rappeler comme nous l’a précisé Marc, porte-parole adjoint de l’Association Nationale des Supporters, que « le SLO n’a aucun pouvoir ». C’est en effet« un rôle uniquement consultatif : il n’est là que pour transmettre les messages, pas pour participer à l’organisation concrète des rencontres ». Il est alors essentiel pour les clubs de comprendre ce rôle afin d’en assurer le bon fonctionnement auprès de tous les supporters. Marc nous signifie justement que les clubs où les résultats ne sont pas satisfaisants sont ceux où « le système n’est soit pas bien compris soit mal mis en œuvre ».
Pour mettre en avant ce rôle sur lequel on ne communique encore que trop peu en dehors de la sphère footballistique, voire même de celle des supporters qui s’intéressent à leur condition, il s’avère important de dialoguer avec ceux qui portent la casquette de SLO. Faute des réponses des clubs français, nous nous sommes tournés vers le reste du continent qui s’est montré plus réceptif. Pierre Nordberg (Malmö FF – Suède) et John Paul Taylor (Celtic Glasgow – Écosse), tous deux ont expliqué leur rôle au sein de leur club respectif. Du côté écossais, le référent-supporters du club glasgovien nous explique qu’il doit agir comme « assistant des supporters qui souhaitent attirer l’attention du club : j’apporte des réponses aux questions et j’en soulève d’autres avec la direction du club ». Il rajoute aussi qu’il a pour but de rapprocher les deux parties tout en rappelant que la présence d’un SLO « aide les supporters puisqu’ils ont l’opportunité de contribuer aux réunions organisées pour préparer les matchs ; cela me permet de pointer du doigt les domaines où il pourrait y avoir des problèmes et nous aider à faire des plans qui fonctionnent le mieux pour les supporters et leur sécurité ». On se retrouve alors face à une coopération étroite visant à améliorer la relation entre tous les acteurs du football évoluant hors du terrain. Ceci doit aussi inclure « la Sécurité, la Police afin d’essayer d’avoir les meilleurs résultats pour les supporters » comme nous l’a confié John Paul Taylor mais aussi Stuart Dykes, entre autres.
P. Nordberg, quant à lui, revient sur l’impact que son rôle de SLO a eu sur la situation à Malmö « je pense que cela contribue à avoir moins de problèmes autour du stade lors des jours de match. Il y a de nombreux facteurs qui font changer les comportements, le référent-supporters peut en être un donc je ne veux pas récupérer toute la gloire ». Il rajoute aussi que « nous avons plus la grosse confrontation entre le club et les supporters, nous nous parlons toujours, les supporters savent maintenant qu’ils peuvent toujours contacter le club et avoir une réponse. Je pense que la friction entre le club et les supporters, notamment les ultras ou supporters actifs, est moins intense maintenant ».
Ces deux témoignages permettent de comprendre qu’à leur échelle, en travaillant auprès de chaque entité, il est possible de créer un dialogue afin d’améliorer la situation des supporters. C’est finalement l’élément déterminant du travail de ces référents. Sans communication, il n’est pas possible de changer la situation, il n’est pas possible de régler les problèmes et d’avancer pour se retrouver dans une situation suffisamment apaisée qui pourra satisfaire chaque partie.
Regard sur la France et ses supporters
La France a un rapport particulier avec ses supporters. L’opinion publique ou ceux qui ne suivent pas forcément le football ont rapidement tendance à faire des supporters des personnes idiotes. Le porte-parole adjoint de l’ANS pointe d’ailleurs cela du doigt : « la situation en France est unique en Europe. Les autorités ne parviennent pas à traiter la question autrement que par un angle répressif et infantilisant: il y a un refus de considérer les supporters comme des interlocuteurs responsables, là où pourtant l’organisation des groupes le permettrait ». On retrouve ce qui est décrit dans la façon dont les ultras sont perçus, on tend rapidement à faire des comparaisons avec les hooligans. Cependant, ce sont deux groupes bien différents. L’un se tourne vers la violence, l’autre penche pour le soutien sans faille de son club, de ses couleurs. Il suffit d’aller à des matchs de football pour le comprendre. Les ultras ne représentent en revanche qu’une faction des supporters, beaucoup ne sont pas catégorisés, ils sont juste là pour leur équipe. Ils ont tous besoin d’être représentés auprès de leur club ainsi que des instances nationales.
Autre problème déjà abordé plusieur fois : le traitement des supporters. Entre interdictions de déplacements et mesures liberticides, il n’est pas simple de supporter son équipe en France. Marc nous précise une nouvelle fois que sont « aujourd’hui dépassés les 500 arrêtés d’interdiction ou de restriction de déplacement depuis 2011, et le nombre de ces arrêtés est toujours exponentiel ». Il nous signale également que lors de la 29ème journée de Ligue 1, durant le week-end du 15 mars, les arrêtés prefectoraux ont été nombreux avec « 7 pour 10 matchs de Ligue 1 ». La situation est d’autant plus triste quand on regarde chez les voisins allemands ou même anglais où les supporters se déplacent très facilement en nombre en ayant rarement des problèmes. La situation n’est pas idyllique dans ces deux pays mais elle reste bien plus agréable et humaine. Dans un tel contexte, un besoin de communication est évident. Il est nécessaire de lier les différents camps afin qu’ils s’entendent pour faire évoluer la situation. C’est là que le référent-supporters, appuyé par d’autres instances, peut faire changer les choses.
Toutefois, la France a longtemps accusé un vrai retard à ce niveau-là. Elle ne fait qu’essayer de le rattraper. En effet, si l’UEFA a parlé des SLOs dès 2010 et l’a instauré en 2012, la France ne s’est lancée dans le cheminement que par le biais de la Loi Larrivé au sein de laquelle l’ANS a réussi « à imposer les SLOs » car le texte « ne les prévoyait absolument pas ». La LFP s’est également mis à la page en créant un poste dont le but est de répondre aux questions liées au supportérisme. P. Barthélémy explique à ce propos que « l’intéressé développe des trésors de pédagogie et se rend très souvent dans les clubs pour les aider à comprendre les bienfaits et les caractéristiques du SLO ». On met également l’accent sur la communication entre les SLOs entre les différents clubs afin d’appaisier des situations parfois compliquées.
On prend de facto conscience de la situation française bien que de vrais progrès aient été faits depuis. Et sans le travail conséquent des bénévoles de l’ANS auprès des instances françaises, la situation pourrait être radicalement différente à ce jour. Ce « passage en force » de l’association française a permis d’engager le dialogue entre certains partis. Et Stuart Dykes rappelle que « la situation a changé en France, elle n’est en aucun cas parfaite mais il y a eu un changement législatif ». Ce changement législatif se retrouve non seulement dans la Loi Larrivé dont tous les points ne plaisent pas, mais aussi dans une convention du Conseil de l’Europe s’intitulant Sécurité, Sûreté et Services . Cette dernière est l’aboutissement d’un travail débuté à la suite du drame du Heysel, et encourage notamment « la coopération entre toutes les parties prenantes, publiques et privées, y compris les supporters, impliquées dans l’organisation de manifestations sportives sécurisées, sûres et accueillantes ». Ouverte à la signature durant l’EURO2016, elle a été signée par 23 pays européens et ratifiée par neuf pays dont la France où elle est entrée en vigueur le 1ernovembre 2017. La France fait dont des efforts pour rejoindre les autres nations du continent en la matière, où la situation est déjà bien avancée sans pour autant être parfaite. À ce jour, et sur cette saison 2018/2019, 18 clubs de Ligue 1 possèdent un SLO comme le signale la LFP, contre 12 la saison dernière. Doucement mais sûrement, la situation change.
« [Or] le SLO n’est pas le SLO des groupes de supporters, mais de tous les supporters. L’ensemble des clubs seront d’autant plus sensibles à l’importance du SLO que tous les profils de supporters les solliciteront sur des sujets pour lesquels le SLO est l’interlocuteur idoine. » – Pierre Barthélémy, avocat travaillant bénévolement pour les supporters
Un besoin d’identification à ce SLO est cependant nécessaire pour tous, et il faut donc se tourner vers une personne qui connaît ses tribunes. Et c’est sans doute ce qui a été fait du côté de Strasbourg, Lyon ou encore Reims où l’instauration des SLOs a été un franc succès. Pourtant, ce rôle reste assez méconnu en France. Combien de supporters lambda, dont le club a un SLO, ne savent pas cela ? En effet, il semble y avoir un vrai problème de communication autour du rôle qui est pourtant d’une importance capitale et surtout nécessaire. Il est aussi précisé dans le Manuel de l’UEFA sur les responsables de l’encadrement des supporters rédigé en 2011 que la communication autour du rôle est essentielle. Nous aurions souhaité vous présenter un témoignage d’un référent-supporter français, mais ça n’a cependant pas été possible puisque soit les clubs ne nous ont pas répondu, soit les clubs comme l’AS Saint-Etienne ont simplement refusé de s’exprimer sur le sujet. Un silence problématique tant la ferveur autour du club stéphanois est grande. Pierre Barthélémy nous a rappelé dans ce sens-là « qu’il faut aussi davantage communiquer ». Et le club doit s’en donner les moyens.
Le travail reste titanesque au sein des clubs qui n’ont pas encore compris le rôle et l’importance du SLO, celui que l’on peut voir comme un médiateur pour grandement aider. Il est encore nécessaire d’éduquer les clubs, entre autres, sur la gestion des supporters qui se doivent aussi de faire un pas. C’est un travail que chacun doit réaliser pour améliorer une situation hautement complexe.
La France ne veut cependant pas s’arrêter aux SLO concernant les progrès. Dans un premier temps on retrouve l’Instance Nationale du Supportérisme. Pierre Barthélémy revient sur sa création en la décrivant comme « la résultante de travaux du CNSF et d’un dialogue entre l’ANS, des parlementaires et le Ministère des Sports en marge des discussions parlementaires préparatoires à la loi du 10 mai 2016 qui se voulait à l’origine purement répressive ». Il l’évoque aussi en rappelant bien que « L’INS n’est pas à l’origine du dialogue mais elle en est à la fois le résultat et la catalyseur ». Cette instance est un maillon essentiel de la chaîne puisqu’elle permet d’ouvrir le dialogue, de faire tomber les clichés. C’est une situation similaire à celle que l’on retrouve dans les workshops d’SD Europe comme nous l’a raconté S. Dykes qui a pu observer des policiers et des supporters discuter et se rendre compte qu’ils n’étaient pas si différents. Dialoguer calmement permet de faire tomber les barrières et de faciliter l’enrayement des problèmes.
C’est ainsi que de vraies avancées ont pu être effectuées depuis trois ans avec par exemple les tribunes debout sécurisées qui sont expérimentées à Lens, Sochaux, Saint-Etienne et Amiens dans l’optique de les voir revenir dans tous les stades français. L’avocat précise que « C’est une opportunité d’adapter les virages (et les parcages) aux mœurs des supporters les plus actifs : améliorer l’ambiance des rencontres tout en améliorant la sécurité ». La convention du Conseil de l’Europe met justement l’accent sur la sécurité. On comprend que le souhait d’avoir des tribunes animées reste bien présents en dépit des actions de la Commission de discipline de la LFP (indépendante de la LFP) ou encore des préfets. Enfin, fin-mars, lors de la dernière séance plénière de l’INS il y a eu une « ouverture de groupes de travail sur les interdictions préfectorales de déplacement et la pyrotechnie » ainsi que « l’ouverture de travaux de sensibilisation sur la lutte contre la discrimination dans les stades (homophobie, racisme) et la création d’une journée nationale du supporter ». Comme quoi, le dialogue entre les différents groupes concernés a bien plus d’impact que la répression. Et cela se révèle être un travail global dont les référents-supporters sont membres.
« Les SLOs, à cause de la position qu’ils occupent en tant que pont entre les supporters et le club, entre les supporters et la fédération, entre les supporters et la ligue, entre les supporters et la police, nous pensons qu’ils ont un rôle clé. » – Stuart Dykes
En plus des avancées citées auparavant, d’autres actions sont actuellement en cours pour faciliter le dialogue entre tous les protagonistes. À l’échelle nationale, on retrouve le travail d’expérimentation de la Fondation Nivel avec le dispositif « policier référent ». Ce travail est le fruit d’un groupe composé de la FFF, de la DNLA, de l’ANS, de la LFP ainsi que d’autres spécialistes des questions de supportérisme. Le test qui va durer jusqu’à la moitié de la saison 2019/2020 a pour objectif d’interagir avec les supporters tout en travaillant avec le SLO et les forces de l’ordre. Deux essais ont déjà été effectués lors du match RC Strasbourg – OL puis Amiens SC – RC Strasbourg. Avec cela, l’objectif est de « relever l’importance d’un dialogue franc et humain entre les supporters et les forces de l’ordre pour améliorer la transmission d’information, la compréhension mutuelle et éviter les malentendus pouvant conduire à des situations conflictuelles », comme le rapporte l’ANS. Le souhait est donc de faciliter les déplacements mais aussi d’assurer une bonne entente entre des groupes où les frictions sont souvent fortes. Et pour le moment, après ces deux premiers essais, c’est une réussite.
À l’échelle européenne maintenant, un autre projet massif est en cours. Le projet LIAISE (Liaison-based Integrated Approach to Improving Supporter Engagment), financé par Erasmus+ et l’UEFA, a pour but de d’encourager les autorités footballistiques à reconnaître l’importance du dialogue entre tous les protagonistes gravitant autour des matchs de football dont les SLOs. Coordonné par SD Europe, ce projet s’étend sur deux ans, il a débuté le 1er janvier 2018 et prendra fin le 31 décembre 2019. On y retrouve huit organisations nationales : l’Union du football bulgare, la Ligue de Football tchèque, la Fédération Française de Football, la Fédération Polonaise de Football, la Fédération Portugaise de Football, la Ligue de Football Suédoise ; deux associations nationales de supporters avec l’ANS et sa compatriote suédoise. La LFP et la Football Association of Ireland sont également inclus tout comme Football Supporters Europe (FSE). Avec plusieurs workshops, des rencontres et évènements dans chaque pays participant, l’envie de voir la position de SLO se renforcer, notamment, est bien présente au niveau global. En France, la LFP et la FFF ont pu prendre conscience de l’importance du rôle grâce à ce projet. Le dialogue permanent est essentiel et permet de réaliser de vrais miracles, d’avoir des résultats concrets qui facilitent la vie des supporters, des clubs, et autres services gravitant autour du football. En alliant les forces, on parvient donc à des résultats qui permettent d’entrevoir un avenir un peu plus brillant.
Et en Europe, où en sommes-nous ?
Il est important de voir ce qui se fait ailleurs. Dans le cas des référents-supporters, de la gestion de ces derniers, le cas de la Suède est particulièrement intéressant puisqu’il montre à quoi les discussions peuvent aboutir. Le pays scandinave fait office d’exemple pour les autres Etats européens. Dans un entretien avec le CEO de la ligue suédoise, Mats Enquist, ce dernier nous a clairement indiqué quelle était la ligne directrice du football suédois « Notre expérience montre que les amendes et les punitions sont contre-productives. Ça n’a rien résolu ou prévenu quoi que ce soit, ça a plutôt créé une situation où les clubs se retenaient sur les coûts de la sécurité afin de pouvoir payer les amendes ». La répression n’est donc pas à l’ordre du jour, et on ne souhaite pas créer une rupture avec les supporters qui sont essentiels au football suédois. Le référent-supporters du club de Malmö, Pierre Nordberg, confirme cela en nous confiant que « ce que nous pouvons faire pour lutter avec le reste de l’Europe est avoir une grosse ambiance dans nos stades. Il y a des atouts économiques à avoir une bonne relation avec les supporters puisqu’ils font énormément pour le football suédois. Si l’on regarde les joueurs sur le terrain, ce n’est pas haut placé en Europe, mais l’ambiance l’est ».
Les supporters sont au service de la cause du football, non contre elle. Ils aiment leur équipe, le club et ce sont à eux d’en profiter pour que ces supporters évoluent dans les meilleures conditions possibles. P. Nordberg pointe du doigt la collaboration avec la police qui est, dans ce cas, nécessaire car « il n’y a aucun intérêt à avoir des problèmes autour du stade lors des jours de match avec toutes les familles, les supporters, ce n’est pas bon pour le club ». Alors on parle, on se réunit autour d’une table, on dialogue. Les supporters savent qu’ils peuvent parler au club, que ce dernier pourra ensuite contacter la ligue ou les autorités publiques pour entendre encore un peu plus ce dialogue.
Dans cette organisation, on retrouve l’ANS suédoise ou SFSU (Svenska Fotbollssupporterunionen) qui travaille de façon constante avec les SLOs ainsi que la Ligue suédoise. Cette dernière a permis en 2012 avec la création de l’initiative « Stå upp för fotbollen! » [NDLR : Lève-toi pour le football !] de faciliter le dialogue entre autorités et supporters mais aussi d’introduire ce rôle de référent en s’inspirant des pratiques allemandes notamment. Il y avait aussi un désir de soutenir les actions des sections debout plutôt que de tomber dans la répression. Un autre chemin a été trouvé pour atteindre les objectifs fixés. Ce projet a été un vrai tournant dans la relation clubs-supporters puisque le dialogue est désormais un outil essentiel mais en plus la violence a grandement diminué. Ce rôle est vu comme un emploi à part entière au sein des clubs qui ne peuvent plus s’en passer tant ils sont précieux à la compréhension des supporters, de leur culture ou encore de leurs besoins. Autre initiative, cette fois officialisée cette année, lancée conjointement par la Ligue et la SFSU : un plan s’étalant sur cinq ans afin de renforcer la coopération entre les différents groupes. Ce projet vient après que la SEF (Föreningen Svensk Elitfotboll) ait « érigé une base où l’on se respecte et se fait confiance». Pour M. Enquist « c’est le moment d’aller plus loin ».
« Nous clamons que les supporters et le football sont dans la même famille, nous sommes juste une famille un peu dysfonctionnelle parfois. Mais nous sommes la même famille, et une famille résout les problèmes ensemble ! » – Mats Enquist, CEO de la LFP suédoise
Mats Enquist nous a d’ailleurs parlé de ces travaux « [Et] la fréquentation est en hausse de 40 à 60% depuis que nous avons commencé… Globalement, la coopération avec les supporters a été un grand succès et nous allons continuer sur ce chemin pour continuer à progresser ensemble ». Son discours montre bien que la situation n’est pas encore idéale et qu’il est encore nécessaire de travailler, notamment sur la pyrotechnie qui est illégale en Suède. Le CEO de la Ligue suédoise comprend pourtant son importance au sein du mouvement ultra. Il rappelle cependant que « Nous, en tant que ligue, sommes principalement inquiets pour des questions sécuritaires, et évitons d’entrer dans le débat selon lequel la pyrotechnie améliore l’ambiance ou si cela effraie les gens. D’ailleurs, la réponse à cela est probablement oui dans les deux cas ». Mais c’est tout de même une chose sur laquelle on travaille intensément au Danemark puisque Brøndby IF a mis au point le fumigène froid qui est actuellement testé. La Ligue suédoise coopère actuellement avec eux avec et la SFSU pour la tester et voir si cela pourrait être une solution pour les tribunes suédoises. À chaque problème sa solution donc.
En Suède, la situation a donc énormément changé depuis 2012 et cela n’est pas forcément étonnant pour un pays où le consensus est un élément essentiel au sein de la société. Que peut-on dire de l’Écosse où les supporters sont également nombreux ? Comme chez les Scandinaves et dans les autres pays où les SLOs sont présents, les discussions sont plus faciles, et on commence à se diriger vers une situation plus apaisée entre les supporters, les clubs et les autorités. Comme en France, la situation écossaise est cependant hétérogène d’après ce que nous a dit le SLO du Celtic Glasgow, John Paul Taylor. Ce dernier nous a expliqué que la gestion des supporters dépend de l’endroit où ils se déplacent, la communauté du Celtic étant massive, la présence policière l’est tout autant. Il nous précise cependant que l’accueil est souvent agréable notamment dans les Highlands mais « dans d’autres parties comme les régions centrales et Édimbourg ce n’est pas toujours si plaisant, il y a souvent trop de policiers et cela intimide les fans notamment les jeunes supporters qui se sentent pris à parti par la Police ». C’est alors au SLO d’intervenir afin d’essayer de réguler la situation, de dialoguer avec les forces de l’ordre pour « qu’ils comprennent que les supporters ne sont pas des hooligans : la majorité des supporters vont au match pour le regarder et supporter leur équipe ».
Malgré la présence des référents, on est donc loin de la Suède qui fait figure de référence pour Supporters Direct Scotland. On est encore dans une situation où la Police agit de façon contreproductive bien qu’ils commencent à comprendre qu’il faut agir d’une manière différente. Les Fan Forums organisés dans le pays permettent justement aux supporters de parler avec les forces de l’ordre, ouvrant la porte à des progrès. Selon le SLO du Celtic, la situation écossaise est correcte, bien sûr cela pourrait être mieux mais c’est d’après lui « mieux que l’Espagne », pays dont lui et les supporters écossais ont gardé un mauvais souvenir puisque « beaucoup d’entre eux ont été gravement battus par la Police à Valence ». Il est alors essentiel pour lui de rencontrer tous les acteurs avant les matchs afin d’éviter des situations comme ça. C’est d’ailleurs ce qui avait été fait avant la rencontre face au PSG, J. P. Taylor avait rencontré le Collectif Ultras Paros afin de se mettre d’accord sur le matériel pouvant entrer au stade. Le dialogue avec les ultras est un rouage essentiel au vu de leur importance dans les tribunes comme il nous l’a une nouvelle fois dit « Nous essayons toujours d’être certains que les ultras soient au courant de ce qu’il est autorisé au stade ». Le travail se fait de façon collective et chaque SLO se doit faire face à ses supporters mais aussi au SLO de l’adversaire, un élément essentiel de la préparation de l’Old Firm. Un travail est effectué en amont « je prends part aux rencontres organisationnelles afin d’apporter mon point de vue sur les arrangements qui pourraient fonctionner le mieux avec nos supporters ». Durant ses réunions, l’homologue des Rangers est aussi présent dans l’optique d’assurer une bonne coopération. Ceci permet de comprendre tout l’enjeu du rôle de référent-supporters qui doit agir à bon nombre de niveaux afin d’arriver à une situation optimale pour les supporters ou encore le club.
Et pour aller encore plus loin dans les démarches, le référent-supporters écossais nous lance une idée pour le futur : « Nous devrions nous pencher sur un coordinateur national dans chaque pays qui pourrait se réunir chaque année pour discuter sur les meilleures pratiques et comment les clubs peuvent travailler ensemble avec le même but afin de s’occuper des supporters, je pense que cela doit être l’objectif ». Cela est inspiré des rencontres organisées chaque année par SD Europe où plusieurs SLOs se rencontrent. Hugues Esteban, en poste à l’OL depuis 2016 y est d’ailleurs souvent présent.
Les référents-supporters représentent donc un élément décisif de la médiation et de la communication entre supporters, clubs, fédérations. Bon nombre de pays européens ont vu leur situation s’améliorer, s’apaiser. Cependant le chemin reste long et difficile car tout n’est pas parfait. L’Écosse, bien que plus paisible, connaît encore beaucoup de troubles avec une présence policière parfois massive. La Suède, pourtant modèle sur le plan du supportérisme, fait encore face à quelques débordements comme rapporté tout récemment. En France, la situation est loin d’être homogène avec des clubs qui tombent encore dans la répression (le FC Nantes ou le Valenciennes FC), les IAS ou les arrêtés préfectoraux et ministériels qui fleurissent encore. Ces sujets avancent peu. Et les supporters ont encore besoin de lutter pour leurs droits. Mais à côté de cela, il reste nécessaire de pointer du doigt les progrès significatifs qui ont été faits. La toute récente instauration des tarifs uniques en tribunes visiteurs en Ligue 1 et Ligue 2 en est la preuve. une mesure qui montre cependant tout le chemin qu’il reste à parcourir puisque encore faut-il que les supporters soient autorisés à déplacer.
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