A quoi juge-t-on une saison ? Quand peut-elle être considérée comme réussie ? Le Racing Club de Strasbourg parait cocher toutes les cases lorsqu’on s’arrête pour observer ce qu’ils ont accompli lors de cet exercice, couronnant une progression constante entamée depuis le CFA 2 en 2011, jusqu’à cette onzième place de Ligue 1 et surtout une Coupe de la Ligue leur ouvrant les portes de l’Europe.
La saison 2017-2018 avait été éprouvante jusque dans ses ultimes instants, sauvée et magnifiée par un coup franc de Dimitri Lienard dont on parle encore en terres alsaciennes. Le mercato qui a suivi a été le signe que les dirigeants et le staff étaient arrivés à la conclusion que, s’ils voulaient assouvir leur ambition de remettre Strasbourg sur la carte du football français, il leur faudrait faire des changements en profondeur dans l’effectif. Matz Sels, Eiji Kawashima, Stefan Mitrovic, Lamine Kone, Lionel Carole, Ibrahima Sissoko, Adrien Thomasson, Lebo Mothiba et Ludovic Ajorque : sur ces neuf arrivées au mercato d’été, sept sont devenus des titulaires indiscutables lors de la saison 2018-2019. Eiji Kawashima subira tout au long de la saison la forme étincelante des deux gardiens qui le précèdent dans la hiérarchie, quant à Lionel Carole, s’il a été titulaire quand il était disponible, il aura du composer avec de nombreuses blessures.
Si la saison s’était arrêtée au soir de la demi-finale retour de la Coupe de la Ligue, le 30 janvier face à Bordeaux, le bilan aurait été quasi-parfait. Le Racing Club de Strasbourg était cinquième du championnat de France, deuxième meilleure attaque du championnat derrière l’intouchable PSG (qui a à nouveau échoué à battre les Strasbourgeois chez eux) et qualifié pour une finale de coupe nationale après avoir éliminé coup sur coup Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux. Le tout dans une des plus belles ambiances du championnat. Thierry Laurey a su faire des choix forts : certains cadres de la saison passée comme Dimitri Lienard et Benjamin Corgnet ont été
relégués au banc; l’équipe joue désormais dans un système hybride oscillant entre une défense à trois ou cinq, mais est toujours capable de repasser à quatre lorsque le scenario l’exige ; Jonas Martin, après une saison moyenne en tant que meneur de jeu avancé, a révélé tout son talent une fois reculé sur le terrain dans un rôle de relayeur, capable de distribuer le jeu comme de se projeter balle au pied. Les recrues ont toutes tenu leurs promesses, certaines bien au-delà des espérances comme Matz Sels, devenu dès sa première saison en France un des meilleurs gardiens du championnat.
La suite ? Une fois la place en finale en poche, le club n’obtiendra que deux victoires lors des seize derniers matchs de championnat (dont une à la dernière journée contre Nantes dans un match sans enjeu) et dégringolera jusqu’à la onzième place du championnat. Sans perdre énormément de son jeu offensif ni de son identité, le RCS se révèlera incapable de bonifier ce résultat et d’engranger une dynamique positive. La plupart des joueurs de l’effectif devaient gérer la pression d’une finale à venir pour la première fois de leur carrière, et cela a certainement pesé dans la balance. Heureusement, les objectifs de maintien étaient déjà quasiment acquis, et le niveau global assez faible des poursuivants leur a évité de se faire peur en fin de saison.
Alors oui, il y a eu cette finale, remportée au bout de l’ennui, et venant consacrer la renaissance d’un club mythique du championnat de France. Alors oui, un club tel que le Racing est soumis à la dictature du résultat, et
lorsqu’on juge sur ce point, le club est en nette progression. Si on avait demandé au coach, au président ou aux supporters en début de saison s’ils se contenteraient d’une onzième place et d’un trophée, tout le monde aurait signé des deux mains.
Mais le déroulement de la saison peut laisser un goût amer, tant cette équipe a parfois donné l’impression d’être capable d’encore mieux et a laissé passer des matchs complètement à sa portée. Cette fin de saison représente à la fois une frustration et un espoir ; si Thierry Laurey réussit à faire passer un nouveau cap a ce groupe, si les recrues de l’été viennent combler certaines lacunes, si la progression constante de certains jeunes (Sissoko, Fofana, Caci) se poursuit, le club peut prétendre à une nouvelle saison pleine. Pour passer un nouveau cap, le club et les joueurs doivent être capables d’assimiler un grand match à venir, de faire partie de ces clubs de Ligue 1 qui prétendent chaque année à jouer beaucoup de matchs, sur de nombreux tableaux, avec ce que cela implique de préparation mentale, de mobilisation quotidienne du groupe et du staff.
Le mercato d’été sera vital dans la réalisation de cet objectif. Comment le club réussira-t-il à gérer l’après Kenny Lala ? Son rôle de piston droit dans ce système était prédominant à la fois offensivement et défensivement, et Thierry Laurey devra forcément faire des ajustements tactiques car il aura du mal à lui trouver un remplaçant aussi déterminant des deux côtés du terrain. La différence de niveau entre les titulaires et certains remplaçants devra également être réduite, si l’équipe veut conserver une compétitivité constante. Marc Keller serait bien inspiré de tenter de conserver définitivement Sanjin Prcic, lui qui a plus que réussi à compenser la longue blessure de Jonas Martin. Il serait intéressant la saison prochaine d’avoir de tels joueurs en concurrence et de pouvoir profiter d’un turn-over de qualité.
Mis à part un Kop indéfectiblement derrière son équipe, on a senti dans le dernier tiers de la saison un agacement du public de la Meinau quant aux résultats de son équipe. Alors on pourrait qualifier ceux-ci de capricieux, au regard des résultats inespérés obtenus cette saison. Mais l’Alsacien est difficile a contenter, et lui-même, en donnant parfois l’air d’être ingrat et de s’adonner à la culture de l’instant, a bien compris que le club devait et pouvait continuer à regarder vers le haut. Et cette réaction répond à la question posée au début de cet article. Les Strasbourgeois ne savent que trop bien ce qu’il en coûte d’être revenu à ce niveau. La renaissance et la gloire oui, mais pas à n’importe quel prix. Avec un stade sur le point d’être rénové, une armoire à trophées dépoussiérée et des matchs européens a l’horizon, le club et la ville ont bâti les fondations d’une nouvelle histoire à écrire.
@pepitoajenjo
Photo crédits : FREDERICK FLORIN / AFP