Sélectionneur de l’équipe U23 de la RD Congo et adjoint chez les A, Christopher Oualembo a accepté d’évoquer avec nous les perspectives du football congolais. Après avoir évoqué l’approche technique et le rôle du sélectionneur, place aux réalités d’un pays indépendant depuis près de 60 ans.
De quelles infrastructures dispose la RD Congo ? Quel est son potentiel ?
Il y a des installations sur place qu’il faut régénérer, on a de la place pour le faire. On peut avoir les moyens, mais il faut prendre le temps de le faire. Il y a des urgences au niveau des terrains et du football. Aujourd’hui, le football congolais est riche en talents, tout le monde le sait, mais personne n’est capable de quantifier le potentiel. C’est un réel problème. C’est là que l’on perd un peu de crédit. On entend souvent « On a de super joueurs, il y a beaucoup de congolais » Qui ? Combien ? On est incapables de répondre à ces questions. On manque de crédibilité. Un travail de fond sur le plan statistique doit être effectué. Il faut être en mesure d’identifier les joueurs à fort potentiel, cibler les régions riches en talents si l’on veut développer le football congolais et attirer les sponsors. Il faut valoriser tout cela. On a aujourd’hui l’impression de n’être qu’à 5% de nos capacités. Le Congo est un pays très riche dans bien des domaines. Aujourd’hui, le monde ne peut pas se passer du Congo, tout le monde le sait.
« La RD Congo est un pays-continent, complètement fou de foot. Il peut un jour devenir un finaliste mondial au même titre que le Nigeria » – Claude Le Roy
Oui, je pense que le Congo peut devenir le premier pays africain à remporter la Coupe du monde, j’y crois. On va peut-être me prendre pour un fou ou un prétentieux mais ce n’est pas ça, c’est de l’ambition.
Il manque des actions. Au Congo, il y a beaucoup de joueurs, il y a la place pour construire des infrastructures. On sait aujourd’hui ce qu’il faut améliorer. On a tout à gagner, mais également tout à construire. Ces actions peuvent entraîner de la réussite. Ces actions doivent impérativement partir des problématiques identifiées qu’il faudra corriger en toute objectivité.
Le développement des infrastructures en fait partie au même titre que la mise en place de tournois inter-ligues. L’idée est de permettre à toutes les ligues (les provinces) de devenir aussi compétitive que celle de Kinshasa. La rénovation du centre technique national permettrait de recevoir les équipes nationales dans des conditions optimales. Aujourd’hui, la FECOFA (Fédération congolaise de football) a une volonté réelle de développer le football congolais. Cela doit être suivi d’actes. Il faudra mettre en place cela rapidement afin d’accueillir au mieux les générations futures.
Le Congo possède une importante diaspora, comment développer une véritable politique au niveau des jeunes ?
Je ne peux pas me baser exclusivement sur la diaspora. Pour mes choix, je me base sur trois critères : le patriotisme, le temps de jeu et les performances. Les qualités humaines sont également à prendre en compte. Je dois voir comment vit l’homme au sein du groupe. Les U23 sont déjà des joueurs confirmés, évoluant en équipe première. Le problème n’est pas le même que les autres catégories de jeunes là où certains peuvent être surclassés.
A niveau égal, entre un joueur local et un autre issu de la diaspora, je privilégie le joueur local. J’estime qu’il a plus de mérite. Il n’a pas été formé en centre de formation, il n’a pas eu les mêmes armes et la même structure qu’un joueur issu de la diaspora.
Le patriotisme c’est l’envie du joueur de défendre les couleurs du Congo. Pour cela, on prend le temps de discuter avec lui. Nos entretiens permettent de jauger le niveau de motivation de chaque joueur.
Presnel Kimpembe a évolué en sélection de jeunes sous les couleurs de la RD Congo avant de choisir finalement la France.
Kimpembe avait envie de venir défendre les couleurs du Congo mais il n’y avait pas les structures adaptées. Il a peut-être identifié des choses qui ne lui ont pas plu. Entre temps, l’équipe de France l’a approché. Il est difficile pour nous de lutter face aux sélections européennes. Il y a une nouvelle génération qui arrive. On dispute désormais des matches intéressants. Les succès permettront de créer une véritable dynamique.
Le rôle du sélectionneur est d’appeler régulièrement les joueurs, de prendre des nouvelles, d’assurer un véritable suivi. Cela n’a pas été fait correctement avec Presnel Kimpembe.
La CAN U23 se déroule en ce moment en Egypte, une compétition à laquelle vous auriez pu participer.
Un litige administratif a entraîné notre disqualification suite à une réserve posée par le Maroc. L’un de nos joueurs, Arsène Zola aurait eu deux années de naissance différentes enregistrées à deux moments distincts. A priori, il s’agirait d’une erreur du secrétariat du TP Mazembe. On est passés à autre chose. On sera forcément plus vigilants à l’avenir sur ce genre de cas notamment lors du renouvellement de passeports.
L’équipe olympique de la RD Congo n’ira donc pas à Tokyo. Quels enseignements en tirer ?
La campagne a été rassurante, il y a eu beaucoup de très bonnes choses. Sept buts inscrits et un seul encaissé. J’ai eu l’occasion de rencontrer de très bons joueurs. On a de quoi faire de très belles choses avec les U23. Il y a de très bons joueurs dont William Balikwisha, Edo Kayembe ou encore Jackson Muleka et Mukoko Amale. Il va falloir rassembler toutes les forces vives pour avoir une bonne équipe
Hormis les tournois amicaux, il existe aujourd’hui très peu de compétitions pour les espoirs. Il y a la CAN U23 organisée tous les quatre ans et qualificative pour les JO. Les instances de la CAF discutent de compétitions plus rapprochées pour le développement de sélections de jeunes en Afrique. L’aménagement en fonction des dates FIFA sera à surveiller car les clubs sont souvent réticents à libérer leurs joueurs en dehors de ces dates.
L’objectif est-il de participer aux JO de Paris 2024 ?
Les JO peuvent être un objectif personnel mais l’essentiel c’est de préparer les joueurs pour évoluer en A. Le renouvellement de l’équipe nationale à l’horizon 2022 sera inévitable car les joueurs majeurs actuels seront tous trentenaires. Il faut absolument faire le lien entre les U23 et les A. L’objectif des Léopards, c’est la CAN 2021 et le mondial 2022.
Dans l’ouvrage Magique Système, l’esclavage moderne des footballeurs africains (B. Gaillard & C. Gleizes, ed. Marabout), un chapitre vise le football congolais. Il est question de la disparition de joueurs des registres de la fédération. Mabwati et Mbemba sont les cas les plus célèbres. Ce manque de traçabilité a un impact sur le versement d’indemnités de formation ou de mécanismes de solidarités régis par les règlements FIFA. Les structures locales ne se développent pas car privées d’importantes ressources.
La CAF essaie de mettre en place un système de Licence+ (numéro de licence incluant la date de naissance inversée). Quelle est la position de la FECOFA ?
Il faut tout dé-matérialiser, enregistrer les informations liées à l’état civil et le parcours de formation dans un fichier informatique centralisé. Un suivi précis et une traçabilité des parcours de formation sont indispensables. Il va falloir ré-assainir cet aspect au sein du football congolais.
Je ne suis pas au courant de tous les aspects administratifs tels que la mise en place de Licence+ mais c’est une bonne idée. On a une réelle volonté de changement au Congo. Je m’entretiens régulièrement avec le Président de la FECOFA Constant Omari, il est très impliqué. On ne doit pas l’accuser de tous les maux de la sélection. Le Président Omari met les moyens, gère la partie administrative avec le soutien de la Fédé. Il nomme les responsables techniques mais n’interfère pas sur le terrain.
La FIFA est très regardante sur les aspects administratifs. Elle accorde des subventions à la FECOFA. Des commissions sont organisées régulièrement sur ces sujets. Aujourd’hui, le Président subit des attaques qui ne sont pas forcément justifiées. Le Président a fait un choix fort en choisissant Nsengi. Il est compétent et congolais. Ce choix décomplexifie tout le monde. Les gens s’identifient plus facilement.
A compétences égales, pourquoi ne pas valoriser le local ? Vous ne verrez probablement jamais d’entraîneur congolais à la tête de l’Equipe de France.
Par exemple, lorsque que ça va moins bien, le coach peut s’exprimer en lingala et ça aide. Dans les moments de tension ça peut devenir très délicat. J’ai déjà entendu dans un vestiaire un joueur s’exprimer en lingala à propos d’un sélectionneur étranger en disant « de toute façon, qu’est-ce qu’il va nous apporter ? il est là pour prendre l’argent ! ». C’est faux ! Il n’est pas là pour ça ! Il suffit parfois d’une réaction disproportionnée du coach dans le vestiaire et ça en entraîne d’autres à chaud. On parle d’un pays qui a souffert et qui souffre encore. Le Congo a une histoire, des blessures que l’on ne pourra jamais effacer.
Le mot de la fin ?
Continuez de croire en nous, continuez à être fiers du Congo, c’est un très grand pays avec un potentiel énorme.
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