Un peu plus d’un mois après l’alerte lancée par l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Europe prend actuellement de plein fouet la vague du Coronavirus arrivée de Chine. Premier pays impacté ainsi que le plus touché sur le Vieux Continent, l’Italie s’enfonce jour après jour dans une spirale de catastrophisme auquel le football n’échappe évidemment pas. Indécision, panique, paralysie totale, incompétence, individualisme… ainsi pourrait-t-on décrire le triste spectacle qui se déroule de l’autre côté des Alpes à tous les niveaux alors que l’Europe se laisse peu à peu gagner par la même gangrène.
Indécision
On dit souvent que sport et politique ne font pas bon ménage. En l’occurrence, le dicton se vérifie mais va bien sûr au-delà du cadre quasi insignifiant de notre ballon préféré, et pour cause, puisque c’est une accumulation de bêtises politiques qui ont sans doute mené la Botte dans sa situation actuelle. En effet, une fois la crise déclarée du côté de Wuhan et les sonnettes d’alarmes tirées aux quatre coins du globe, les premières mesures ont commencé à être prises pour empêcher l’arrivée du COVID-19 sur les territoires et limiter sa propagation.
En Italie, la réaction s’avéra à la fois complètement à côté de la plaque voire irresponsable de la part de certains cadres nationaux. Pour rappel, en Italie, le système de santé s’organise au niveau régional. Dans le nord, aujourd’hui presque entièrement bouclé, c’est la Ligue du Nord de l’ancien chef d’état Matteo Salvini qui est principalement aux commandes. Problème, après ses déclarations au début des évènements arguant que ce nouveau fléau venu de l’étranger était une bonne raison pour fermer les frontières aux citoyens chinois, il a été découvert que le « patient n°1 » était bien Italien (bien que le « zéro », l’originel, soit encore inconnu, il le serait également).
C’est alors le début de la foire. Des responsables régionaux issus de La Ligue du Nord dépassés par la propagation à vitesse grand V du virus, accusant Giuseppe Conte, (équivalent de notre Premier Ministre) proche du Mouvement 5 Etoiles avec qui Salvini a coupé les ponts il y a quelques mois, de ne pas soutenir les régions dans leur effort, quand lui leur reproche leur incompétence. Malgré quelques consignes de confinement instaurées, le niveau de panique aura vite fait de grimper en flèche dans le même temps. Pour s’en apercevoir, il suffit de jeter un œil aux images succédant à l’annonce dans la presse d’une possible quarantaine de la Lombardie entière. Des centaines de gens se précipitant vers la gare de Milan, bagage sous le bras, ignorant complètement les recommandations invoquées. Ailleurs, razzias sur les magasins, images de révolutions dans des prisons devant annoncer aux prisonniers l’interdiction de voir leurs familles, milliers de gens se précipitant à l’hôpital à la moindre quinte de toux débordant ainsi des services dont les budgets sont à l’agonie depuis vingt ans et démultipliant le risque de contagion quand le bon sens imposerait de rester chez soi.
En conséquence, les compteurs s’affolent et les chiffres sont repris à tout va dans nos médias. Près de 5% de mortalité parmi les infectés en Italie. Plus d’une centaine de morts en une nuit. Oui, dans ce contexte, rien d’étonnant ; c’en est même presque « peu ». Dans un climat tout autre, la Corée du Sud a consenti à un véritable effort de guerre pour démultiplier ses contrôles et les mesures de sécurité, limitant le taux de mortalité à… moins de 0,5%. La France ? Elle n’est sans doute pas et ne semble pas comparable à ces deux cas situés aux extrêmes opposés du spectre de cette crise.
Côté football ?
Puisque notre petit monde du foot est à l’image de la société, il suffit désormais de transposer les comportements évoqués plus haut aux instances du sport et aux clubs pour comprendre ce qui se passe en Serie A.
C’est à l’occasion de la 25e journée de championnat qu’est intervenue la présente crise. Quatre rencontres devant se dérouler dans des régions à risque (Atalanta-Sassuolo, Verona-Cagliari, Torino-Parme, Inter-Sampdoria) il a fallu trancher. Devant l’urgence et le côté sans doute « passager » du problème, les matchs sont repoussés à mi-mars. Evidemment, le problème n’a rien de passager, et pour l’Inter, en plein cœur de la zone de contamination avec son calendrier surchargé, aucune date n’est trouvée. La semaine suivante, à nouveau panique à bord quand l’Italie se retrouve coupée en deux. Comme une instance incompétente ne peut se décider avant le dernier moment – jouera, jouera pas, huis-clos, report au mois de mai ? Cinq rencontres sont concernées dont l’importantissime Derby d’Italie Juventus-Inter. Début du show-catastrophe.
Encore une fois dans l’urgence, la Lega propose que le match soit repoussé de 24h, au lundi soir, mais avec interdiction pour les supporters résidant dans les régions à risque de se rendre au stade (Turin étant encore épargnée à ce moment-là). Décision étrangement mise de côté, et le match repoussé, les Intéristes hurlant au complot et au « Mafia Juve » qui chercherait à renvoyer le match au mois de mai pour échapper au choc dans un mois compliqué sportivement. Le lendemain, le président de la Lega déclare que celui qui n’a pas voulu jouer le lundi même était… Giuseppe Marotta lui-même, dirigeant de l’Inter. Une bien étrange schizophrénie passagère… Surtout au moment de déclarer, au nom « de l’équité sportive », qu’il faut jouer au plus vite ce match à huis-clos plutôt qu’en mai (quand la veille encore ses représentants et ceux des instances s’écharpaient pour le reconduite du match contre la Sampdoria). Chose sans laquelle, le président de la ligue serait « le plus gros clown qu’il ait jamais vu » selon le président nerazzurro Zhang. Vous l’aurez compris, l’Inter a cherché à arracher les conditions les plus favorables qui soient pour sa pomme… quand tous les autres clubs ont ensemble adhéré au nouveau calendrier provisoire. Et de l’aveu du président de Brescia, Andrea Agnelli était en faveur du fameux huis-clos quoi qu’il arrive.
Arrivés à ce dimanche 8 mars fatidique, alors que toute l’Italie du sport est paralysée, la Serie A se tient prête à jouer ses matchs à huis-clos. Nouvel épisode désastreux avec le Parme-SPAL programmé à 12h30. Avant le coup d’envoi, l’arbitre rappelle les joueurs aux vestiaires. Le ministre des sports vient de décider l’arrêt du championnat. Puis finalement non. Une heure de flou avant que l’on nous annonce un coup d’envoi à 13h45. L’indécision atteint un nouveau pic, avant que l’on ne se rende compte de ce qu’implique le fait de jouer sans public. Le match ressemble à un foot entre potes au milieu des vacances. Un match en toc, sans vie. C’est donc à cela que vont ressembler les mois restants ?
Dans la journée, alors que le Derby approche, tout y passe. Encore repousser ? Stopper le championnat ? Jouer ? Le président de la fédération explique qu’il sera compliqué de poursuivre la saison si un joueur est infecté. Encore quelques coups de pelle, pour s’enfoncer toujours plus profond. On ne sait pas, on verra bien. Mario Balotelli, lui, refuse que l’on attende le pire pour se décider. Le syndicat des joueurs appelle à la grève, une réunion extraordinaire ce mardi 10 mars entre toutes les parties décidera du sort d’une Serie A déjà perdue, pendant qu’en Serie B on voit des joueurs entrer sur le terrain avec des masques de protection et que les niveaux inférieurs sont paralysés.
PREOCCUPATI PER LA SALUTE dei nostri giocatori e per quella degli avversari, siamo scesi in campo indossando le mascherine protettive. Queste verranno rimosse solo su invito dell'arbitro poiché non previste dal regolamento. #coronoravirus | #BenPes | Ore 21 pic.twitter.com/Pj2xQBwc4c
— Pescara Calcio (@PescaraCalcio) March 8, 2020
C’est l’heure du Derby, Cristiano Ronaldo salue des tifosi imaginaires, le speaker chauffe un public absent, la musique à fond dans les enceintes du Stadium ne couvre aucun chant pendant l’échauffement. Pas d’autres effusions de joie que celles du banc bianconero quand Ramsey et Dybala enterrent l’Inter et propulsent la Juve en tête du championnat. Au fond, malgré la joie de dominer un rival ou la peine de s’incliner dans une rencontre importante pour le titre, tout le monde sait que ce match décisif ne décidera finalement de rien.
https://twitter.com/juventusfcen/status/1236731678804054016
C’était la pire chose à faire
Plongée dans le doute à la fin de ce week-end extrêmement tendu, l’Italie a finalement eu le droit à des décisions. Finie l’inaction, les instances ont tranché. Le lundi 9 mars au soir, à l’appel du Comité Olympique Italien, le gouvernement a décidé de suspendre toutes les activités sportives du pays, Serie A comprise cette fois. Les matchs européens pourraient être maintenus mais à huis-clos, mais comment feront les clubs pour rester compétitifs sans championnat ? Si le Comité Olympique n’avait pas le poids pour décider seul, le gouvernement a tranché, mais dans les grandes largeurs. Pour cause, l’Italie est en quarantaine totale. Une assignation à résidence pour 60 millions de personnes.
L’isolement total qui découle de la gestion catastrophique du même gouvernement. Qui laisse chacun livré à lui-même, qui rend fou. Non, le virus ne ravagera sans doute pas des pays entiers s’étant refusés au confinement total en enlevant des millions de vies pour peu que l’effort consenti soit de taille. L’exemple coréen est peut-être utopiste, mais l’Italie a elle au contraire basculé dans ce qu’il pouvait y avoir de pire.
Faire poursuivre le championnat, même à huis-clos n’aurait peut-être pas été si ridicule, non. Regardez ce Derby. Regardez au-delà des tribunes vides. L’espace de presque deux heures, des milliers (et sans doute plus) de gens ont mis de côté la tension qui a rongé le pays dehors. L’espace de presque deux heures, des milliers de gens ont oublié la panique généralisée qui sévit et ont vu leurs petits héros à leurs couleurs leur donner au moins l’illusion que là-dehors, le monde continue de tourner normalement. Même hors des terrains, de nombreux acteurs avaient un rôle à jouer en profitant de la dynamique du championnat.
Le message que tourne en Italie sur les réseaux sociaux est celui de rester à la maison, pour éviter de empirer la situation…si mon point de vue ne vous intéresse pas… écoutez des gens que vous connaissez mieux… #restiamoacasa #restateacasa #distantimauniti pic.twitter.com/uinyGKN8eH
— Simone Rovera (@SimoneRovera) March 9, 2020
Le monde du foot professionnel est sans doute un des rares qui combine cet aspect public et une extrême précaution en ce qui concerne l’appréhension du virus. Faire continuer ce championnat, c’était presque donner aux clubs un devoir. Un devoir que n’a pas hésité à remplir l’exemplaire Francesco Caputo, buteur lors du Sassuolo-Brescia de ce lundi… et certainement la dernière étincelle avant un mois dans le noir complet. Tout ira bien. Reste chez toi.
https://twitter.com/SassuoloUS/status/1237082297523941376
La saison vient sans doute de se terminer pour l’Italie puisqu’officiellement, les compétitions sont gelées jusqu’au 3 avril, après quoi il n’y aura pas le temps de boucler tous les matchs. Un vainqueur de la Serie A sera-t-il désigné ? S’il devait y en avoir un, ce serait la Juventus, bien que ce trophée n’aurait aucun sens. La Coppa n’aura sans doute jamais de fin non plus, et l’avenir des compétitions européennes semble aussi menacé… tout comme celui de l’Euro. Bien qu’il y ait très peu de chances de trouver un pays pouvant reproduire la catastrophe italienne, il va être très difficile d’envisager les mois qui viennent sur le reste du continent, et c’est ce que vont devoir faire nombre de nations de concert. Mais là où des millions d’Italiens ont paniqué devant l’abandon dont ils ont été victimes, il semble aujourd’hui malvenu de fustiger la décision de fermer au public certaines manifestations sportives ou la relative limitation de certains déplacements nationaux. Même ce PSG-Dortmund pourtant décisif. Comprenons qu’il ne pèse pas bien lourd face au poids de ce qui se joue.
Tout ira bien. Peut-être. Et nous resterons partout chez nous.
Crédit photo : Marco Alpozzi/LaPresse/IconSport