Ce samedi 21 mars, l’ancien président du Real Madrid Lorenzo Sanz nous a quittés après avoir contracté le COVID-19. Ce président restera dans les mémoires comme un personnage aux idéaux douteux qui aura eu à faire face à la justice, mais aussi comme celui qui aura su remettre le club phare de Madrid sur le toit de l’Europe, après une longue période de disette. Le succès de cette présidence (1995-2000), on le doit pour bonne partie à l’éclosion d’une des plus grandes figures de l’histoire du club : Raúl Gonzalez Blanco.
Évoquer la carrière du Siete du Real Madrid, c’est évoquer un paradoxe, bien résumé en 2012 par nul autre que Pep Guardiola : « Raúl est le joueur le plus important de l’histoire du football espagnol. C’est un exemple qu’un joueur avec ses caractéristiques ait survécu tant d’années au meilleur niveau, en restant si compétitif ». Vient alors un questionnement : comment ? Si l’on met de côté l’autre anomalie de son époque, Pippo Inzaghi, Raúl tient peu la comparaison face à ses contemporains. Henry, Ronaldo, Drogba ou Eto’o pour n’en citer que quelques uns qui ont marqué leur époque en même temps que le capitaine madrilène ; tous excellaient dans un ou plusieurs domaines : vitesse, puissance, taille, jeu de tête, dribble… Alors quoi ? Comment devient-on le meilleur buteur de l’histoire des compétitions européennes (battu depuis par vous-savez-qui) dans le plus grand club du monde ?
Raúl est certainement une des légendes du football les plus énigmatiques de son temps, un joueur qui s’est hissée au sommet sans faire de bruit. Il est la plus grande figure de l’histoire du plus grand club du monde, mais finalement assez peu cité quand viennent les moments de dresser un bilan sur les plus grands attaquants à avoir pratiqué ce sport. On pourrait penser qu’il le mérite, au regard de sa carrière, mais aussi des différentes phases qu’il a toujours su traverser et affronter. Il est aussi le plus grand joueur de l’histoire de l’équipe d’Espagne qui perd, sevré de la joie de gagner avec son pays par un sélectionneur qui lui préférait Dani Güiza. Encore une fois, Raúl est un paradoxe.
On l’a découvert en 1994, jeune espoir chétif dans un club qui n’a plus connu la saveur d’une victoire en Champions League depuis un quart de siècle. On l’a ensuite vu prendre ses responsabilités très jeune, se faire un nom en Espagne et en Europe en étant de ceux qui ont su briser la malédiction continentale. On l’a pensé trop faible, trop lisse pour s’imposer dans la politique galactique de Florentino Pérez. Peu s’en souviennent, mais au-delà du soutien inconditionnel du peuple madridista, Raúl a constamment été remis en question par les politiques sportives de son club.
Et toujours il a répondu présent. C’est peut-être celui-là le secret au fond : constamment être sous-estimé parce que pas assez médiatique, pas assez physique, pas assez rapide. Il lui a toujours fallu répondre présent là où on ne l’attendait pas, briller à des hauteurs qu’on lui pensait inatteignables. Il était un joueur d’imagination, il lui fallait constamment inventer pour être le meilleur. Inventer les espaces ou s’engouffrer, inventer ces petits crochets, inventer ces frappes impensables et ces trajectoires malicieuses. Il était incapable de mettre les buts des autres, mais seul lui pouvait inscrire les siens. Lancez donc une compilation de ses meilleures actions, et vous saurez de quoi je parle.
Et lorsque les Galactiques se sont éteints, lorsque le constat d’échec fut inévitable, lorsque le club entrait à nouveau dans une période de disette nationale et continentale, Raùl était là. C’est pour cela qu’il est la légende de ce club. Raúl est un concept, une transcendance. Il est l’incarnation de l’idée sacrée du madridismo, il représente cet idéal à atteindre pour chaque joueur portant la tunique blanche. Il a été l’ange gardien de son institution durant quinze années, envers et contre tout.
Puis il s’en est allé, en 2010, laissant tout un peuple orphelin. Un choix étonnant, celui de Gelsenkirchen et de la Bundesliga; un trio d’attaque tout aussi étonnant, aux côtés de Klaas-Jan Huntelaar et Jefferson Farfán. Et pourtant, Raúl a apporté sa magie avec lui. Il emmène Schalke 04 en demi-finales de la Champions League pour la première fois de son histoire, en éliminant notamment le tenant du titre, l’Inter Milan. Pas rassasié, il se permet aussi de gagner une coupe d’Allemagne la même saison. L’effet est le même pour les supporters de la Veltins Arena, la marque laissée par la légende espagnole est indélébile. Après seulement deux saisons et quarante buts inscrits, le club décide de lui retirer son maillot, honneur suprême pour une icône discrète.
C’est certainement cela au fond : même une fois sa carrière terminée, il reste sous-estimé, peu évoqué. Mais ceux qui supportent un des clubs par lesquels il est passé ne l’oublieront jamais. Il n’est pas une icône universelle, mais il est prince en ses royaumes. Et chaque supporter madrilène attend désormais fébrilement son grand retour, en tant qu’entraineur cette fois-ci. Jorge Valdano, autre légende du club et l’entraineur qui l’a amené en équipe première, annonce déjà qu’au Real Madrid, le futur s’appelle Raúl.
Credit photo : Marca / Icon Sport