L’espace est une denrée rare dans notre football européen, et l’on en vient même à se demander s’il ne pourrait pas disparaître totalement. Et si en attendant, les éducateurs travaillent sans relâche pour trouver des solutions, certains joueurs semblent voués à leur faciliter la tâche. Après un parcours tumultueux, Luis Alberto fait désormais partie de cette catégorie-là. Chacune de ses apparitions est une invitation à l’esquive, où les arabesques de son jeu contrecarrent les plans d’une opposition qui rêve pourtant de limiter son influence.
Il est un meneur de jeu qui interprète l’espace à la limite de la perfection. À la récupération du ballon, il possède une qualité rare. Celle de ne jamais se fermer la possibilité de servir un partenaire. En effet, une contre-attaque est toujours un chemin semé d’embûches, où les opportunités disparaissent parfois aussi vite qu’elles sont apparues. L’art est alors de sentir la fenêtre de passe, puis de posséder la conviction nécessaire pour caresser le cuir avant qu’elle ne se ferme.
Cette saison, Luis Alberto en a fait la plus belle démonstration, dans un récital de passes ô combien délicieux. Il y a eu ces nombreux centres plongeants vers Milinkovic-Savic, souvent délivrés depuis ce côté gauche où il aime s’exiler pour aller trouver son bonheur. Mais aussi ces très longues passes de l’intérieur du pied, qui jouissent d’un rebond particulièrement avantageux pour les appels de Ciro Immobile. Enfin, quand l’adversaire avait flairé la menace et bloqué l’espace en conséquence, son extérieur du pied servait d’ultime arme de déséquilibre. Un passeur souverain, à-même d’allier à son art une science du dribble teintée de sombreros et de petits ponts loin d’être là pour seulement amuser la galerie.
De la plénitude du meneur
S’il ne fait aucun doute que Luis Alberto est doté de remarquables aptitudes, le travail d’Inzaghi pour lui offrir de la liberté au sein de son système est à saluer. Cela se matérialise par la mise en place cruciale de deux duos dans son 3-5-2. Il y a d’abord cette paire d’attaquants Immobile/Correa qui n’hésite pas à effectuer de nombreuses courses sur toute la largeur. Ensuite, les adversaires sont aspirés par les pistons Lulic et Marusic, qui en phase de possession occupent les rôles de véritables ailiers collés à la ligne.
L’espace ainsi créé dans l’axe du terrain permet à l’Espagnol et à Milinkovic-Savic de se démarquer et de faire parler leur créativité. Ainsi, en choisissant d’aligner en relayeurs deux profils qui pourraient aisément jouer plus haut, le technicien italien renforce une prise de décision optimale dans le dernier geste. S’il est parfois compliqué pour certains tacticiens de croire en un numéro dix, Inzaghi prend le contre-pied de cette idée en modélisant une animation qui fait la part belle à deux virtuoses.
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Ce recul sur le terrain de l’ex-sévillan a été accompagné par une plus grande responsabilisation dans les tâches défensives, usant de sa lecture du jeu pour couper court aux transmissions adverses. Un pari qui a fonctionné à merveille cette saison, tant la confiance émise envers Luis Alberto a également transcendé mentalement ce dernier. Il reconnaît « que c’est la première année où je joue à un niveau élevé, je me sens bien et j’endosse de nombreuses responsabilités au sein de l’équipe ».
Une mainmise sur le jeu offensif de son équipe qui se traduit statistiquement. En 25 matchs de Série A, il est en tête des catégories suivantes : Passes réussies dans le dernier tiers (723) ; Occasions créées (75) ; Passes décisives (12). Un dernier chiffre impressionnant, quand on rappelle que Papu Gómez avait terminé meilleur passeur du dernier exercice avec 11 caviars délivrés.
Souvenirs et renouveau
Si Luis Alberto est devenu un leader technique dans un championnat adepte des artistes de ce genre, son apport au jeu va plus loin que cela. Avec son profil de 10 à l’ancienne, élégant, dévoué à ses partenaires et capable de débloquer un match sur une inspiration géniale, il est un joueur pour les nostalgiques. Pourtant, son habilité à se fondre dans ce football moderne, en prenant un malin plaisir à déjouer le pressing et à conduire le ballon à son rythme vers le but adverse, n’a rien à envier aux références à ce poste. C’est simple, il représente autant ce joueur passé qu’on évoque tendrement que le joueur actuel dont on espère que l’avenir sera peuplé.
Dans cette période compliquée pour le football (et pour tout le monde), le parcours de l’homme de 27 ans appelle aussi à la sagesse. Car hormis cette glorieuse saison 2019/2020, on trouve des années de galère à Liverpool, une période de blessure difficile à encaisser à Malaga où encore une première saison cataclysmique dans la ville éternelle.
À tel point que sans l’aide de Juan Campillo, son coach mental, il ne jouerait peut-être plus au football aujourd’hui : « Début 2017, j’étais au pire moment de ma carrière. Je voyais tout en noir, dans ma tête, je pensais que je n’étais d’aucune utilité… Mais grâce à ma famille et à mon coach mental (Juan Campillo) j’ai réussi à changer la situation. En quelques semaines, j’ai subi un changement radical, je l’ai remarqué immédiatement. Le coaching m’a fait réaliser que je pouvais donner beaucoup plus. Il m’a donné la force de m’en sortir…. Tout cela était mental, j’étais coincé », a-t-il déclaré à l’antenne d’Onda Cero.
En réalité, derrière chaque footballeur catalogué comme flop, abonné aux blessures ou friable mentalement, se cache une seconde vie. Chacun d’entre eux a la capacité de rebondir. Que ce soit en s’appuyant sur son amour pour le jeu, ou en trouvant le bon appui dans son entourage, qu’il soit personnel ou sportif. Le nouveau Luis Alberto dirait peut-être qu’il suffit de se situer dans le bon espace, finalement.
Crédit photo : Foto IPP/Cavaliere Emiliano/Icon Sport