Dans cette série d’articles, nous vous proposons de revenir sur les footballeurs qui ont contribué à façonner le monde du football tel qu’il l’est aujourd’hui ; pas tant en raison de leurs buts ou de leurs trophées, mais grâce à leur mobilisation en dehors des terrains. Parce que le football est devenu un système économique à part entière et que les footballeurs en restent les principaux acteurs, ils se sont engagés, afin d’en corriger les défaillances. Aujourd’hui, place à Michel Platini.
Dans la grande lignée tracée par Raymond Kopa avant lui, Michel Platini fut lui aussi une star des terrains français, mais aussi en dehors. Au cours de ses années nancéiennes et stéphanoises, Platini multiplie les contrats publicitaires alors qu’il devient le nouveau numéro 10 de l’équipe de France. Son image de joueur déterminé et ayant confiance en lui plaît et rapporte beaucoup d’argent à de nombreuses entreprises, notamment des marques de jus de fruits et de voitures.
Si cette présence médiatique s’explique forcément par ses performances sportives, Platini aime également s’afficher dans les médias en se montrant très à l’aise lors des multiples interviews qu’il accorde. Alors que le début de sa carrière professionnelle coïncide avec la création de l’émission dominicale Téléfoot en 1977, Michel Platini sera ainsi le joueur le plus représenté à travers les sujets proposés. Le choix de son nouveau club à la fin de son contrat avec l’ASNL suscite l’attention de tous les médias jusqu’à ce qu’il ne décide de rejoindre Saint-Etienne.
La trajectoire d’une légende
Son départ de l’autre côté des Alpes marque forcément une présence médiatique moins importante en France, même si Platoche devient dans le même temps une star mondiale, auréolée de trois Ballons d’Or et d’un Coupe d’Europe des Clubs Champions au cours de l’épisode dramatique du Heysel en 1985. L’année précédente, il ne peut pas s’empêcher de revenir comme une légende en France en soulevant le premier trophée international de l’équipe de France au Parc des Princes, le championnat d’Europe 1984, sous les ordres du regretté Michel Hidalgo. En 1987, sitôt sa carrière de joueur arrêtée du côté de Turin, il devient consultant pour Canal+. Il commentera des matches pour la chaine cryptée jusqu’en 2005, pour mieux se concentrer sur sa candidature à la présidence de l’UEFA.
Comme ce rôle de consultant étouffe ses ambitions de jeune retraité, il devient sélectionneur de son équipe de France en 1988. En raison de sa fonction et de son statut de sélectionneur-star, Platini revient en force sur la scène médiatique : « Quand je suis devenu sélectionneur, j’ai changé radicalement de position. Autant quand j’étais joueur, je ne me sentais pas dans l’obligation de répondre à la presse ; autant quand j’étais sélectionneur, je représentais le pays entier, parce que c’était la fonction qui le voulait. En tant que joueur de football, j’ai toujours considéré que je n’avais aucune obligation vis-à-vis de quiconque. » (archives de l’INA).
Un seul être vous manque
Mais le leadership d’un Platini sélectionneur ne remplace pas le talent d’un Platini joueur et l’équipe qu’il reprend en main est ironiquement orpheline du meilleur joueur de son histoire. Arrivé dans l’urgence et la précipitation, il ne parvient pas à redresser le classement des Bleus dans le cadre des qualifications pour la Coupe du Monde 1990 en Italie, alors que l’équipe de France restait sur deux demi-finales lors des deux précédentes éditions, avec Platini étrennant le numéro 10. Son aura est toujours présente au sein du vestiaire, qui reste très proche du jeune joueur retraité, mais elle ne se concrétise pas par des résultats probants à cause de son inexpérience, du haut de ses 33 ans.
Pourtant, les Bleus se qualifient brillamment pour l’Euro 1992 qui suit, avec 8 victoires en tout autant de matches. L’équipe de France fait à nouveau peur et est annoncée comme l’une des favorites en Suède, avec Jean-Pierre Papin et Eric Cantona en nouvelles têtes d’affiche. Malheureusement, en 1992, il n’est pas bon de croiser la route des Danois, futurs vainqueurs surprise, et l’équipe de Platini sort piteusement au premier tour. De l’aveu de Bernard Casoni, interrogé par So Foot : « Dès lors que le Mondial 98 a été attribué à la France, j’ai senti qu’il était moins proche de nous, moins “concerné”, il avait d’autres sujets de préoccupation. Je ne dis pas qu’il l’a fait sciemment, mais je crois que l’organisation de la Coupe du monde comptait beaucoup plus pour lui. ». En effet, juste après le fiasco de l’Euro, Platini démissionne et devient le coprésident du comité d’organisation de la Coupe du Monde 1998 en France, sitôt la désignation du pays-hôte annoncée.
Si la bande de son « successeur » Zidane finit par être sacrée pour l’éternité, le compétiteur qu’est Platini a la victoire amère, lui qui n’a jamais fait mieux qu’une 3ème place en 1986 au Mexique. Après la remise du trophée, il descend dans le vestiaire français pour féliciter à sa manière les joueurs, comme le relatent Arnaud Ramsay et Antoine Grynbaum dans leur livre Président Platini : « Alors les gars, il a fallu que j’organise un Mondial pour vous le gagniez ? ». Ce qui lui a valu une répartie incroyable du capitaine Didier Deschamps, sans doute encore touché par la grâce : « Certains sont faits pour organiser, d’autres pour gagner ». Quand on connait le peu de considération que Platoche avait pour le talent de Deschamps, son amour propre a dû en prendre un coup…
Un patron en dehors des terrains
Bien que sa trajectoire sociale ne semble pas le prédestiner à devenir cadre et dirigeant d’organisations fédérales – lui, petit fils d’un immigré italien ouvrier –, ce rôle semble parfaitement lui convenir. Déjà sur les terrains en tant que meneur de jeu, puis brièvement en tant que sélectionneur de l’équipe de France, il a parfaitement su manager des groupes d’hommes pour atteindre ses objectifs. Son aura et son éloquence font le reste. Après la Coupe du Monde 1998, Platini devient conseiller du président de la FIFA, Sepp Blatter, tout en étant vice-président de la FFF en 2001. Enfin, il laissera une grande empreinte en tant que président de l’UEFA, à partir de 2007, après avoir été membre de son comité exécutif depuis 2002.
Sa volonté de réformer le football européen est inscrite dans son programme de candidature. Platini entend ainsi rendre l’Europe du football plus démocratique, en se calquant finalement sur le processus d’intégration de l’Union européenne, puisqu’il souhaite s’ouvrir davantage aux pays européens mineurs, jusqu’ici écartés des deux compétitions reines organisées par l’UEFA : le Championnat d’Europe des nations et la Ligue des Champions. L’ouverture de la dernière compétition à tous les pays européens s’inscrit parfaitement dans l’action menée par Platini, tout autant que le récent élargissement du nombre d’équipes présentes en phases de poules de l’Euro, passé de 16 à 24 en 2016. Le mécanisme du fair-play financier, qu’il mettra en place à partir de 2010, se calque une nouvelle fois sur les règles économiques de l’UE et de son pacte de stabilité et de croissance, puisqu’il contraint les clubs professionnels à limiter proportionnellement leurs dépenses selon les revenus qu’ils dégagent.
Des affaires encombrantes
S’il était adoré en tant que joueur et que ses nombreuses prises de position en tant que dirigeant sont louables, l’image de Michel Platini apparaît aujourd’hui comme fortement écorné auprès des Français. La faute à de nombreuses affaires et rumeurs que Platini traine comme un boulet qui l’éloigne encore aujourd’hui des instances dirigeantes du football mondial.
En 2013, France Football révèle qu’il aurait participé à une réunion secrète à l’Elysée en 2010, en présence du président Nicolas Sarkozy, du prince du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani et d’un représentant de Colony Capital, alors encore propriétaire du PSG : dans le cadre de la politique sportive du Qatar qui s’attache à ce moment-là au rachat imminent du PSG et à la future création de BeIn Sports, amenée à concurrencer l’hégémonie de Canal+, Michel Platini promet de voter pour le pays arabe plutôt que pour les Etats-Unis dans le processus de désignation du pays hôte de la Coupe du Monde 2022. Les sources journalistiques se multiplient et les liens supposés de Michel Platini avec le Qatar sont alors décriés. L’année dernière, Platini est placé en garde à vue, toujours suspecté de corruption dans le cadre du Mondial 2022.
Mais l’affaire qui fera tomber Michel Platini survient en 2015, lorsque Sepp Blatter est rattrapé par la patrouille suisse pour une affaire de corruption en faveur du premier, qui aurait bénéficié d’un versement irrégulier de 2 millions de francs suisses, soit 1,84 million d’euros. Dans la foulée, les deux hommes sont suspendus de leurs fonctions par la FIFA. Puis, Platini est reconnu coupable par une commission interne, alors qu’il avait présenté sa candidature à la présidence de la FIFA quelques mois plus tôt. Le couperet tombe : il est suspendu de toute activité liée au football pour une durée de huit ans.
Après de multiples appels et recours obtenus, la suspension sera finalement réduite à quatre ans. Finalement, Platini fut blanchi dans cette affaire mais le mal est fait Farouk. La FIFA a une nouvelle fois déposé plainte l’année dernière contre les deux compères pour obtenir le remboursement de leur transaction financière. Platini réagira en dénonçant une manœuvre communicationnelle et un harcèlement à son encontre de la part de Gianni Infantino, actuel président de la FIFA et ancien bras droit de Platini, et qui souhaiterait rester calife à la place du calife.
Le retour du jedi ?
La suspension qui concernait Platini a pris fin en octobre 2019. A ce propos, il avait annoncé à la RTS (Radio Télévision Suisse) : « Je reviendrai ». Si sa carrière de dirigeant au sein du football mondial semble désormais très compromise, Platini pourrait rebondir en tant que consultant à la télévision italienne ou alors au sein de l’organigramme d’un club, comme à la Juventus, qui serait prête à l’accueillir.
Pour le moment, Michel prend son temps. Au micro de Franceinfo, il a déclaré : « A 64 ans, j’ai une dernière aventure à faire. Il ne faut pas que je me trompe. Il faut que ce soit quelque chose qui me plaise, dans laquelle je peux me rendre utile. Il faut que je prenne le temps de regarder. ». Peut-être échafaude-t-il un coup d’Etat pour se venger de son meilleur ennemi Gianni Infantino ? L’univers impitoyable de la FIFA, coutumier des trahisons et des pots-de-vin, nous promet encore de beaux épisodes à venir.
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