Il n’y a pas qu’au niveau professionnel qu’on retrouve de vrais beaux parcours de vie rendus possible grâce au foot. Exemple aujourd’hui avec Florent Rouamba, joueur de Saint-Pryvé Saint-Hilaire en National 2. De la finale de la CAN 2013 au CFA 2, de Ouagadougou jusqu’à la banlieue orléanaise via la Moldavie, l’Angleterre et la Corse, le milieu de terrain nous raconte sa carrière, et en profite pour nous partager son regard sur la sélection du Burkina Faso et sur l’importance des joueurs d’expérience dans une équipe.
Ultimo Diez – Tu es né et as grandi à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Comment as-tu découvert le foot ?
Florent Rouamba – J’ai commencé tout petit, en voyant mes «grands frères» jouer dans le quartier. Mon père jouait au foot, mon grand frère aussi, ma maman m’achetait des ballons, et la passion m’est venue comme ça. Je jouais des matchs avec des petites équipes dans le quartier et j’ai fini par intégrer le centre de formation Planète Champion, où tout le monde voulait aller (où sont également passés Jonathan Pitroipa et Alain Traoré, ndlr). J’y ai fait une année, puis je suis resté quatre ans à l’Union Sportive de Ouagadougou avant de partir en Europe de l’Est. En junior, on me surclassait déjà en senior pour les entraînements. Une fois monté avec eux, le coach m’a fait confiance et dès ma première saison en championnat, j’ai connu ma première sélection.
Comment atterris-tu au Sheriff Tiraspol ?
À l’US Ouagadougou, j’ai été le meilleur joueur de l’année dès ma première saison en senior. Et j’ai eu la chance que le sélectionneur suive le championnat, car une fois où plusieurs professionnels de l’équipe nationale étaient blessés, il m’a fait confiance et m’a titularisé pour une rencontre officielle à domicile. J’ai fait un grand match, et ç’a tapé dans l’œil de beaucoup de recruteurs. Il s’est trouvé qu’un agent venu de Russie y assistait. Le Sheriff s’est renseigné auprès de «grands frères» qui avaient joué en Moldavie ou en Russie, puis les deux clubs sont entrés en contact. Ils m’ont fait venir avec Wilfried Balima (autre international burkinabè, ndlr), qui jouait aussi à l’USO. On est partis le même jour, on a signé le même jour.
Sportivement, tout se passe bien : tu gagnes des titres, tu joues l’Europe… Tu t’es plu au Sheriff ?
Au début c’était un peu difficile, car mes parents ne connaissaient pas le pays. C’était la première fois que je sortais de la famille, ils se posaient beaucoup de questions, ils avaient peur. Mais mon président de club les a rassurés, ils ont envoyé quelqu’un à mes côtés les premiers mois, et ç’a marché. Le coach m’a directement fait confiance. Physiquement j’étais « bien posé », c’était ce qu’il recherchait pour l’équipe et on a fait une bonne saison dès mon arrivée. Toutes mes années là-bas, on a joué l’Europe. Ce passage en Moldavie m’a ouvert des portes.
Vous avez affronté de très bons adversaires en Europe, comme l’Olympiakos, Fenerbahçe, le FC Bâle, le Dynamo Kiev ou même l’OM.
Je suis resté en Moldavie de 2005 jusqu’à la fin 2012 et j’ai disputé beaucoup de matchs européens. Le club recrutait de bons joueurs. Chaque saison on gagnait le titre (sauf en 2010-2011, ndlr), donc on disputait les tours préliminaires de Ligue des champions. Et une fois éliminés, on pouvait immédiatement tenter notre chance en Ligue Europa. On a même réussi deux fois à intégrer les phases de poules (en 2009-10 et 2010-11, ndlr). J’étais titulaire et j’en garde un très bon souvenir.
Et le championnat de Moldavie ?
Quand on est arrivés c’était un peu faible, mais nos qualifications en Europe ont attiré pas mal de recruteurs. Donc les autres clubs essayaient eux aussi de renforcer leurs équipes, pour pouvoir franchir ce palier et tenter leur chance dans les compétitions européennes. Le niveau du championnat devenait plus difficile, il fallait serrer les dents. Mais le Sheriff est resté au-dessus car le président mettait tous les moyens possibles pour avoir les joueurs qu’il faut, et pour qu’on soit dans les meilleures conditions.
Ce n’était pas un peu bizarre, d’être un jeune Africain en Moldavie ?
C’est un pays un peu trop éloigné de l’Europe de l’Ouest, donc pour eux c’était bizarre de voir des Noirs ! Quand je suis arrivé là-bas, ils se demandaient comment on pouvait quitter l’Afrique et venir jusqu’en Europe de l’Est. Mais je n’ai pas ressenti de racisme. Avec les Moldaves, je n’ai eu aucun souci particulier. Au sein de l’équipe, il y avait une concurrence où chaque joueur voulait voir ceux de son pays titulaires : les Moldaves, les Brésiliens, pareil pour nous les Africains. Mais ce n’était pas du racisme, je n’ai jamais vu un joueur en détester un autre pour sa couleur de peau. On avait tous envie de faire quelque chose pour le club.
Même en-dehors du club, tu n’as eu aucun souci ?
Au début c’était un peu bizarre, mais nos coéquipiers moldaves nous ont bien intégrés, on s’est fait quelques amis moldaves, cela a facilité les choses. Et pour le reste, le club aura été là tout le long, jusqu’au bout. Chaque joueur étranger avait quelqu’un pour traduire et l’accompagner dans la vie de tous les jours, faire ses courses ou autre. Les Brésiliens avaient leur traducteur, nous les Africains avions le nôtre. On était accompagnés pour tout, donc l’adaptation s’est faite naturellement. C’est même une des raisons qui fait que je suis resté si longtemps là-bas.
Ta période au Sheriff correspond à celle où tu t’es imposé comme un cadre de la sélection.
J’ai joué dès mon arrivée en Moldavie, le coach me faisait confiance, j’étais titulaire en championnat, durant les tours préliminaires de Ligue des champions ou en Ligue Europa. J’étais constamment en compétition, et même le sélectionneur se déplaçait pour voir mes matchs. J’avais aussi fait mes preuves au Burkina : avant que je ne parte, j’avais eu la chance de pouvoir faire de grands matchs en championnat et en équipe nationale et de prouver au public burkinabè que je pouvais apporter à mon pays. Tous les sélectionneurs m’ont fait confiance dans leur effectif. J’ai saisi ma chance, et j’ai disputé quatre coupes d’Afrique en 2010, 2012, 2013 et 2015.
En 2013 vous allez jusqu’en finale, en plus tu es un titulaire ! Raconte-nous cette compétition.
Tout s’est fait naturellement, dès le premier match contre le Nigeria. Notre objectif initial était de sortir des poules pour revenir au pays la tête haute. Faire match nul (1-1) contre un grand pays d’entrée nous a tous galvanisés, et rassurés sur le fait qu’on pouvait accomplir quelque chose. Il y avait des anciens qui nous ont accompagnés et encouragés, il y avait l’envie et la solidarité, on marchait tous sur le même chemin. On voulait y arriver tous ensemble. Rien que sortir de la poule, c’était déjà quelque chose pour le pays. Alors une fois qualifiés, on s’est dit : «les gars, on peut aller loin». On a essayé de gratter les matchs au fur et à mesure, et ça nous a poussés jusqu’en finale (perdue 1-0 contre le même Nigeria, ndlr). On avait déjà été quatrièmes de la CAN (en 1998, seule fois où le Burkina était sorti des poules auparavant, ndlr), on avait déjà eu des résultats en sélections de jeunes, mais la CAN 2013 reste une référence pour le pays.
Vous aviez une très belle génération, avec plusieurs joueurs qui ont évolué en France : Charles Kaboré, Bakary Koné, Alain Traoré, Jonathan Pitroipa ou Préjuce Nakoulma.
Oui, également Moumouni Dagano qui a joué à Sochaux (2005-2008, et à Guingamp) et qui faisait partie de ces joueurs d’expérience auprès de qui on apprenait tout doucement. Ensuite, on a pris le relais. Quand tu es bien entouré et que l’équipe a un bon état d’esprit, ça marche. On avait une force collective. Quand tu voyais revenir en sélection Charles Kaboré qui jouait à Marseille, Alain Traoré qui a fait un bon passage en France, Nakoulma de Turquie, Pitroipa de Rennes… On avait de bons joueurs et on était solidaires, on garde beaucoup de souvenirs de cette génération 2013. On restera dans l’histoire du football burkinabé. Et pour ma carrière, ç’a été une chance de participer à cette aventure.
Tu prends part à ta dernière CAN en 2015 avec certains cadres de la sélection actuelle comme Kaboré, les frères Alain et Bertrand Traoré, ou Steeve Yago. Depuis, une nouvelle génération est arrivée, avec Lassina Traoré (Ajax) ou Edmond Tapsoba (Leverkusen).
Certains de ces jeunes s’entraînaient déjà avec nous, ils étaient présélectionnés pour les préparer. La génération actuelle compte plein de joueurs talentueux, mais le talent seul ne suffit pas, il faut une bonne organisation collective. Même nous, à l’époque, ce n’est pas grâce à notre talent qu’on a accompli tout ça, c’est grâce à ceux qui nous ont tracé le chemin, qui nous ont accompagnés et soutenus. Parfois on demande beaucoup à un joueur, et alors c’est le mental qui prime. Il n’y a pas que le terrain. En-dehors il faut aussi être solidaires, savoir se remonter le moral. Les anciens qui restent ont ce qu’il faut pour assurer la relève, et on a partout des jeunes titulaires qui pourront avoir une bonne carrière, comme Lassina et Edmond. Je suis fier quand je les vois jouer. Je les encourage beaucoup, je pense qu’ils vont faire quelque chose. Nous avons déjà disputé une finale, pourquoi pas ramener la coupe ? Cette génération peut aller loin, tout dépend de ce qu’ils veulent. Il faut se fixer des objectifs, et ensuite avoir l’envie et le courage de les réaliser. Tu peux être bon individuellement, mais les objectifs se visent collectivement. Ils pourront même se qualifier pour une Coupe du Monde (le Burkina Faso n’y a jamais participé, ndlr), à condition d’avoir une bonne mentalité et une bonne organisation.
Pour en revenir à ta carrière, tu quittes le Sheriff Tiraspol au milieu de la saison 2012-2013, après sept ans sur place, pour partir à Charlton, en Championship.
Tout le temps que j’ai passé en Moldavie, je recevais de bonnes propositions de Russie ou d’Ukraine, mais j’avais envie de découvrir autre chose. Après trois ans sur place j’ai eu des contacts avec de bons clubs où j’avais envie de tenter ma chance mais le Sheriff a refusé et m’a bloqué. J’ai même été obligé de faire quelques grèves et d’aller au bras de fer au cours de ma dernière saison pour pouvoir partir à la CAN 2013 (en janvier). Je n’avais plus rien à prouver en Moldavie, et après la CAN, j’ai décidé de tenter ma chance ailleurs. Crystal Palace me voulait. J’y suis allé, mais le coach n’avait pas besoin d’un milieu défensif. Mon agent m’a orienté vers Charlton, et j’ai signé après un essai de deux jours. Six mois pour finir la saison avec eux, plus un an en option. Mais elle n’a pas été levée. Les Africains qui arrivent en Angleterre ont besoin d’un permis de travail, donc je faisais la navette entre l’Angleterre et la France pour déposer mes documents, et ç’a traîné durant les six mois. Je m’entraînais avec l’équipe, mais je n’ai pu disputer aucun match officiel à cause de ce problème administratif. Ça reste une très bonne expérience, parce que j’ai quand même pu connaître l’Angleterre et la mentalité anglaise.
Tu rebondis alors au CA Bastia, en Ligue 2.
Le club venait de monter de National et était dernier au classement. Un ami qui y avait joué connaissait le président et lui a dit que j’étais prêt à venir, le coach cherchait un milieu défensif qui pouvait jouer aussi défenseur central, et ça s’est fait comme ça. J’ai fait six mois en Ligue 2 mais on est descendus. Je suis resté un an en National puis je suis parti. Financièrement, lorsqu’un club descend de L2, c’est difficile pour lui. J’avais aussi l’objectif de me rapprocher de ma famille à Paris. Quand j’étais en Corse, il fallait prendre l’avion, c’était compliqué. Donc avec ma femme, on a décidé de se rapprocher, surtout qu’on venait d’avoir notre première fille. J’ai beaucoup voyagé dans ma carrière, et je voulais un club qui puisse m’accueillir en m’offrant une stabilité. Après le CA, je suis venu à Saint-Pryvé. Quand j’ai signé en décembre, ils étaient en CFA 2, dans la zone rouge, et j’ai apporté mon expérience. On s’est maintenus, l’actuel coach Baptiste Ridira a repris l’équipe, et on est montés en CFA dès la saison suivante.
Tu n’as pas regretté de t’engager en CFA 2, alors qu’en deux ans et demi tu venais de disputer une finale de CAN, signer en Championship et jouer en Ligue 2 ?
J’aurais pu repartir en Moldavie et trouver un club facilement, j’avais des possibilités en Russie ou en Turquie. Après Charlton, j’ai même fait un essai en Grèce. Mais on y a beaucoup réfléchi avec ma femme, et vient un moment où la famille passe avant. Quand tu es loin de ta femme, elle n’est pas tranquille, toi non plus, la famille non plus. Il me fallait de la stabilité. L’objectif que j’avais en tête n’était pas entièrement atteint, mais je peux quand même être fier de mon parcours. À un moment, il me fallait ma famille à côté. Je suis venu m’installer à Orléans bien avant de signer à Saint-Pryvé, pendant plusieurs mois j’ai gardé la forme en attendant des propositions. Puis j’ai fini par apprendre que Saint-Pryvé était en difficulté, et je suis allé discuter avec les deux présidents (Jean-Pierre Augis et Jean-Bernard Legroux, ndlr). J’ai été franc avec eux, j’ai fait des sacrifices, le club aussi de son côté a fait le maximum. Ça m’a fait bizarre de signer en CFA 2, mais ça m’a permis de trouver cette stabilité que je recherchais. Je ne me voyais pas aller encore ailleurs, et ma famille se sentait bien, donc l’objectif était rempli. Ça fait cinq ans maintenant que je suis à Saint-Pryvé.
Cette saison, vous êtes bien partis en championnat, vous êtes leaders de la poule A de N2, avec aucune défaite et 4 points d’avance sur le deuxième qui compte un match de plus.
Si on continue sur notre lancée et qu’on garde le même état d’esprit, on peut monter. On a un bon groupe, de très bons joueurs dans tous les compartiments, on peut le faire. Je passe le mot : on peut monter ! Mais il nous faudra garder les pieds sur terre, la bonne mentalité, et le rythme avec lequel on a commencé la saison.
Comment ça se passe en ce moment, avec le confinement ? Vous vous entraînez ?
On s’entraîne, mais pas comme on voudrait. Le coach et le staff nous ont donné des programmes, et on essaie de faire le point avec eux chaque semaine. Ils nous ont fait installer une application qui leur permet de suivre les joueurs à distance. Chacun essaie de garder la forme, de ne pas se laisser prendre par cet événement tragique, en espérant que tout finira par repartir.
Tu n’as pas peur que la situation actuelle casse votre bonne dynamique ?
Franchement si, ça nous fait un peu peur. Quand tu es premier, avec la mentalité de groupe et le rythme qu’on avait, vivre un tel coup d’arrêt est difficile. D’autant qu’après le confinement, on ne pourra pas reprendre et directement enchaîner les matchs, il faudra une préparation physique, et remobiliser le mental des joueurs. Mais j’ai confiance. On est des adultes, à nous d’être vigilants et de donner le maximum pour ne pas gâter le plaisir. Je sais que le foot n’a pas de vérité. Chaque jour, il faut renouveler les efforts. Nous, les anciens, devons garder le mental pour accompagner les jeunes, et eux doivent travailler et s’accrocher. Je tiens aussi à remercier les bénévoles et les coaches qui sont là pour nous tous les jours, ainsi que les deux présidents. Quand on voit le peu qu’ils gagnent par rapport à tout ce qu’ils font… Pour nous ils ne dorment pas, ils « se cassent » au boulot. Donc si on choisit de faire ce métier, on doit se donner à fond. Et il faut en profiter, le foot va très très vite. Je suis aux portes de la retraite, mais les jeunes doivent garder leur talent et leur mental.
Tu vas avoir 34 ans, tu penses déjà à ta reconversion ?
C’est le moment, il faut savoir s’arrêter. J’ai une blessure au genou qui traîne. Puis quand des jeunes talentueux sont là, on les accompagne même sans jouer. Pour nous les anciens, quand le club va bien, tout va bien. J’ai fait cinq ans ici, mon cœur est Saint-Pryvé. Mais un moment vient où tu penses à la suite. L’après-foot. L’an dernier j’ai passé le BAFA, je voulais être animateur sportif dans les écoles. Mais cette année, je me suis dit que je voulais un travail manuel qui me permette de me mettre à mon compte après le foot. En ce moment, je suis en formation d’ouvrier paysagiste. J’ai toujours aimé la nature, j’aime ce travail manuel, et je vais l’apprendre. Quand on est dans le foot, on ne se rend pas compte de ces métiers et des gens qui les font.
Donc tu penses arrêter à la fin de cette saison ?
Avec ma blessure au genou, je pense que c’est la dernière. Non, c’est même sûr, c’est ma dernière car si je finis ma formation il faudra que je trouve du boulot. Le foot restera un plaisir. Mes genoux fatiguent, je ne peux pas aller plus loin. Il faut savoir laisser la place aux jeunes. Mais mon cœur restera avec eux, et avec tout le monde au club.
Merci à Florent pour son temps et sa disponibilité.
Propos recueillis par Nicolas Raspe (@TorzizQuilombo)
Crédits photo : André Ferreira / Icon Sport.