[Interview] Jean-Luc Vannuchi : «Dans le jeu, on n’a pas de philosophie commune avec les Espoirs et les A» (2/2)

Dans cette seconde partie d’interview, Jean-Luc Vannuchi, sélectionneur de l’équipe de France des moins de 20 ans, évoque sa relation avec les autres sélectionneurs, sa vision de l’entraineur français et les conséquences de l’explosion de plus en plus précoces des jeunes joueurs. 

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Si c’est leur dernière année, c’est aussi la vôtre avec cette génération. Que comptez-vous faire ensuite ? 

J’ai encore un an de contrat. J’arrive en haut de la pyramide, après c’est les Espoirs avec Sylvain Ripoll puis les A avec Didier (Deschamps, ndlr.). Je reprendrai une génération, mais laquelle je ne sais pas. J’ai démarré en 18, je peux très bien aller avec les U16. J’irai là où on a besoin de moi. 

Vous évoquez la pyramide, vous êtes le dernier échelon avant les Espoirs et les A. Est-ce que vous mettez en place une philosophie, des principes de jeu qui ressemblent à ce que peuvent faire Sylvain Ripoll et Didier Deschamps ? 

Pas du tout. On est autonome, rien n’est imposé. On n’a pas de trame commune au niveau des systèmes de jeu, des animations, des transitions. Avec Lionel Rouxel, qui est responsable des sélections masculines jeunes, on a fait un gros bilan sur toutes les générations. On a sorti des images pour essayer de voir comment travaillent un peu les uns et les autres. Notamment sur les coups de pieds arrêtés, pour uniformiser un peu. Sinon, chacun à ses idées.

Les profils des joueurs sont différents entre les générations.  Par exemple, la génération 2002 qui a fait la Coupe du monde U17 l’année dernière avec Jean-Claude Giuntini, avec un Aouchiche capable de jouer sous un attaquant dans un 4-2-3-1, vous n’allez pas jouer en 4-3-3 avec une pointe basse. Selon les générations, on essaye de s’adapter au potentiel des joueurs. On essaie de mettre le meilleur système en fonction des meilleurs éléments qu’on a. 

L’explosion de plus en plus précoce de nombreux joueurs, à l’image d’Eduardo Camavinga dernièrement, ne se fait-elle pas au détriment des sélections de jeunes ? 

Plus on a de joueurs qui arrivent en A, plus on est content. Dernièrement j’ai Benoît Badiashile qui part régulièrement avec les Espoirs et Bafodé Diakité de Toulouse aussi. Mais je suis ravi d’avoir des représentants de la génération 2001 déjà en Espoirs. Le but est d’amener un maximum de joueurs à Sylvain puis à Didier. De plus, j’ai un gros relationnel avec Sylvain, je suis ravi. C’est vrai que ça peut nous pénaliser, on ne va pas se voiler la face. Mais c’est assumé. Il y a une hiérarchie. Didier en un, qui peut prendre chez Sylvain et Sylvain en deux, qui peut prendre chez moi, voire en dessous. 

Depuis votre arrivée en U18, la sélection a-t-elle beaucoup évoluée ?  

Aujourd’hui, sur ma sélection, sur les 20 que j’avais convoqué il y a 3 ans, il en reste que 5 ou 6. Ça fluctue beaucoup. Il y en a qui apparaissent, qui disparaissent, qui réapparaissent. Mais il reste 20 % de la première convocation. Et encore moins arrivent en A.

Est-ce que vous sentez une différence physique, tactique, d’habitude d’entraînement chez vos joueurs à l’étranger, qui peuvent vivre un quotidien différent de ceux qui jouent encore dans l’Hexagone ? 

Non. Nos joueurs en France jouent dans des top clubs français. Même si la routine d’échauffement diffère d’un pays à un autre, je ne vois pas de réelles différences tactiques ou même physiques.  En revanche, là où c’est compliqué, c’est que l’on récupère les joueurs deux ou trois jours avant de jouer en compétition. Arriver à mettre tout le monde au diapason en si peu de temps, ce n’est pas évident. Mais la diversité amène de la richesse au groupe.

Vous avez déjà entraîné des équipes professionnelles. Suivre de près le développement des jeunes joueurs, c’est ça qui vous plaît dans ce métier ? 

Ça fait partie du métier. En club, on a les mêmes problématiques sur la gestion des hommes, parce que ce sont des hommes avant d’être des joueurs. À Auxerre ou au Gazélec, je passais mes journées à faire des entretiens avec tout le monde pour savoir comment ça allait. On apprend beaucoup de choses en entretien. On comprend mieux les choses, et derrière on fait les choix différemment. Maintenant, je le fais toujours, mais avec les jeunes. 

De plus en plus de joueurs explosent de plus en plus tôt, comment expliquez-vous ce phénomène ? 

Aujourd’hui les indemnités de formation, pour des clubs étrangers, ne sont plus si importantes que ça. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui les clubs français sont obligés de faire signer les jeunes joueurs de plus en plus tôt pour se protéger. Donc ces joueurs sont prématurément considérés comme des professionnels, sur le plan contractuel. Des fois ils le sont moins dans les comportements, les attitudes et le vécu, ce qui est logique. Mais le problème vient de ces clubs étrangers qui viennent se servir chez nous. La formation française est connue et reconnue mondialement. Un joueur arrivant en fin de contrat aspirant, peut, je n’ai pas les montants en tête, mais s’engager à l’étranger pour des sommes avoisinant les 500 000 euros. 

Tous les aspirants qui partent à l’étranger aujourd’hui et qui refusent de signer pro dans leur club, s’engagent dans des clubs qui ont les moyens de payer. Alors ils font des paris, gagnants ou pas. Mais en tout cas, pour des écuries à budgets monstrueux, investir 500 000 euros sur un jeune international français, c’est prendre un moindre risque. 

Quelles en sont les conséquences ? 

Ça crée des gros problèmes. De un, on a l’impression que nos meilleurs joueurs s’en vont vite alors qu’ils pourraient déjà servir nos clubs. Et de deux, ils n’ont pas tous la garantie d’avoir du temps de jeu. Un bon joueur qui s’expatrie dans un gros club anglais s’épanouirait et jouerait peut-être plus facilement dans son club formateur. Quand vous arrivez dans des armadas comme il y a en Angleterre, avec 40 à 50 joueurs dans l’effectif, c’est beaucoup plus difficile de s’affirmer. 

Donc c’est à double tranchant. C’est valorisant de jouer dans un grand club. Parfois ça paye. Parfois moins. Quoi qu’il arrive à cet âge-là, on parle de 2001, de 2002, le principal c’est quand même de jouer au football. 

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Et sur la sélection ? 

Parfois en tant que sélectionneur, on se retrouve embêté parce qu’on a besoin d’avoir des joueurs qui ont du temps de jeu. Quand on doit enchaîner en compétition, ne serait-ce que trois matches en une semaine, c’est très compliqué si la moitié de l’effectif ne joue pas. 

Il faut être fin. Il faut à la fois prendre des joueurs dont on s’assure qu’ils aient du temps de jeu et derrière aller chercher des joueurs qui en ont moins, mais qui sont des top joueurs. Il faut trouver l’équilibre. C’est une gymnastique que l’on doit mener avec le préparateur athlétique. Se priver des meilleurs joueurs c’est compliqué.  

On voit que certains clubs français font le choix d’un entraîneur étranger. Comment percevez-vous l’image de l’entraîneur français ? Voyez-vous un quelconque complexe du frenchy à l’étranger ?

Le seul complexe qu’on peut avoir, c’est la barrière de la langue. Le Français et notamment l’entraîneur français n’est pas bon. Contrairement à l’entraîneur portugais qui est doué pour les langues. Ça facilite clairement l’intégration.

Après, le choix des clubs français de choisir des coaches étrangers, c’est le leur. Je pense qu’on a de très bons entraîneurs français et si l’on fait le ratio, beaucoup d’entraîneurs étrangers ne sont pas performants dans nos clubs.

Il y a énormément de monde sur le marché, français comme étranger. Je crois qu’il y a des modes, des tendances de temps en temps. En plus de la langue, je dirais qu’on ne coopte pas, en cas de licenciement d’un entraîneur français à l’étranger. On n’est pas très solidaire entre nous. Un Portugais préférera qu’un Portugais prenne sa place plutôt qu’un autre. En France, on n’est pas très solidaire sur les postes je trouve. Ce n’est pas une critique, juste un constat. Moi j’ai eu des sollicitations à l’étranger, que j’ai refusé à cause de ça. Enfin, que j’ai refusé… On m’a demandé si je parlais anglais, et quand vous dites non, ça met fin au débat.

Je ne dis pas qu’on est tous nuls en anglais. Moi aujourd’hui je prends des cours, pris en charge par la fédé, et je me sens beaucoup plus à l’aise.

Merci à la FFF d’avoir accordé cette interview, et merci à Jean-Luc Vannuchi pour son temps et sa disponibilité. 

Propos recueillis par Matthias BERINGER pour Ultimo 10. 

Crédits photo : Nolwenn Le Gouic / Icon Sport.

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