En Catalogne, un autre club peut se targuer d’arborer le fameux «Més que un club» si cher à l’entité du mastodonte local. À la Fundacio Esportiva Grama, club de Tercera (D4 espagnole), on a choisi le football comme point de départ d’un projet d’intégration pour tous. Découverte du club de Santa Coloma de Gramenet, en banlieue barcelonaise.
Dimanche 11h30, les supporters de Grama se pressent dans ce stade de quartier, situé en plein cœur de Santa Coloma de Gramanet, ville de la banlieue de Barcelone peuplée par près de 120 000 habitants. À l’entrée, le désormais classique contrôle de température et la décharge à signer comme quoi on n’a pas le Covid. Les portes passées, on entre dans un stade assez surprenant, avec des tribunes de tous les côtés des terrains, et surtout une terrasse, avec chaises et tables pour manger des tapas en regardant le match. Mais le club qui nous accueille en ce dimanche nuageux a bien d’autres particularités…
Un jeune club ambitieux
La rencontre que l’on s’apprête à voir et qui a réuni plusieurs centaines de supporters est un match pour la promotion en Segunda B, la troisième division espagnole. En face, l’équipe de San Cristobal, qui n’a elle non plus jamais été plus haut que la Tercera. Mais la Fundacio Esportiva Grama a une bonne excuse pour n’être «qu’en quatrième division». Le club a été fondé en 2013. Un autre club existait bien à Santa Coloma avant sa création, mais criblé de dettes et avec un fonctionnement trop ancien, il a été abandonné à son propre sort pour laisser place à un nouveau projet. Grama, c’est un club au statut particulier : une organisation à but non-lucratif. Une association. Pourtant, le club gravit les échelons du football catalan et a enchaîné quatre montées successives entre 2014 et 2018. Passant de la 4e division catalane, à la 4e division nationale.
1-1 à la fin du match, pas de vainqueur entre Grama et San Cristobal, mais un beau moment de football, avec les gamins formés au club qui ont poussé leur équipe pendant 90 minutes. Pendant que leurs parents s’étaient assis sous la seule tribune couverte, la pluie catalane faisant quelques caprices en cours de match. Ce qui est important pour le club, ce sont ces gamins. Alors oui, l’équipe première est la locomotive du projet, mais l’enjeu n’est pas là. Grama a une conviction : l’éducation et l’intégration passent par le football. Et c’est ainsi que se mélangent en tribunes éducateurs, joueurs de toutes catégories et surtout de toutes origines.
Du football vraiment pour tous
Le club recense près de 600 licenciés, de 36 nationalités différentes, répartis en 40 équipes. Un projet de formation colossal, avec parfois cinq équipes pour la même catégorie d’âge. Et à Grama seule une chose compte : le football. Les jeunes qui rêvent de devenir professionnels se mélangent aux autres qui veulent simplement s’amuser, se partageant l’unique terrain synthétique du club, parfois divisé en quatre pour laisser la place à tout le monde. Les U19 eux ont déjà atteint les sommets malgré le jeune âge du club : depuis 2019, ils évoluent en Liga Nacional. Ils affrontent donc notamment les U19 du FC Barcelone certains week-ends, symbole que la vision du football portée à Grama connaît un certain succès.
Au-delà de la formation, le club a surtout un rêve : utiliser le football comme principal moteur d’intégration et vecteur social. «Le club est le reflet de la ville», nous explique au milieu du terrain synthétique Manolo Garcia, le vice-président du club. Puis il ajoute : «Depuis le début du projet, l’idée n’était pas seulement de faire une équipe de football, mais aussi de savoir où nous étions situé et porter attention à tout l’environnement territorial de Santa Coloma et des environs.» Santa Coloma, situé dans la banlieue nord de Barcelone, est une ville assez pauvre, où un quart de la population est d’origine étrangère et où le revenu médian est de 1020 euros net (en 2018). Le bassin d’habitants aux alentours recense plus de 700 000 habitants, sur un espace très restreint qui force à la coexistence. Et ces conditions de vie, la Fundacio ne souhaite pas les ignorer.
«Quand un gamin marque, parents comme enfants, tout le monde se prend dans les bras !»
«Le football est le meilleur moyen pour intégrer les religions et nationalités distinctes», déclare le président Antonio Morales sur la terrasse du stade, qui donne désormais vue sur des gamins du quartier qui se partagent le terrain en deux. Puis il explique : «Quand un gamin marque, parents comme enfants, tout le monde se prend dans les bras ! Il n’y a pas de différence entre celui qui est protestant, catholique ou musulman. Ils s’embrassent avec bienveillance et respect.» Ainsi le club forme des joueurs de toute nationalité, à l’image de Muhammed Nemil, jeune joueur indien qui a fait ses débuts sous nos yeux contre San Cristobal. «Nous avons des joueurs marocains, équatoriens, géorgiens, kazakhs, égyptiens, américains, italiens, thaïlandais, sénégalais, chinois…», liste le vice-président que nous avons dû stopper tant la liste semblait longue.
Pour que tout ce petit monde là, enfin 600 minots, puisse profiter du football made in Grama, le club a instauré des bourses. «Tout le monde a le droit de jouer au football. Si vous n’avez pas assez d’argent pour payer la licence ou les équipements, automatiquement tu as une bourse, en collaboration avec la mairie», appuie Manolo Garcia. Si elles sont peu nombreuses (seulement 40 par saison), elles permettent au moins à 40 jeunes supplémentaires de prendre le chemin des terrains.
Parmi les autres initiatives du club, trois équipes de football inclusif, encadrées par un corps technique composé de personnes dites valides et handicapées. Une soixantaine de joueurs, qui se réunissent pour deux entrainements hebdomadaires et qui viennent se mélanger aux entraînements des «valides» de leur tranche d’âge toutes les deux semaines. Le club compte bien évidemment aussi des équipes féminines, même s’il avoue devoir encore agrandir la place des femmes dans la Fundacio. Toujours dans le cadre d’un projet ouvert à tous, Grama a mené plusieurs actions en Slovénie et sur les îles de Lesbos, pour venir en aide aux réfugiés sur place.
Travailler au club pour éviter la prison
Au-delà de son intégration par le jeu sur le terrain, le club mène depuis 2015 un vrai projet de réinsertion en collaboration avec la justice locale. La Fundacion Esportiva de Grama est devenue une entité où peuvent s’effectuer les peines alternatives, autrement dit, un lieu où ceux condamnés à de légères peines peuvent «rendre service à la communauté» afin de réparer leurs erreurs, sans passer par la case prison. Grama travaille main dans la main avec les autorités locales, qui les mettent en relation avec des jeunes susceptibles d’accomplir leur peine au sein de l’association. Un bon moyen pour le club de trouver des employés pour gérer ses infrastructures, fréquentées par plus de 2 000 personnes par semaine. Une façon aussi pour les locaux de pouvoir accomplir leur peine pas très loin de chez eux, là où le vice-président nous explique qu’avant, certains devaient faire 3 heures de transports en commun pour se rendre sur les lieux.
Le club étant une association à but non lucratif, il rentre donc dans les cases pour accueillir ces 10 à 15 personnes simultanées. «Jusqu’à aujourd’hui, environ 150 personnes ont accompli leurs peines ici et ont donc évité la prison», s’enthousiasme le vice-président. 90% d’entre-eux viennent de la ville de Santa Coloma, les 10% restants viennent de la communauté de communes de Barcelone Nord. Le club, qui tient officiellement un discours peu favorable à l’emprisonnement, se dit satisfait du projet qu’il mène en collaboration avec les autres entités, qui assurent notamment la formation des nouveaux arrivants. Un projet inédit dans le monde du sport, lié au statut du club, mais qui donne des idées à d’autres équipes de la région catalane, souvent engagées au-delà du football. «Nous sommes des pionniers en tant qu’entité sportive, non seulement dans l’initiative de le faire, mais aussi par le grand nombre de personnes que nous avons accueillies», se targue le club dans un communiqué.
Grama, qui continue de grandir sportivement, pourrait être contraint de perdre ce statut de fondation à but non lucratif si le club souhaite s’installer durablement plus haut que la Tercera. Pour autant, personne au club ne veut abandonner le projet social qui fait le charme du club. «Si l’équipe continue de monter, on sera obligé de séparer l’équipe première du reste de la fondation pour que tous les projets sociaux puissent continuer», nous explique Manolo Garcia.
On retrouve le président du club, trinquant avec quelques parents du club restés en terrasse pour voir leur petit s’entraîner après les pros. Huit ans après la construction du club, Antonio Morales garde toujours autant le sourire devant ces tribunes mixtes, âges et couleurs de peau confondus. Il nous scande : «Le football c’est l’héroïne la plus saine du monde !» Difficile de ne pas le croire, tant le projet social et éducatif de Grama semble avoir porté ses fruits.
Crédit photo : Anne-Elise Carreau