Croatie-Espagne à l’Euro 2016, souvenirs «d’une des plus belles victoires de la Croatie»

À quelques heures du coup d’envoi du huitième de finale entre la Croatie et l’Espagne (18h), cette affiche n’est pas sans évoquer quelques souvenirs de l’Euro précédent aux supporters des deux camps. En 2016, la Croatie bat l’Espagne 2-1 lors du dernier match de poule, dans un scénario totalement fou. Cinq ans après, les supporters croates se souviennent encore d’un match référence pour la sélection. 

«C’était l’un des plus beaux matches que j’ai vu de ma vie. On perdait 1-0 et puis on remonte à 2-1», résume Perko, qui avait fait 700kms depuis Metz pour vivre le match à Bordeaux, aux côtés des supporters croates. Il se rappelle d’une atmosphère unique à l’approche du stade, après avoir déjà bien profité dans la ville avec les autres supporters de sa nation : «On décolle au match, il y avait un petit coucher de soleil sur le stade, l’ambiance autour était incroyable. J’entre dans le stade et y a l’hymne de l’Euro, les Croates commencent à chanter Lijepa Li Si, c’était fou !» Non loin de lui dans les tribunes ce soir-là, Maks, autre franco-croate qui lui est dans le kop derrière le but de Subasic, «là où Perisic marque le but à la fin» précise-t-il. Lui qui vient de Normandie pour assister à ce Croatie-Espagne se souvient également d’un avant-match mouvementé : «On a fait la tournée des bars avant le match avec les supporters. Mais je ne voulais pas arriver ivre et ne pas me souvenir.» Et il valait effectivement mieux être bien éveillé pour suivre la suite de la rencontre. 

Les supporters croates devant le Matmut Atlantique avec Croatie-Espagne

«Quand tu vois Marko Rog et Milan Badelj et en face t’as Iniesta et Busquets, t’espères pas grand chose.»

Pourtant la soirée s’annonçait mal. La Croatie, qui est déjà qualifiée pour les huitièmes de finale, ne joue «que» la première place du groupe face à l’Espagne. À sa tête, Ante Cacic, entraîneur méconnu qui décide de faire tourner et de reposer ses cadres comme Mandzukic, Modric et Brozovic. À leur place, des petits nouveaux : Pjaca, Jedvaj ou Rog, qui débutent leur premier Euro. Une annonce de 11 qui calme les ardeurs croates en tribunes, raconte Maks : «À 20h, quand ils sortent les compos, on était au stade. Quand tu voyais celle de l’Espagne et la nôtre, on s’est dit : “On va voir un carnage !“.» Douche froide aussi pour Antonio, qui était resté chez lui en Suisse avec ses parents et sa sœur pour vivre le match, un peu par superstition : «Quand tu vois Marko Rog et Milan Badelj et en face, t’as Iniesta et Busquets, t’espères pas grand chose.»

Juraj Vrdoljak, journaliste sportif croate, suivait la rencontre depuis les bureaux de sa rédac’, à Zagreb, et se rappelle aussi avoir craint le pire : «On voulait juste éviter une grosse défaite.» «Cet Euro était perçu comme la dernière chance de la génération, rappelle-t-il. Personne n’espérait que cette génération fasse quelque chose de grand à la Coupe du monde 2018.» Perko dans les tribunes est le seul confiant et le changement de 11 ne lui fait pas peur du tout : «Je me dis que peu importe qui il y a sur le terrain, ça va quand même le faire, et ça l’a quand même fait !» Il se rappelle même avoir croisé des Espagnols beaucoup moins sereins que lui…

«On perdait déjà 1-0 à la 9e minute et l’Espagne avait ces occasions. Ça aurait pu tourner au désastre

Dès le début de la rencontre, l’Espagne donne le ton. Sur un excellent mouvement collectif, la Roja ouvre le score par Morata, dès la 7e minute. «Ils marquent le premier but et on s’est vite calmé», se rappelle Perko qui vit la clim au stade. Sur son canapé en Suisse, Antonio est abattu : «Avec mon père on s’est regardé on s’est dit : “Ils sont au-dessus !“ Si à la 7e ils sont autant inspirés, sur 90 mins ça va être long.» La Croatie est dominée et l’Espagne semble bien partie pour en inscrire d’autres. «Juste après, Nolito a eu une grosse chance. C’était après son loupé que je me suis inquiété, se remémore Juraj Vrdoljak. On perdait déjà 1-0 à la 9e minute et l’Espagne avait ces occasions. Ça aurait pu tourner au désastre. Et Cacic sur le banc n’est pas du genre à réagir.» En tribunes, Maks et le kop croate se remettent pourtant assez vite à chanter : «Deux minutes après c’est totalement oublié, on rechante, on supporte comme on peut.»

Le ballon piqué de Fabregas pour Morata qui viendra couper au second poteau

La suite du match leur donnera raison. Six minutes après le but de Morata, le destin de la rencontre aurait déjà pu basculer. «À un moment, Rakitic met un lob, mais nous on célèbre le but parce que de là où on est on le voit pas, en rigole encore Maks. Après l’arbitre te dis y a rien donc ça met une clim ! Je l’ai célébré pour rien du coup !» Le milieu croate avait profité d’une erreur de relance de De Gea pour tenter un lob qui vient s’écraser sur la transversale puis sur le poteau, sans jamais passer la ligne. « Je me rappelle qu’il y avait un défenseur espagnol sur la ligne et je me suis dit : “Mais comment c’est possible que la balle n’ait pas rebondie sur le poteau puis sur le joueur pour aller au fond des buts?“», s’étonne encore Juraj cinq ans après. Antonio, lui, l’a toujours en travers de la gorge et regrette que ça ne soit pas rentrer : «Le geste qu’il fait, le fait que ça soit Rakitic qui joue contre l’Espagne qui est un peu son pays d’adoption, j’aurais vraiment aimé qu’il la mette. Ça aurait probablement été le plus beau but de l’Euro s’il la mettait !» Cette action restera un tournant du match. En tribunes comme au stade, les Croates y croient à nouveau. «Là on se dit : “On n’a pas de chance, mais on a un coup à jouer ! »», s’enthousiasme Antonio.

«Il met son but et tout explose !»

La rencontre avance, la Croatie souffre toujours mais n’est pas amorphe et a quelques actions suffisamment tranchantes pour faire peur à l’Espagne. La Roja mène toujours 1-0 et semble se contenter de cette avance avant de rentrer aux vestiaires. C’était sans compter sur Kalinic. «Il met son but et tout explose !», s’émerveille encore Perko. Sur un beau centre de Perisic du côté gauche, Kalinic reprend la balle d’une madjer et ne laisse aucune chance à De Gea. «Il met un but de fou, mais nous d’où on est, on ne voit pas, se souvient Maks. On le voit sur grand écran. Avec les gens autour de moi, alors que moi je ne connais que mon oncle, on se saute tous dans les bras, on célèbre sans faire de différence. C’est indescriptible, c’était magique.» Le Matmut Atlantique exulte et les Croates prennent tout l’espace sonore. 

La reprise de Kalinic qui égalise 1-1

En Suisse, Antonio fait le tour de son salon en courant. «J’ai hurlé de joie, j’ai sauté partout parce que Kalinic est un joueur que j’idolâtrais quand il jouait à l’Hajduk Split, sourit encore celui qui a grandi entre Lausanne et Split. Quand je me baladais petit dans les rues de Split, j’espérais le croiser à tout prix.» Cédric, de @footcroate qui vit la rencontre depuis la fanzone de Lyon, se souvient avoir eu le réflex de tweeter avant de célébrer au milieu d’une fanzone acquise à l’Espagne : « Je prends mon téléphone, je vais sur mon compte twitter et je tweete : “Kali-Kali-Kalinic ».» Aujourd’hui, il avoue ne plus tweeter sur les buts, parce qu’il ne peut «pas faire deux choses en même temps». 1-1 au tableau d’affichage, la rencontre est relancée juste avant la mi-temps. 

« J’ai célébré cet arrêt autant que le but de Perisic !»

Début de la seconde mi-temps, les deux équipes poussent. Jedvaj répond à Ramos et on sent les deux équipes plus proches que jamais de la rupture. Puis, à la 69e, Corluka trébuche sur David Silva dans la surface et l’arbitre siffle pénalty. «J’ai pété un plomb, enrage encore Antonio. Parce que franchement y a rien, ils l’obtiennent uniquement parce que c’est l’Espagne.» Dans les tribunes, les Croates râlent après l’arbitrage et ont l’impression de ne pas être traités à égalité avec leurs adversaires : «L’action d’avant, notre joueur est déséquilibré dans la surface juste devant nous, se souvient Maks. Donc quand l’arbitre siffle péno pour l’Espagne, nous on gueule, le kop est en fusion.» Perko, qui est placé un peu plus loin du kop, était lui toujours confiant : «L’arbitre siffle pénalty, mais je dis à mon père : “Attend on va voir qui va tirer !“ Puis là je vois Ramos qui prend le ballon et je dis à mon père : “C’est bon y a pas but, soit il envoie un drop, soit il loupe !“» Il avait vu juste.

Ramos s’élance, tire, et … «Subasic l’arrête et là, le mec qui était derrière moi me saute dans le dos. Je ne sais même pas comment je l’ai soulevé, dit Maks encore ému. Cet arrêt-là ça m’a donné les larmes. Ce pénalty restera à vie dans ma mémoire.» Émotions aussi pour Perko qui a «célébré cet arrêt autant que le but de Perisic». Dans la fanzone lyonnaise, Cédric se souvient de la déception des supporters de la Roja sur l’arrêt de Subasic, alors que lui jubilait : «Il y avait ce côté du Croate un peu seul contre le reste du monde.» «J’ai vu ça comme une justice divine : il n’y avait pas penalty pour moi et le fait qu’il n’y ait pas but, justice était faite», calme Antonio. Depuis Zagreb, Juraj se souvient d’un pénalty qui aurait sans doute dû être retiré s’il s’était joué en 2021 : «Le pénalty était pas super bien tiré, puis c’était avant la règle qui oblige le gardien à rester sur sa ligne. Subasic était très très loin de sa ligne, il était à 3/4m.» Mais l’arrêt est validé et l’avantage psychologique change de camp. «Les supporters se sont enflammés. C’était fini, nous on avait gagné dans les tribunes, rappelle Maks. On n’entendait plus les supporters espagnols.»

L’arrêt de Subasic sur le pénalty de Sergio Ramos

«J’étais à deux doigts de tomber dans les pommes, je voyais des étoiles»

Les minutes défilent et les Croates y croient de plus en plus. Après un tel scénario, cela ne pouvait que bien se finir. 87e minute, Kalinic lance Perisic, qui remonte seul la moitié du terrain. Il entre dans la surface pied gauche et marque. «C’était un classique de Perisic, explique Juraj. Son but portait la marque Perisic, mais il avait une meilleure opportunité en faisant une passe. Il a décidé de la jouer au premier poteau, un truc qu’il fait souvent.» Dans un angle fermé entre De Gea et le poteau, la balle file au fond des filets et vient libérer tous les Croates. «J’étais à deux doigts de tomber dans les pommes, je voyais des étoiles et tout, se souvient Perko. Il faisait une chaleur, j’en pouvais plus, il fallait que j’arrête de gueuler.» Perisic court vers le kop, enlève son maillot et sert les poings. Il fait exploser la tribune croate. Au milieu du kop, Maks est submergé : «J’avais plus de bière, j’avais tout jeté devant, mon maillot aussi. Je l’ai récupéré plus tard. Mon oncle a porté son gendre qui doit faire 130kgs comme si c’était un sac à main. Tout était retourné. L’ambiance était phénoménale. Y a pas de mots, c’est trop beau.» Hors du temps, celui qui est venu de Normandie pour assister à la rencontre ne réalise pas : «Il y a 2-1, tu gueules parce que tout le monde gueule, mais tu es là : “Ça se passe vraiment?“»

«J’ai traversé la fanzone en courant et si je devais revoir des images de ma réaction, je pense qu’elle est totalement disproportionnée, rigole Cedric aujourd’hui. Je chantais sur Will Grigg’s on fire pour célébrer la victoire.» De son côté, Antonio traverse à nouveau son salon suisse en hurlant. «Je suis allé chambrer directement mes potes espagnols, raconte-t-il. Même des potes à qui je n’avais pas parlé depuis des années, je leur disais : “C’est comment Perisic?“» Après ça, il est allé klaxonner dans les rues pour la première fois de l’Euro. «On n’est pas beaucoup de Croates en Suisse, donc il n’y avait que 2-3 autres voitures dans ma petite ville de Payerne», évoque-t-il en souriant. À Zagreb, les festivités ont été mesurées. «Y avait des feux d’artifices et tout, mais ce n’était pas une grosse célébration», témoigne Juraj. «Les gens se réservaient pour le match contre le Portugal.» Les deux chanceux qui célèbrent la victoire depuis le stade se souviennent d’un même climat. «Les Espagnols ne faisaient pas trop la gueule, les Croates faisaient la fête, explique Perko. C’était que du bonheur à l’état pur !» Et Maks de conclure : «Ils étaient des bons perdants et nous de bons gagnants

Célébration de Perisic et euphorie collective sur le but du 2-1

«Ça reste une des plus belles victoires de la Croatie en phase finale d’un tournoi.»

Cinq ans après, cette victoire fait toujours office de référence pour la Croatie. Autant d’un point de vue émotionnel que d’un point de vue psychologique. «Ça reste l’une des plus belles victoires de la Croatie en phase finale d’un tournoi, soutient Antonio. Un média croate avait fait le classement des meilleures victoires et celle-ci elle était première ou deuxième.» Il ajoute : «La symbolique derrière cette victoire, c’était qu’on n’avait pas que 11 joueurs, on a une profondeur de banc et ça c’est le travail de toute une formation qui se fait au pays 

Cette soirée viendra raviver la passion croate, après un début d’Euro timoré. «Avec la Croatie, t’as toujours le match où tu sais qu’ils vont se galvaniser et te sortir un jeu intéressant, analyse Cédric. Et ce sont ces matches qui font qu’il y a une passion démesurée, parce que ça peut être pour le meilleur et pour le pire.» L’avantage devient psychologique et la Croatie se prouve à elle-même qu’elle a des raisons d’y croire. «Ça donnait l’impression qu’on pouvait gagner contre de grosses équipes, défend Juraj. On ne se dit plus : “Il faut éviter une grosse défaite“ mais “On doit gagner!“» Et Antonio espère que cette morale est toujours ancrée dans l’esprit des joueurs : «Je pense qu’il n’y a aucun joueur dans la sélection aujourd’hui qui se dit : “On ne peut pas battre l’Espagne!“» 

Toute l’équipe avec les supporters, après le but du 2-1

Interrogé à la veille de ce Croatie-Espagne, Maks est persuadé que rien n’égalera ce qu’il a vécu ce soir là : «Je ne ressentirais pas ça à nouveau, avec un tel scénario. L’ambiance était phénoménale. Pendant 90 minutes c’est du chant, du chant, du chant, les gens qui donnent tout pour le pays.» 

«Là c’est que du bonus vu la phase de poules qu’on a fait !»

À quelques heures de la rencontre contre l’Espagne, qui rappellera forcément celle de l’Euro 2016, le scénario est totalement différent. Déjà dans l’enjeu : celui qui perd sort. Mais aussi parce que les deux équipes ont été sacrément remaniées entre temps. La Croatie ne pourra pas compter sur son meilleur buteur de l’Euro, qui n’est autre que le héros de ce Croatie-Espagne de 2016, Ivan Perisic, testé positif au Covid. «En l’absence de Perisic, il y a des joueurs qui vont vouloir prouver, se rassure Antonio. Un peu comme en 2016, où ce sont ceux qui ne sont pas titulaires qui s’imposent.» 

Les Croates sortent de matchs de poule peu glorieux, seule la victoire 3-1 contre l’Écosse lors de la dernière journée redonne un peu d’espoir aux supporters. L’Espagne, de son côté, en a mis cinq à la Slovaquie pour se relancer et fait un peu peur. «Il faut les bousculer parce que si on les respecte trop, on est foutu, harangue Antonio. On a vu que la Slovaquie les a respectés, et ils ont pris une manita.» De son côté, Maks, déjà pessimiste avant le match lors de l’Euro 2016, ne «s’attend à rien». «Là ce n’est que du bonus, vu la phase de poules qu’on a fait. Si on passe on prend, sinon tant pis, explique-t-il un peu fataliste. On n’a pas vu une grande Espagne pour l’instant, mais on n’a pas vu une grande Croatie non plus.» Avant de conclure : «Je te dis ça mais je vais être en sang devant le match !» Prêts à revivre un nouveau scénario de fou ?

Merci à Juraj Vrdoljak, Maks, Perko, Antonio et Cédric de @footcroate pour leurs témoignages.

Crédit photo : IconSport

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