Numéro 10 de la Juventus depuis plusieurs années, Paulo Dybala est arrivé à Turin en provenance de Palerme avec l’étiquette de « nouveau Del Piero » ou « nouveau Sivori ». Cinq ans après ce transfert, l’Argentin a déjà connu beaucoup de moments qui forgent l’image d’un joueur dans l’esprit populaire. En bien ou en mal, paraîtrait-il.
Chez Ultimo Diez, on a décidé de vous dire au revoir en vous parlant d’un numéro 10 qui nous aura marqué. Ou dont on aurait envie de parler. Sans doute l’une des choses les plus pures footballistiquement parlant. Et comme ça me tient à coeur, j’ai décidé de m’étendre un peu plus que mes coéquipiers. D’instinct, j’ai pensé à vous parler d’Alessandro Del Piero. Quoi de plus normal pour quelqu’un qui a découvert le foot avec la Juve du début des années 2000 ?
Del Piero, c’est le joueur qui m’a fait aimer le football, dans son ensemble. Je me rappelle l’avoir remarqué lui avant n’importe quel autre devant ma télé et m’être dit « je veux faire comme lui ». Ce gars qui avait la classe en toute circonstance. Qui faisait la différence tout seul, avait le respect de ses coéquipiers comme en attestait le brassard à son bras, celui de ses adversaires, était fair-play et dégageait toujours une image noble, comme la Juve l’exigeait de son meilleur représentant. Un superhéros. Et finalement, ce n’est pas lui que j’ai choisi. Même si chacun ressent les choses différemment, tout a été dit sur ce superhéros. Je ne me voyais pas capable d’inventer des mots différents de ceux déjà employés à son sujet. Alors, j’ai choisi Paulo Dybala. Pour ce qui était attendu de lui, ce qu’on retrouve de l’Italien en lui, et surtout pour ne pas dire au revoir à U10 sur une histoire déjà achevée. Celle-là continue de s’écrire.
Commençons par le commencement. Quand la Joya débarque à Turin à l’été 2015 il n’est, ironiquement, pas un 10. Si sa façon de jouer s’est parfois rapprochée de celle de Messi au point que personne en Argentine n’ait jamais su comment faire coexister les deux en sélection, à l’origine, c’est à Agüero qu’on le compare. Un petit numéro 9 très mobile, qui évolue avec un véritable numéro 10 derrière lui à Palerme, Franco Vazquez. Malgré ces caractéristiques, au moment de son transfert, les comparaisons ramènent immédiatement à Del Piero et Sivori. Deux joueurs qui n’ont jamais été de véritables 9. Deux joueurs qui auront été icônes de la Vieille Dame, avec le 10 sur le dos. Lui n’a que 22 ans et débarque dans une équipe complètement démolie, qui vient de perdre Pirlo, Vidal et Tévez, et réalise une entame de saison comme on en a rarement vue à la Juve, en mal.
Dans ce contexte pourtant, il n’échappe pas aux responsabilités qui lui incombent au vu du prix de son transfert. Surtout, il n’essaie pas de s’y soustraire. Le n°21 sur son dos montre qu’il est le patron en devenir de l’équipe. Et il n’y a plus guère de doute dès sa première apparition. Sur une pelouse complètement cuite du fond de la Chine pour la Supercoupe contre la Lazio, où en à peine 10 minutes, il fait comprendre que la Juve n’a pas encore fini de monter en puissance. Sur le terrain comme en dehors, il justifie les espoirs placés en lui.
C’est la première fois depuis Del Piero que ce sentiment me traverse. Au départ du Pinturicchio, il n’y avait plus de vrai numéro 10 de la Juve, malgré la présence de très grands noms du football. Alors oui, il y a eu le passage de Carlos Tévez. Un immense joueur que tous les tifosi ont aimé, mais à l’histoire différente. Attachant mais plus rustre, resté seulement 2 ans ou tout simplement à l’histoire différente. En somme, un joueur qui aura connu de grandes aventures ailleurs et qui au crépuscule de sa carrière est plus identifié à Boca Juniors qu’à n’importe quel autre club. Après lui et alors que Dybala arrive, Pogba aura porté le 10. Une saison avant de partir par la petite porte dans un flot de belles paroles au fil d’un transfert que personne n’a compris, encore aujourd’hui.
Alors quand Dybala récupère le 10, les tifosi récupèrent enfin ce joueur qui met des étoiles dans les yeux, auquel ils vont s’identifier, qui aime le club autant qu’eux. Issu d’un football et d’une génération différente de Buffon et de sa BBC, mais qui complète le tableau et laisse augurer de belles choses pour l’avenir. Impeccable sur la pelouse et en dehors, qui réalise toujours le sans-faute quand il s’agit de montrer son attachement à la Vieille Dame. Ce n’est alors finalement pas un hasard de constater qu’il partage une certaine complicité avec Del Piero lui-même, dont il récupère de façon régulière le brassard.
https://twitter.com/PauDybala_JR/status/895371192441483268
Le principal reproche fait à Dybala par la suite concerne sa régularité. Et à titre personnel je ne l’ai jamais compris. Sur ses six années à la Juve, il n’y en a que deux où son rendement statistique n’est pas bon : La première lorsqu’un entraîneur à court d’idées d’un point de vue football lui préfère un trio Bernardeschi-Mandzukic-Ronaldo, échec européen à la clé, la seconde lorsqu’une année au calendrier invraisemblable lui maintient la tête sous l’eau d’un point de vue physique. Le numéro 10, c’est une espèce rare. Lequel d’entre eux a jamais vécu a travers des lignes de stats ? A plus forte raison dans un football qui n’a jamais été aussi fort sur le plan physique ? Non, eux apportent autre chose, les chiffres, c’est du bonus, bien que Dybala compte quand même plus de 100 buts avec la Juve, pour un ratio sensiblement équivalent à celui… de Del Piero.
Lui, en plus de l’aspect bandiera que l’on pensait perdu, a maintenu le club a un niveau de performance qui ne lui correspond plus depuis un moment. En poussant un peu, on pourrait facilement le désigner homme de 3 des 5 derniers scudetti de la Juve. Les buts décisifs à l’Olimpico, l’entrée qui change le cours du match à San Siro, les buts dans les grands chocs du championnat à la pelle… Je pourrais sans doute encore avoir un sursaut au milieu de la rue en pensant à ce ballon envoyé à l’arrache dans la lucarne de Strakosha après avoir glissé un petit pont à Luiz Felipe et résisté à moitié au sol à Parolo. Le but le plus symboliquement « da Juve » possible de la décennie, qui a changé le cours du championnat.
Sans compter la Ligue des Champions. Son bilan est impressionnant à tout point de vue, à plus forte raison dans les matchs importants et les grands chocs. Le chef d’oeuvre Barcelone, le Bayern, l’Atletico de Madrid, Manchester United, Tottenham pour ne citer qu’eux. Aucun autre attaquant de la Juve n’a ces noms à son tableau de chasse depuis des lustres. Idem sur le plan national, où tous les cadors seront passés au fil de sa patte gauche à maintes reprises.
Même dans ses années «sans», on ne peut que constater son influence. Revenons sur les échecs en C1 : Ajax ? A une période où il n’est pas titulaire, puis lancé dans la panique comme milieu de terrain. Lyon ? Sur le banc à l’aller, blessé au retour. Porto ? Blessé. Plus largement, une saison sans lui a laissé la Juve face à ses échecs répétés, son manque de personnalité et lui a ôté le titre de champion d’Italie. Penser que la même chose serait arrivée avec lui serait très hasardeux. La preuve un an plus tôt où il porte avec De Ligt et Ronaldo cette équipe qui n’en avait que l’appellation vers le titre et est élu meilleur joueur de Serie A.
Alors non, Dybala n’est évidemment pas Del Piero malgré tous les points communs que j’ai pu relever entre les deux pour illustrer mon propos. Malgré le fait que cette comparaison passe pour grossière, j’aimerais relever deux choses qui font que celle-ci mérite néanmoins d’exister. Premièrement, parce que l’un comme l’autre rendent fier de supporter la Juve. De par leur jeu, qu’on ne voit pas ailleurs, leur implication, leur savoir-être et leur façon de toujours mettre le club avant eux. Leur classe. Un cocktail auquel certains supporters d’autres clubs ne goûteront sans doute jamais. Deuxièmement, une zone d’ombre, un désamour. On sait Del Piero parti en mauvais termes avec Andrea Agnelli, boss suprême du club, et dans un sens, part de la fierté des tifosi également. On ne saura peut-être jamais ce qui a été dit entre les deux et à quel point cela influence ou non certaines piques qu’ADL a pu envoyer ça et là sur son club de toujours. Alors dans le doute, on fait fi, ou on le renie. Et peut-être dans le second cas qu’on s’empêche d’apprécier tout ce qu’il aura fait de beau pour ce club.
Pour Dybala, voilà 2 ans que l’on attend que son contrat son prolongé. Il y a eu conflit ouvert avec Fabio Paratici. Il y a eu échange de déclarations par médias interposés avec Agnelli, sans qu’on sache lequel était «le gentil» dans l’histoire. Dans le doute, on fait fi ou on le renie. On apprécie pleinement le scudetto que la Joya nous a ramené quasiment tout seul et les chocs gagnés sur ses rares apparitions cette année, ou on se dit qu’il devrait partir, puisqu’il ne cherche qu’un gros chèque. Au risque de passer à côté de tant de grands moments. Est-il vraiment humainement possible de vouloir voir partir Dybala et se dire que ce que la Juve a connu de plus beau dans ses plus grands moments depuis 6 ans est la grinta de Mario Mandzukic ?
Ce ne sera pas mon cas. Au diable les zones d’ombre, les plus beaux tableaux du monde ne sont pas tout blancs ou tout noirs. Il y a des nuances et ici surtout de fines rayures, qui teintent l’éclat d’un des plus beaux diamants qu’on puisse espérer jamais trouver.