Sont prédestinés certains hommes à être étincelants. Surgissant de l’ombre, leur talent est une lumière, leur permettant d’éclairer notre vie et le contenu de nos poitrines. Ils deviennent peu descriptibles, tant talent semble infini, et nos dires faibles. Pourtant, « les mots, il suffit qu’on les aime pour écrire un poème » expliquait Raymond Queneau, écrivain français. Puis viennent des moments que l’on ne peut expliquer. Des instants qui nous paraissent fictifs, des personnes qui ont l’art de détourner le réel. Sommes-nous vraiment en train de vivre ce moment ? Ou sommes-nous dupés ? Amélie Nothomb disait d’ailleurs que « le but de la magie, c’est d’amener l’autre à douter du réel » . Plus grave, hallucinons-nous ? Parfois, certains moments que nous vivons nous semblent bien trop idylliques, tout va bien dans le meilleur des mondes. Donc, on profite, on se délecte de ce si bon goût qu’est la réussite. Nous bombons le torse, nous levons la tête, et nous fixons le soleil et son ciel bleu. C’est comme s’ils nous souriaient. Le temps d’un instant, nous profitons pleinement d’aujourd’hui en oubliant son lendemain même pas garanti.
Dans le football, nous retrouvons certaines similitudes avec le quotidien. Pour cela, certains footballeurs sont plus enclins à nous faire vibrer que d’autres, et certaines équipes sont plus sujettes à être touchées par la grâce. Il existe ainsi des joueurs qui nous émerveillent grâce à toute l’essence qui découle de leur football. L’homme est humain, donc l’homme échoue et nous frustre, mais malgré ses défauts, il rayonne.
C’est le cas d’Isco, un homme tellement fort qu’il s’y perd parfois. Si Edward est aux mains d’argent, alors Isco est aux pieds d’or. Il brille grâce au talent inné qu’il a malgré ses parts d’ombre. Et nous fait briller, car ce ne sont plus les yeux qui voient, mais les cœurs dans les poitrines. Touchés par le plus noble des impacts, celui de l’art. Ces esthètes sont sur le terrain pour des valeurs plus majestueuses que la plupart : pour transformer le football en art, et l’art en amour. Réfléchir n’est plus permis et ne nous intéresse plus. Vient un moment où la rationalité n’est plus en mesure de nous aider. Ce que nous voulons, c’est rêver. On pourra tout nous enlever, mais « il nous restera toujours nos rêves pour réinventer le monde que l’on nous a confisqué » (Yasmina Khadra). Qui nous fera rêver ? Les poètes, car « ils rêvent et nous font rêver » disait un romancier québécois. La réflexion se tue au profit de la magie. Accompagnée de la passion et du sentiment, elle fait voyager les cœurs. Récit de Francisco Román Alarcón Suárez, illusionniste à ses heures perdues.
Golden Boy
En 2013, Francisco Román Alarcón Suárez se fait découvrir à l’Europe toute entière. Formé à Valencia, c’est à Malaga, lui l’Andalou, que le milieu de terrain fait parler de lui. Sa première saison 2011-2012, où il côtoie notamment Santi Cazorla et Joaquin, nourrit de grands espoirs. Fraîchement nommé Golden Boy, Isco s’impose de plus en plus dans une position proche de la surface de réparation adverse. Grâce à l’or découlant de ses pieds, Isco peut jouer haut, entre les lignes, et est très dangereux près du but adverse. Mais au-delà de sa superbe qualité de dribbles, le milieu est décisif : un golazo important contre le FC Porto en huitièmes de finale de Ligue des Champions, puis un but contre le Real Madrid et le FC Valence. Face à Dortmund, en 1/4 de C1, les Andalous tomberont de haut. Malaga vivra sa pire soirée européenne dans un match historique, et certainement sa dernière. Tandis que le BVB retrouvera le Real Madrid – qu’il éliminera –, le club espagnol dit adieu à celle qu’il ne reverra plus jamais. Tant pis, Isco a un autre destin.
Tout ce qui brille n’est pas or
À Madrid, l’adresse a toujours été de mise. Tout au long de son histoire, la ville madrilène a voulu s’imprégner d’une touche artistique. Et ne vous y méprenez pas : nous ne parlons pas du Musée du Prado, mais d’une sensibilité propre aux footballeurs. Très tôt dans l’histoire merengue, Santiago Bernabeu a été avant-gardiste. La principale différence avec la concurrence, c’est la façon dont il a vu les choses en grand pour faire de son club le plus prestigieux. L’ambition peut-elle être reprochée quand on ne remet ni son honneur ni sa fierté en cause ? En tout cas, le Real a rapidement été le club roi. Voire un peu trop. Mais Santiago Bernabeu voulait créer quelque chose de nouveau, une singularité dans la façon dont on voit le football, comme dans la façon dont on le gère. Grâce à la blancheur de leurs tuniques, et surtout à l’art de leur jeu, ces virtuoses ont vite illuminé le peuple et le pré. Une vision du football qui a su traverser les époques, aidée aussi par d’autres valeurs, qui ont toutes fait du Real Madrid ce qu’il est aujourd’hui.
Venu à Madrid pour 35 millions d’euros, Isco doit ronger son frein. Certainement un peu victime de la politique du Real Madrid, il est contraint d’être sur le banc. Barré par des milieux de grande qualité, l’Espagnol se montre utile dès qu’on l’appelle, comme lors de la première journée du championnat espagnol lors de la saison 2013-2014 où il se montre décisif contre le Betis Seville.
Le talent du prometteur Andalou est indéniable. De son jeu naissent tendresse et délicatesse, mais gâchées par l’immaturité et l’envie de toujours en faire trop. Isco est le futur du football espagnol et certainement de Madrid, cela est clair pour tout le monde, mais n’a pas les épaules nécessaires pour être le présent. L’ancien de Malaga est un diamant brut que l’on a pas encore poli, une rose aux épines plus apparentes que son odeur, un élève brillant mais agaçant.
« L’univers est rempli de magie et il attend patiemment que notre intelligence s’affine » affirmait Eden Phillpots, écrivain anglais. C’est un peu ce qui pourrait décrire Isco. Son art déborde de magie et de génie, mais n’est pas encore épuré et façonné. Il ne s’impose logiquement pas lors de sa première saison et vit un hiver 2013 compliqué avec des prestations plutôt ternes. Manquant de confiance, le numéro 23 merengue retombe dans ses travers : il ralentit considérablement le jeu et peine à se montrer utile à l’équipe. En fin de saison, Isco redressera la barre grâce à de très bonnes performances, notamment contre le Borussia Dortmund (victoire 3-0 avec un but de l’Espagnol) et le Bayern Munich (victoire 1-0) en Ligue des Champions. Lors de l’acquisition de la Décima, le 24 Mai 2014, c’est notamment grâce à lui et Marcelo, entrés en cours de jeu, que le Real Madrid gagnera en créativité et fluidité pour aller chercher sa dulcinée face à l’Atlético de Madrid.
Père et fils
Lors de la saison 2014-2015, le Real Madrid connaîtra son apogée en automne 2014. Grâce à une équipe axée sur ses milieux techniques, l’équipe entraînée par Carlo Ancelotti jouera un superbe football, notamment lors du Clasico gagné 3-1. Lors de ce match contre le FC Barcelone, certains ont retenu le score, les buts de Cristiano Ronaldo ou de Karim Benzema, mais les plus sentimentaux d’entre nous se sont projetés bien plus loin.
« Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » (Luc, 15:24).
Un abrazo, comme on dit en Espagne, qui en dit long sur la relation que Carlo Ancelotti avait avec Isco, et avec tous ses joueurs. L’occasion une fois de plus de souligner la façon dont le technicien italien gère son groupe en pensant à l’humain avant le sportif. Carlo est un génial tacticien et un formidable meneur d’hommes. Le groupe merengue s’entendait à merveille mais n’a malheureusement pas eu la réussite de son immense potentiel. Pour plusieurs raisons, dont la principale est certainement la fatigue à cause de la mauvaise gestion de l’équipe. C’est fâcheux, mais on ne refera pas l’histoire. Puis, à quoi bon ? Les hommes ont tort, mais le destin jamais. L’important est que son aura restera gravée dans la tête de ses joueurs et dans l’histoire du club madrilène.
Ne fais pas trop de bien ou tu seras cloué sur une croix
Les plus évasifs d’entre nous, comme Thibaud Leplat, trouveront des similitudes avec certains textes bibliques. Affranchies des chaînes imposées par l’homme, la magie et la poésie sont libres. Cette poésie, saine, elle « seule infinie car elle seule est libre » (Eric Clemens) s’exprimera éternellement. Libres d’exister, de s’exprimer, de rêver. Alors, certes, le clin d’œil est risqué mais osons-le : Isco, c’est le retour du fils prodigue. Osons-le pour le temps d’un conte, qui va bien plus loin qu’un simple match de football, mais qui voyage dans le cœur des gens. Dans le cœur de ceux qui veulent s’évader de ce monde oppressant, où l’on nous impose des limites et où on nous étrique dans des cases bien définies. Dans le cœur de ceux qui n’imposent leurs goûts à personne, et qui veulent s’exalter de ce doux parfum qu’est un geste de football, l’émotion d’une belle accolade, la joie d’un but. En somme, dans le cœur de ceux qui romancent la morale, pour avaler plus facilement son goût amer et/ou se délecter de son beau scénario.
Isco s’est emmêlé les pinceaux grâce à son énorme potentiel technique, et s’est quelque peu perdu en cours de route. Carlo Ancelotti lui aura apporté énormément dans la maturité de son jeu, sa polyvalence et dans le registre défensif. Lors de l’aventure merengue du coach italien, Francisco aura joué à gauche, au poste de relayeur, voire à la place de Luka Modric, en ayant beaucoup plus de responsabilités défensives et collectives avec Toni Kroos. Le jeune espagnol développera ainsi un goût pour l’effort, grâce à son physique robuste et costaud. Il ne déméritera pas durant toute la saison, et enchaînera d’ailleurs les bonnes prestations. Mais Isco évolue dans un club singulier, irrationnel. Lui, comme beaucoup d’autres, serait titulaire partout en Europe, sauf ici. Un problème de riches, de logique sportive et de politique, ou peut-être que le sport à Madrid est aussi de la politique ? Peu importe, Isco efface de plus en plus ses défauts, et c’est le plus important.
L’âge de la maturité ?
S’en suit une période floue au Real Madrid avec l’arrivée de Rafael Benitez. Il faudra attendre l’arrivée de Zinédine Zidane pour retrouver de la joie et de la sérénité dans le vestiaire madrilène. Au niveau du terrain, l’équipe de l’entraîneur français est très poussive et peu plaisante. Ce sera le Clasico gagné au Camp Nou (1-2) qui relancera la saison des blancs, le premier sursaut d’orgueil depuis très longtemps, pour une équipe pourtant habituée à dégager beaucoup de caractère. Zizou gagnera la C1 en six mois, avec de la réussite, certes, mais qui est la résultante de plusieurs facteurs, et pas forcément le facteur en lui-même.
Lors de la saison actuelle, le Real Madrid gagne souvent au forceps. Se dégagent de cette équipe une force mentale incroyable et un vrai caractère. 21 buts ont été inscrits durant le dernier quart-d’heure en Liga, un record montrant à quel point le Real a un mental inégalable. Le jeu est souvent poussif, la BBC est plus un handicap qu’une solution et Keylor Navas n’est plus aussi impérial que dans le passé. Mais Madrid n’abandonne jamais, à l’image de son capitaine Sergio Ramos, et cela lui vaut une première place à la tête du classement avec un match en moins, et une victoire à Munich (1-2) pour le quart de finale aller de la Ligue des Champions. Tout n’a pas été parfait durant cette saison, et rien n’est encore gagné, mais le Real Madrid montre une force de caractère peu répandue actuellement en Europe, et une haine de la défaite, ancrée dans l’ADN du club.
L’autre fait important est la bonne gestion du groupe de la part de Zizou. Grâce aux conseils de son mentor Carlo, le coach français gère son groupe de main de maître. L’important pour lui est que ses joueurs se sentent heureux, car la première victoire d’un entraîneur est dans son vestiaire. Parfois voire souvent langue de bois en conférence de presse, Zinédine Zidane vient de l’ancienne école, celle de Carlo Ancelotti, où on protège ses joueurs aveuglément. En termes de jeu aussi, le mythique numéro 5 madrilène est un ancien de l’école italienne : il ressemble plus au football italien des années 2000 qu’à la philosophie du football total prôné par Johann Cruyff. La force du Real, c’est d’en avoir plusieurs, et de ne pas compter seulement sur le jeu, mais sur les autres aspects psychologiques et mentaux qui en découlent. Un Real pragmatique en somme, sublimé par ses hommes forts.
« Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie » Johann Wolfgang von Goethe
Concernant Isco, encore une fois, on voudrait peut-être plus le voir sur le terrain. Toujours barré par les mêmes constellations, Francisco est une étoile filante. On l’aperçoit, il brille, il part. Plus mature et plus décisif, le crack espagnol vit sans doute sa meilleure saison. Lors de la victoire sur le terrain de l’Atlético de Madrid (0-3), l’Andalou, placé derrière l’attaque avait été rayonnant. Ayant rarement déçu, Isco mériterait toujours plus de temps de jeu (surtout en C1!) et plus de crédibilité, mais le Real n’a pas changé, toujours sujet aux mêmes défauts. Néanmoins, Zinédine Zidane multiplie les déclarations d’amour concernant son génial milieu espagnol, et souhaite publiquement sa prolongation.
Avec Thiago Alcantara, il est le porte étendard du renouveau en sélection nationale. Julen Lopetegui les connaissant bien pour avoir gagné l’Euro U21 avec eux, s’appuiera sans nul doute sur ces deux cracks parlant le même football. Joueur le plus décisif de l’équipe derrière C.Ronaldo, le 22 de la Maison Blanche est actuellement dans une superbe forme en étant impliqué dans huit buts lors de ses huit dernières titularisations en Liga (six buts et deux passes décisives).
La grâce est souveraine
« C’est un joueur du Real Madrid qui est incroyable en ce moment. Il est très heureux. Si vous me demandez ce que je pense d’Isco, vous connaissez déjà la réponse. Il est important, et j’espère qu’il va rester » . Zinédine Zidane, le 4 Avril 2017
Ainsi, le malheur existe-t-il à cause du bonheur ? Est-il un test pour les endurants plutôt qu’une fin du monde s’abattant sur les fatalistes ? Et le bonheur, qu’est-il ? « Ce n’est pas la récompense de la vertu, c’est la vertu elle-même » nous apprend Yasmina Khadra. Impropre à la nature humaine, le réel bonheur est dans la satisfaction de ce que l’on a déjà, le fait de trouver dans notre pauvreté – de n’importe quel type – une certaine richesse. L’imam Al-Ghazâlî, astre brillant du monde musulman, explique dans L’Alchimie du bonheur que nous accédons à ce point culminant, en partie, grâce à notre connaissance de soi, et à la façon dont nous rayons nos défauts. Isco a-t-il atteint la plénitude ? Pas encore. Pourra-t-il l’atteindre en restant à Madrid ? C’est le souhait de beaucoup de monde.
Actuellement auteur d’une brillante saison, c’est peut-être le temps de donner plus de mérite et de crédibilité au crack espagnol. Avec un Luka Modric qui va sur ses 32 années, le Real Madrid a avec Isco et Mateo Kovacic deux solutions durables pour l’avenir. L’Espagnol atteindra la plénitude car il est né pour cela. Plus les années passent, et plus le joyau qu’il est se perfectionne et trouve l’éclat car « l’âme du diamant est la lumière » (Joseph Joubert, moraliste français). Le numéro 22 ne brillera jamais pour tout le monde, il éblouira seulement ceux qui veulent être éclairés par une lumière singulière où se mêlent poésie et magie. La splendeur vertueuse des plus grands virtuoses.
Face au Sporting Gijon, Isco s’est accaparé le brillant pour le maximiser et le rendre influent. Il commencera par égaliser d’une façon somptueuse, et se démènera ensuite pour faire gagner son équipe. S’en suit un enchaînement d’une justesse technique insoupçonnée, manquant néanmoins d’épuration et d’instinct de tueur dans le dernier geste. Tant pis, pour couronner son match de roi, Francisco Román Alarcón Suárez guidera son peuple vers une victoire essentielle à la 90ème minute. Pour célébrer son but, Isco fera un geste signifiant « Te quiero » (« Je t’aime » ), dans le langage des signes. Célébration demandée par une supportrice de huit ans la veille, élevée par ses parents atteints de surdité, histoire de romancer encore un peu plus la morale. Au XIXème, les romantiques étaient touchés par le spleen, appelé « le mal du siècle » par Chateaubriand. En atteste Charles Baudelaire, auteur du célèbre recueil Les Fleurs du Mal, qui puisait dans le laid, une certaine beauté. Lui, si bien dans les ténèbres du monde et dans les vestiges de son âme fanée. À cette époque, les écrivains étaient dans un mal-être profond, sans aucune perspective de clarté. Victor Hugo disait que « la mélancolie, c’est le bonheur d’être triste ». Le spleen est un état déshumanisant l’être, rendant son existence sans plus aucun intérêt, le plongeant dans le fatalisme. À cause aux désillusions liées à l’idéal, il pleut dans les cœurs, et puisqu’ils n’ont plus aucune lumière, ils dépérissent. La seule fleur naissante est la mélancolie, arrosée par la déception et le dégoût. C’est là que réside le spleen baudelairien : un monde terne, rempli de noirceur et de désespoir, dans l’incapacité de s’enivrer, ne serait-ce qu’une seule fois, du doux parfum de l’amour véritable… Puis Isco fut.