Comme tous les ans, la fin d’année marque la sortie de Football Manager. Toujours plus réaliste, le jeu référence pour tout apprenti entraîneur offre des fonctionnalités allant au-delà de la gestion quotidienne d’un effectif. Alors, simple jeu vidéo ou véritable outil de réflexion ?
FM, outil de recrutement ?
Ce n’est plus vraiment un secret : de plus en plus de clubs utilisent Football Manager. Pourquoi ? La raison est simple : le jeu de Sports Interactive possède une énorme base de données, qui couvre le monde entier. S’il existe une marge d’erreur évidente, comme la légende Maxim Tsigalko, cette base de données est cependant bien plus réaliste et bien plus fiable que celles des autres jeux vidéo populaires. Car SI possède de nombreux scouts, aux quatre coins du monde, chargés d’observer les joueurs, de la deuxième division brésilienne au championnat de Singapour.
Dans un entretien à RMC Sport l’année dernière, Miles Jacobson, le créateur de Football Manager, expliquait d’ailleurs que « de nombreux clubs utilisent notre base de données. Certains le font officiellement, d’autres officieusement », ajoutant que « le club qui n’utilise pas nos données, pour être honnête, est fou. Ils devraient tous l’utiliser ».
Nice s’en est servi
Alors, Football Manager est-il un outil de recrutement ? Oui et non. Il est évident qu’un jeu vidéo ne peut pas donner une idée complète et définitive du niveau d’un joueur avant de le recruter. Mais il a une influence indirecte indéniable. Tout d’abord car il permet au recruteur d’avoir le nom et le profil du joueur dans un coin de la tête, mais aussi car il permet d’offrir des renseignements complémentaires si nécessaire. Si beaucoup de clubs restent silencieux sur leurs méthodes de recrutement afin de ne pas donner d’idées à d’autres rivaux, l’OGC Nice a avoué il y a quelques années s’être servi du jeu.
C’est Jonathan Beilin, ancien recruteur du club azuréen, qui a vendu la mèche. Dans une interview pour So Foot, il explique que le jeu l’a en partie aidé à recruter Nemanja Pejcinovic ou encore Fabian Monzon. C’est dans une liste d’une quinzaine de noms que celui du défenseur serbe lui a fait tilt : « ce joueur-là, je le connaissais déjà depuis deux ou trois ans, de Football Manager. Direct, quand on m’a proposé ce nom, j’ai dit : quand on va regarder des vidéos, on sera tous d’accord ». Pour le latéral argentin, le processus est le même : « Alors à la base, Monzón, oui, c’est Football Manager. Mais après, il y a eu tous les filtres : les vidéos, les renseignements sur place avec nos contacts… Il y a plein de facteurs qui entrent en jeu ».
Footballeurs pros et coachs virtuels
Lorsqu’ils ne sont pas sur les terrains, les footballeurs occupent leur temps libre de plusieurs façons. Les moins passionnés d’entre eux coupent totalement avec leur métier, au point d’en étonner certains par leur manque de culture foot. D’autres s’octroient quelques passe-temps virtuels.
Si le jeu privilégié des footeux reste FIFA, un autre jeu a les faveurs des plus connaisseurs : Football Manager. Il faut dire que ce dernier présente certains avantages pour les joueurs constamment en déplacement : quand FIFA nécessite une console et une télévision, FM n’a besoin que d’un ordinateur et un compte Steam. Beaucoup plus simple à transporter lors des longs trajets en bus ou en avion pour aller disputer des matchs. Le nombre de joueurs professionnels à s’improviser tacticiens augmente ainsi chaque année.
Bafé Gomis, allier l’utile à l’agréable
Comment apprendre de manière ludique quand on est footballeur professionnel ? Bafétimbi Gomis a la réponse. Fan du jeu depuis tout petit, c’est de manière originale qu’il l’a utilisé. Après sa signature à Swansea en 2014, l’ancien lyonnais a démarré une partie avec Swansea. Le but : apprendre à connaitre ses coéquipiers, leur visage, leur nom et leur poste de prédilection, et même leurs statistiques, avant le début de la saison. Une tactique, qui, de son propre aveu, l’a énormément aidé à son arrivée.
Antoine Griezmann, gamer en herbe
Lorsqu’il ne joue pas à FIFA ou NBA 2K, c’est sur Football Manager que l’attaquant de l’Atlético de Madrid se déchaine. L’international français profite souvent des rassemblements avec la sélection pour avancer sa partie, notamment lors des voyages en avion. Après avoir posé ses valises du côté de l’Emirates Stadium sur l’opus 2017, il a profité de la sortie de FM 2018 pour débarquer sur le Vieux Port. Sur ses réseaux sociaux, il n’hésite pas à partager quelques images de sa partie avec l’OM, où il n’a d’ailleurs pas attendu longtemps avant de recrutement son chouchou, l’éternelle pépite mexicaine Carlos Fierro, bien connu des joueurs assidus de FM.
Ousmane Dembélé, « El Tactico »
Mais Antoine Griezmann n’est pas le seul joueur à profiter des rassemblements de l’Equipe de France pour faire valoir ses qualités de tacticien. Le Barcelonais Ousmane Dembélé est lui aussi un joueur assidu. Dans une vidéo diffusée par la FFF, il explique ainsi qu’on le surnomme « El Tactico ». Il faut dire que sa tactique est plutôt originale, mais semble fonctionner puisqu’il a réussi à remporter la Ligue 1 et l’Europa League avec le FC Lorient, grâce à des latéraux ultra-offensifs et cinq milieux plus axiaux.
https://twitter.com/equipedefrance/status/872886381001011200
Ces trois cas sont évidemment loin d’être isolés : d’autres joueurs, de Paul Pogba à Romain Danzé, se sont essayés au rôle de coach virtuel. Simple passe-temps ou vraie passion ? Si cette simulation n’offre qu’un simple aperçu du métier d’entraineur, elle aura probablement le mérite d’ouvrir chez certains la réflexion sur une future reconversion. D’entraineur virtuel à entraineur réel ? Il faudra attendre encore quelques années pour le savoir.
Attention aux fake news
Chaque joueur assidu le sait : Football Manager peut semer la zizanie dans un couple. Généralement, le couple bat de l’aile à cause du nombre d’heures passées devant l’ordinateur à faire de Richairo Zivkovic le prochain ballon d’or. Pour le footballeur anglais Andros Townsend la situation fut moins grave, un peu plus farfelue et pas vraiment dépendante de sa volonté.
Tout se déroule en septembre 2015. Le joueur de Crystal Palace, alors à Tottenham, reçoit un message de sa compagne, un peu paniquée. Elle lui demande alors à quel moment il a été sanctionné pour ne pas s’être présenté à l’entrainement. Surpris, le joueur lui demande où est-ce qu’elle a vu ça. C’est alors qu’elle lui montre une capture d’écran de Football Manager. Une situation qui a bien fait rire l’international anglais. Mais probablement moins mademoiselle.
@FootballManager do you wanna tell her or shall I? @Hazelosullivan1 pic.twitter.com/3GkgMEgiMy
— Andros Townsend (@andros_townsend) September 18, 2015
Enfin, autre situation comique, celle vécue par le latéral de Montpellier Ruben Aguilar. Après son bon début de saison, le joueur de Michel der Zakarian a reçu un appel pour le moins étrange : celui du sélectionneur de la sélection de la Bolivie. Un coup de fil flatteur si l’on excepte le fait qu’il n’a absolument aucune origine bolivienne. Selon ses déclarations, accordées au site Goal, l’explication est toute simple : « Je crois qu’à la base, tout cela part du jeu Football Manager. Ils m’avaient mis la nationalité bolivienne en plus de la nationalité française. (…) Apparemment, en Bolivie, ils parlaient de moi à la télévision en disant que j’étais sélectionnable. J’ai été obligé de faire un communiqué sur ma page pour expliquer que je n’étais pas Bolivien donc pas sélectionnable pour la sélection (rires). »
Le coming-out : un pas vers l’évolution des mentalités ?
C’est l’une des grandes nouveautés de l’opus 2018 : les joueurs fictifs peuvent désormais faire leur coming-out. Si cela ne concerne pas, pour des raisons légales, les joueurs réels, l’objectif de Sports Interactive est de se rapprocher encore plus de la réalité, mais également de faire évoluer les mentalités dans le monde du football, en montrant que le coming-out n’a rien d’exceptionnel. Miles Jacobson, le papa de Football Manager, a d’ailleurs expliqué ce choix à la BBC : « Je trouve ça étrange que cela soit encore un problème dans le football. Donc nous avons décidé d’essayer de montrer aux gens qu’un coming-out n’est pas un problème et peut être quelque chose de positif. »
Si cette nouvelle fonctionnalité ne devrait pas avoir un grand impact sur le milieu professionnel, elle montre néanmoins que Football Manager n’est pas qu’un simple jeu de simulation footballistique, et tend à jouer un rôle au-delà du virtuel, en abordant des sujets encore tabous dans le monde du foot.
Au fil des années, Football Manager est donc devenu plus qu’un simple jeu dont l’objectif est de mener son équipe à la victoire. Pour les clubs, si la base de données du jeu ne remplacera jamais le travail d’une cellule de recrutement, elle est tout de même devenue un outil utile pour détecter un joueur. Pour les joueurs, le jeu est une opportunité pour tester ses qualités de tacticien avant une éventuelle reconversion, ou même pour apprendre à connaitre des futurs coéquipiers. Aujourd’hui, FM n’hésite pas non plus à aborder des réflexions sur des sujets difficiles à évoquer dans le football. Après avoir prouvé son influence sur l’utilisation des données, le jeu vidéo peut-il vraiment faire évoluer les mentalités ?
Photo credits : BENJAMIN CREMEL / DPPI