Après la France en 2002, l’Italie en 2010 ou l’Espagne en 2014, la Mannschaft s’est elle aussi effondrée. Apathiques, vides, sans fond ni relief, les champions du monde ont trébuché sur le tapis glissant qu’est celui du champion en titre. Pas forcément prévisible mais pourtant larvée, cette immense désillusion pour ce pays qui n’a que rarement connu de telles situations s’est concrétisée face à la Corée du Sud.
« Notre dernière grosse performance remonte à l’automne 2017 » a dit Mats Hummels, à chaud, mais clairvoyant après la défaite face aux Asiatiques. Manuel Neuer n’y est pas passé par quatre chemins non plus « Nous avons manqué de détermination. Même si nous étions sortis du groupe, nous aurions été éliminés au prochain tour ou encore au suivant. Nous méritons d’être éliminés. Nous n’avons convaincu dans aucun match, ce n’était pas l’Allemagne que l’on connaît tous. C’était pathétique ». Et il est difficile de les contredire. En observant l’Allemagne, beaucoup se sont habitués à dire que les amicaux désastreux éteint une norme, qui a encore été respectée à l’approche de ce 21eme mondial. Pourtant, cette fois, une sorte d’endormissement s’est installée, une apathie laissant une équipe léthargique.
Les médias allemands n’ont rien fait pour arranger la situation en ne plaçant que très peu la sélection sous le feu de la critique. Comme si le football était la dernière des préoccupations et que la cinquième étoile était déjà dans la poche. Un groupe qui était plus en représentation qu’en préparation pour la plus grande des compétitions. À demi-mot, Joachim Löw l’a d’ailleurs dit en conférence de presse après l’ultime rencontre de cette Coupe du monde russe pour ses hommes. «Nous sommes arrivés avec une certaine arrogance, On pensait que l’on pourrait inverser la tendance après les mauvais amicaux», a-t-il déclaré, tout en protégeant ses joueurs et endossant toutes les responsabilités.
Et force est de constater que ce n’est pas forcément faux. Bousculée dès les premières minutes, jamais solide sur ses pieds ou dans sa tête, l’équipe s’est pris un tsunami dans le visage. À tel point que même Toni Kroos, pourtant si froid et robuste, a perdu ses esprits. Et ce n’est pas allé en s’arrangeant. La victoire à l’ultime seconde face à la Suède aurait pu sauver les meubles, mais rien de cela ne s’est produit. Pour une Allemagne d’ores et déjà hors-service.
Jamais à l’heure dans les transitions défensives, un milieu lent, une attaque stérile, rien n’est à sauver dans ce mondial pour les Allemands. Rien. Pas même les décisions du sélectionneur qui s’est entêté à faire jouer un Thomas Müller imbuvable depuis de longues semaines avec sa sélection. Il s’est aussi entêté à ne donner que quelques minutes à un Julian Brandt pourtant plus démonstratif que la majorité de ses compatriotes en une poignée de minutes.
À côté de ça, bon nombre de cadres ont pris de l’âge et cela a crevé les yeux. Sami Khedira ou Jérôme Boateng représentent bien ce déclin qui tranche avec le fait que peu voire pas de très grands jeunes joueurs ont éclos depuis le titre au Brésil. Si la formation est performante, l’arrivée d’une nouvelle génération dorée se fait attendre. Le manque de leadership que Schweinsteiger ou Lahm apportaient au Brésil a également laissé orphelin ce groupe qui avait cruellement besoin de vrais repères.
Globalement, rien n’a fonctionné. Et certains en payeront surement le prix, Mesut Özil en tête de file, lui qui n’était pourtant pas pire que d’autres et qui mérite peut-être un peu d’indulgence. Sans oublier que ses performances n’auront pas été suffisantes, sans grande surprise. On le sait, l’acharnement ne mène à rien. Tous sont fautifs, pas uniquement un seul homme. Le joueur qui, depuis 2013, coule lentement mais sûrement sans pour autant être abandonné par un Jogi Löw qui l’apprécie beaucoup trop, n’est pas la source du problème. Loin de là. Hélas, il va de nouveau se transformer en bouc émissaire, aussi bien pour de nombreux supporters, observateurs et autres que pour certains politiciens de l’extrême-droite allemande qui va faire de cet écroulement une mine d’or. Eux qui s’était déjà servis de la photo de l’international avec R.T. Erdogan pour évoquer un supposé désamour du joueur envers le pays qu’il représente. Le coup de grâce aux yeux de ses détracteurs pour celui qui, déjà, ne chante pas l’hymne national. Symbole ou non de cette déroute, rien ne peut justifier un tel acharnement, bien qu’il soit une victime facile du fait de son manque de répondant. Comme en témoigne la prise à parti de certains supporters à la fin du match, au moment où le joueur rentrait aux vestiaires.
La non-présence de Leroy Sané n’est pas non plus l’argument à brandir. Il est difficile d’imaginer comment le joueur de Manchester City aurait changé les choses. Il n’allait probablement pas plus jouer que l’ailier du Bayer Leverkusen. Ses performances d’avant-compétition n’ont pas convaincu le sélectionneur – entre autres. Il n’y a donc pas de débat à avoir. Le jeune talent allemand a perdu sa place à la régulière cette fois, mais il semble logique qu’il aura un rôle dans le futur, encore plus après ce qu’il vient de se produire et l’envie de voir du sang neuf.
Les prochains jours en Allemagne ne vont, de toute manière, pas être de tout repos. Si certains joueurs risquent de prendre leur retraite rapidement, notamment du côté des champions du monde de 2014. La question de l’avenir du sélectionneur risque aussi de se poser. Présent depuis 12 ans à la tête de la Mannschaft, J. Löw peut potentiellement avoir peur pour sa place. Pourtant avec aucun candidat disponible pour prendre le poste et Reinhard Grindel, le président de la DFB, qui ne l’a pas remis en cause, même avant la dernière rencontre, ce scenario reste compliqué à imaginer.
La Mannschaft va rentrer sur le territoire allemand la tête basse, et si il n’est pas nécessaire de tout reconstruire, il faudra réflechir. Ce qui sera sans doute fait quand on connaît la réactivité du pays. Cet échec cuisant du champion du monde en titre qui laissait d’ailleurs indifférent de nombreux locaux, est, paradoxalement, une bonne manière de réagir, de sortir de la torpeur et du confort dans lequel s’était installé ce groupe. Repartir sur de nouvelles bases et apporter un vent de fraicheur sera nécessaire avec une nouvelle compétition qui arrive dans deux petites années. Et si cela se fait encore sous la houlette de Joachim Löw, le pragmatisme sera de mise.
En attendant, le pays va se lamenter sur son sort, flageller certains joueurs, chercher un coupable avant de se remettre au travail. Pendant que d’autres vont avoir une certaine « Schadenfreude » (NDLR : joie malsaine, terme qui n’a pas de traduction exacte) qui va surgir, pour leur plus grand bonheur. À côté de cela, beaucoup vont s’amuser de la situation de cette Allemagne qui n’avait plus cédé depuis si longtemps. Cette sélection n’avait jamais connu moins qu’une demi-finale depuis que Löw l’avait prise en mains. Plus globalement, la dernière fois que la Mannaschaft n’était pas pas sortie de son groupe, personne ne s’en souvient (1938). Ou personne n’est encore là pour en parler. Preuve du séisme, dont l’épicentre aura été le Mexique, que représente cet événement.
Une chose est sûre, l’Allemagne s’en remettra, et trouvera une réponse à cette défaillance. Elle trouvera une solution comme elle l’a fait au tournant des années 2000. La Mannschaft retrouvera cette notion qui l’a définie, celle d’une équipe unie et soudée. Pas celle d’un groupe dégageant plus d’arrogance et de suffisance que de force. En attendant, la remise en question sera de mise, la réflexion également, après ce brutal retour sur la terre ferme.
Crédit photo: SAEED KHAN / AFP