La nouvelle avait fait grand bruit : Steven Gerrard est officiellement devenu entraîneur en mai dernier, prenant la tête du fameux club écossais des Glasgow Rangers. Un pari audacieux pour une première expérience avec des professionnels. Mais jusqu’ici, la légende de Liverpool a bien relevé le défi.
Stevie G aurait pu rester toute sa carrière à Liverpool. Il aurait pu arrêter de jouer un 17 mai 2015, après dix-sept ans au bord de la Mersey, le jour de ses adieux à Anfield. Il a préféré s’offrir une dernière pige aux Los Angeles Galaxy. Après avoir définitivement raccroché les crampons, Gerrard est revenu chez lui, coacher les jeunes du club, et là encore, il aurait pu y rester très longtemps.
Seulement, Gerrard aime le défi. Après une seule petite année de coaching, le Red est de nouveau parti pour coacher les Rangers. Le choix a surpris. Confier les clés d’une telle institution à un coach qui n’a jamais entraîné au niveau professionnel n’est, a priori, pas rassurant. Les Gers sont historiquement le meilleur club écossais, avec cinquante-quatre championnats, titrés au niveau européen en 1972. Mais depuis la liquidation du club et sa descente en quatrième division en 2012, les Rangers sont repoussés dans l’ombre de son rival historique, le Celtic qui enchaîne les titres, brille sur la scène européenne et n’a perdu aucun des quinze derniers Old Firm, le derby de la ville de Glasgow.
Et la reconstruction des Rangers depuis leur remontée en 2016 n’a pas été glorieuse, avec pêle-mêle, une élimination surprise contre des amateurs luxembourgeois au premier tour qualificatif d’Europa League, trois coachs (Mark Warburton, Pedro Caixinha et Graeme Murty) en dix-huit mois, virés au terme de longs feuilletons (judiciaires ou sportifs), et certainement le pire : deux cinglantes défaites contre le Celtic (0-4 en Coupe et 0-5 en championnat). La colère des supporters de l’Ibrox Stadium, qui attendent un trophée depuis 2011, était alors palpable. Mais la nomination de Steven Gerrard a apaisé la situation. Ils étaient 40.000 au stade pour l’accueillir, lors d’un simple amical contre Bury (6-0).
Un départ sur les chapeaux de roues
Les quelques doutes sur le coach anglais ont rapidement disparu car Gerrard était prêt à plonger dans le grand bain. Il avait déjà repoussé l’échéance, après avoir refusé le poste à MK Dons (Football League One) en novembre 2016, préférant se former à Liverpool. « Je ne m’attendais pas à cette offre des Rangers », expliquait Gerrard en novembre au Guardian. Est-ce que c’est arrivé un peu tôt ? Sans doute. (…) J’ai donc dû réfléchir. Quels sont mes points forts ? Qui peut m’aider dans les domaines où je manque d’expérience ? » L’ancien international anglais est donc venu en Ecosse avec des membres de son staff à Liverpool : Tom Culshaw, son adjoint et Jordan Milsom, son préparateur physique.
L’adaptation de Gerrard en Ecosse a également été rendue plus facile par le contexte du club. « Les Rangers ressemblent à Liverpool sur de nombreux points. La ville, l’amour des gens pour le club et la pression sont les mêmes. » Et pour renforcer son équipe, le nouveau coach a recruté cet été des joueurs qu’il connaît, venus de… Liverpool, bien sûr : Jon Flanagan (libre), Ovie Ejaria et Ryan Kent (en prêts).
Dès le départ, le mariage entre les Rangers et Gerrard a fonctionné. Pour commencer la saison, Gerrard a ramené l’Europe à l’Ibrox Stadium, huit ans après, avec une qualification en Europa League sur le fil contre Oufa, à neuf contre onze en Russie. Le manque de discipline, une caractéristique du coaching Gerrard jusqu’ici, avec huit cartons rouges en trente-et-une rencontres. Mais cela n’a pas empêché les Rangers de débuter la saison sur une longue série de douze matchs sans défaite toutes compétitions confondues jusqu’au premier Old Firm du nouveau coach, perdu 1-0 au Celtic Park. Un résultat d’autant plus amer pour Gerrard que pour l’entraîneur du Celtic, Brendan Rodgers, qui n’est autre que l’homme à l’origine de son départ de Liverpool.
Si ce jour-là, le Celtic a dominé, l’écart de niveau était moindre comparé aux derniers derbys. Car résumer Gerrard à un entraîneur « physique » serait réducteur. L’ancien joueur des Reds a construit une attaque flamboyante, la meilleure du championnat avec 38 buts inscrits en 16 matchs, avec notamment un carton 7-1 à domicile contre Motherwell. Le jeune Colombien Alfredo Morelos, 22 ans, est le meilleur buteur d’Ecosse, avec 9 buts en championnat.
Gerrard apprend de ses erreurs
Inspiré par Jurgen Klopp (avec qui il communique régulièrement), Gerrard vit lui aussi le football de manière intense. « C’est vraiment un métier sérieux, parce que beaucoup de vies sont affectées par ce qu’il se passe sur le terrain. Je suis sérieux parce que ça me préoccupe. » La légende anglaise prône l’honnêteté comme style de coaching. « Je veux toujours être moi-même, honnête et authentique. Je ne suis pas un bon acteur, je suis la personne que je suis. Si ça ne marche pas dans le coaching, je préfère échouer en étant moi-même. »
Ce franc-parler lui a déjà joué des tours, notamment dans la communication avec les médias. Après une défaite contre Aberdeen en demi-finale de la Coupe de la ligue écossaise, le coach se plaignait de son effectif et espérait des recrues : un petit couac auquel il a dû rapidement répondre. « C’était un moment improvisé, expliquait-il, deux semaines plus tard. Je n’écris pas en avance mes conférences de presses. »
Quelques semaines plus tard, le discours n’était plus le même. Les Rangers n’avaient plus besoin de « gros changements » mais seulement de « quelques ajustements ». Gerrard a appris de ses erreurs. « J’ai dû apprendre comment gérer mes joueurs en tant qu’individus et pas seulement comme une équipe. Si vous faites bien les choses, tout ira bien pour l’équipe. Les joueurs m’ont tout donné. Même les matchs que nous avons perdu, ils ont tout donné pour le club. »
L’espoir fou de battre le Celtic
Voilà certainement la force de Gerrard : avoir réussi à fédérer autour de son aura un effectif largement remanié cet été. Car à la mi-saison, le bilan est plutôt positif. En Europa League, les Rangers ont longtemps lutté pour la qualification en seizièmes de finale dans un groupe compliqué (Villarreal, Spartak Moscou et Rapid Vienne). Mais la défaite contre Vienne à la dernière journée (1-0 en Autriche) a condamné les espoirs écossais, stimulés par les belles performances à Villarreal (un nul 2-2 sauvé par un Allan McGregor des grands jours dans les cages) et à Moscou (une défaite 4-3 après avoir mené 2-3).
En championnat, l’histoire est encore plus belle. Après leur victoire ce dimanche contre Hamilton (1-0), les Gers sont en tête du championnat au goal average, et un point devant le Celtic, seulement troisième mais avec un match de retard. À mi-course, les hommes de Brendan Rodgers ont déjà perdu trois fois – seulement une fois de moins que la saison dernière. Bien qu’encore imparfaits, les Rangers peuvent prétendre au titre et se rêvent retrouver les sommets avec leur coach…
Mais l’histoire semble écrite ; un jour ou l’autre, Stevie G reviendra chez lui. « C’est une question stupide de me demander si un jour je veux être l’entraîneur de Liverpool. Je pense que tout le monde sur cette planète connaît la réponse. (…) Mais aujourd’hui j’ai deux équipes dans mon cœur. Les Rangers et Liverpool. » De la pure langue de bois ? Peut-être, demandez-lui si il est capable de porter le maillot des Rangers. « Je n’ai pas à le porter, non ? », rigole-t-il. Le cœur à jamais Red.
(Toutes les citations sont tirées du Guardian ou de conférences de presse)
Crédit photo : Andy Buchanan / AFP.