À l’occasion d’une exposition, l’Institut du monde arabe s’attarde sur la relation entre pays arabes et football. Retour sur cet évènement et sur ce pan de l’histoire du sport roi.
Lundi 8 avril, 9h30 du matin. L’équipe d’Ultimo Diez est présente, les cernes creusées par la Ligue 1 Conforama de la veille, le ventre encore gargouillant de faim et le teint pâli par le froid parisien. L’Institut du monde arabe nous ouvre ses portes et sait se montrer accueillant : jus d’orange et croissants, en entrée, et deux expositions en plat principal.
La première, située en bas, est consacrée à la Fédération Française de Football. Elle retrace l’histoire de l’Équipe de France depuis 1919 et est ouverte au public du 10 avril au 26 mai. Des petites pépites (le Ballon d’or de Raymond Kopa, à titre d’exemple) vous y attendent.
La seconde, située en haut et étalée sur plusieurs pièces, est consacrée aux liens forts que le monde arabe a noué avec le football. De Tanger à Baghdad, d’Alger au Caire, elle retrace la formidable histoire d’une civilisation entière avec ce sport si particulier, vecteur d’émotions intenses, de cohésion sociale inouïe, de rêves et de songes par milliers. L’exposition, d’une grande qualité, est ainsi découpée en différents secteurs.
Le monde arabe, producteur de talents et de grands moments
“Si je suis le roi du football, alors il en est le Dieu”. De tels propos, prononcés par un homme considéré comme vantard par beaucoup, ne manquent pas d’interpeller. C’est pourtant bien Pelé, le grand Pelé, qui décrit ainsi l’oublié Larbi Ben Mbarek, probablement le plus grand joueur de tous les pays arabo-maghrébins et de tous les temps.
Le Marocain, né sous le protectorat français de 1917, a ainsi mérité son titre de perle noire. Homme de caractère (sous l’Italie fasciste de 1938, il entonna une Marseillaise d’une si grande sincérité qu’il fut immédiatement adopté par le public français), talent exceptionnel (les supporters de l’Olympique de Marseille qui ont eu la chance de le voir en action décrivent un joueur unique, d’une élégance rare), il a été injustement effacé des mémoires (il finit sa vie seul, oublié de tous et ruiné). Le parallèle avec Sugar Ray Robinson, considéré par Mohammed Ali lui-même comme le plus grand talent de l’histoire de la boxe, est évident tant les deux hommes se ressemblent.
La plus grande équipe arabe, quant à elle, est sans conteste l’Égypte. Fortement mis en avant par l’exposition, les Pharaons cumulent les records. Première sélection africaine de l’histoire à jouer une Coupe du monde, en 1934, ils sont surtout détenteurs de 7 Coupes d’Afrique des nations dont 3 d’affilée. Là aussi, les grands joueurs sont légion et Ahmed Hassan, Hossam Hassan ou l’actuel et fabuleux Mohamed Salah n’ont pas manqué de faire vibrer le Stade Bordj El-Arab. Essam El Hadari, gardien né en 1973 et devenu en 2018 le plus vieux joueur à disputer un match de Coupe du monde, fait l’objet d’une attention particulière au sein de l’exposition.
Le football, formidable vecteur politique et de cohésion sociale
La seconde partie de l’exposition, quant à elle, fait honneur au rôle joué par le football dans la société. Le premier d’entre eux est, évidemment, politique.
À ce titre, c’est le cas de l’Équipe du Front de Libération Nationale qui est particulièrement développé dans l’exposition. L’épopée de ces Algériens, qui ont tout abandonné pour la cause indépendantiste de leur pays, est relatée à travers vidéos, photographies et biographies.
C’est notamment l’histoire de de Rachid Mekhloufi qui est mise en avant. Gloire de l’AS Saint-Étienne, idole de Jean-Michel Larqué, il a délaissé sa gloire pour jouer au sein de l’Équipe du FLN, alors interdite par la FIFA. Aux côtés de Brahimi, Zitouni ou Ben Tifour, il affronta de nombreuses sélections et devint ainsi international algérien après avoir été international français. Il revint à Saint-Étienne en 1963 et, fait étonnant dans la conjoncture politique d’alors, il redevint immédiatement la gloire de Geoffroy Guichard.
Le second facteur avancé par l’exposition est celui de la cohésion sociale. L’exposition relève notamment à quel point le football est populaire dans la majorité des pays arabes. Ainsi, le mouvement Ultra est particulièrement mis en avant, que ce soit en Palestine, en Egypte, au Maroc, en Tunisie ou en Algérie. Les fans palestiniens se voient ainsi immortalisés dans une galerie entourée de grillages et sur laquelle sont accrochées écharpes et photos. Le rôle joué par les ultras tunisiens et égyptiens dans les printemps arabes est évidemment au cœur de l’exposition qui ne manque pas de rappeler celui joué par les ultras algériens dans les évènements actuels.
Le cas des Coupes du monde et de leur engouement est lui aussi souligné. Le formidable élan populaire suscité par le football en Libye, en Syrie, en Egypte ou au Maghreb, le patriotisme qu’il génère et les élans d’amour pour de nombreux joueurs (Salah, Mahrez, Msekni, Ziyech…) ne manquent pas d’être particulièrement bien intégrés à l’exposition.
Le football, créateur de solidarités et d’intégration
Le football féminin n’est pas en reste et le cas des Jordaniennes est aussi promu. Si la nation jordanienne ne brille pas par ses exploits sur la scène internationale, elle produit néanmoins des joueuses investies, respectées par leurs compatriotes et en constants progrès. Ainsi, l’Équipe féminine jordanienne est 54ème au classement FIFA féminin. Il s’agit, par ailleurs, de la meilleure position parmi tous les pays arabes. Leur maillot, leurs photos, un trophée et une explication sont proposés aux visiteurs.
Enfin, dernier point d’une liste non exhaustive des apports du football dans le monde arabe que consacre l’exposition, le vecteur d’intégration. Les liens entre France et monde arabe sont ainsi soulignés mais pas uniquement. Zinédine Zidane, franco-algérien et aux parents kabyle, se voit, évidemment, mis à l’honneur par l’IMA mais il n’est, de nouveau, pas le seul. Les joueurs dits “immigrés” qui ont représenté ou représentent encore leur pays d’origine sont légion. La CAN de 1990, exposée par l’IMA, a été remportée par l’Algérie. C’est un but de Chérif Oudjani, qui est né et vit dans le nord de la France, qui a apporté le titre aux Algériens. Stanislas Frenkiel, qui a participé à l’exposition, a ainsi pu relever les remarques acerbes qu’avait subi Oudjani telles que “si c’était quelqu’un de chez nous qui avait marqué, ça aurait été mieux”.
Ainsi, le football, premier véritable sport mondial, qu’il soit pratiqué sur terre, dans la boue, sur herbe, sur béton, avec un ballon, un sachet de lait, une canette ou une pelote de sable, se voit récompensé par une très belle exposition de l’Institut du monde arabe. Ouverte au public depuis le 10 avril et jusqu’au 21 juillet 2019, elle ne manquera pas de faire rêver les plus jeunes, de fasciner les néophytes, de renforcer la culture des experts du pied ballon et de faire revivre, enfin et l’espace d’une visite, les plus beaux moments de leur vie aux plus âgés d’entre nous.
Photo credits : SERGE ATTAL / ONLY FRANCE