Mercredi 19 juin 2019, une info fait la Une de la presse portugaise (pas que sportive d’ailleurs) : les 1 000 millions, soit un milliard pour faire simple. 1 000 millions d’euros en ventes de joueurs par le SL Benfica depuis 2003, 1 000 millions de ventes de joueurs dans lesquelles Jorge Mendes est impliqué depuis 2004. L’élément déclencheur à cela : la vente de João Félix à l’Atlético Madrid pour la bagatelle de 120 millions d’euros, le montant de sa clause libératoire. Mais il n’est évidemment pas le seul puisque les départs de joueurs pour un montant élevé voire très élevé est devenu la règle ces dernières années au Portugal.
Une structure économique des clubs basée sur la recherche constante de bénéfices
Certaines équipes portugaises professionnelles ont le statut de Sociedades Anónimas Deportivas (SAD) (littéralement, Sociétés Anonymes Sportives). N’étant pas des experts des statuts juridiques des entreprises lusitaniennes, inutile de s’étendre davantage sur les complexités que comporte ce statut. Une seule chose est bonne à savoir : les clubs portugais pouvant être côtés en bourse, ils disposent d’actionnaires qui forment un conseil d’administration (CA) et qui reçoivent des dividendes équivalents à leur investissement chaque année. CA qui décide des grandes orientations du club et surtout de la répartition des bénéfices, et donc de la redistribution des dividendes. N’étant pas des enfants de chœur, il est peu difficile de comprendre qu’il est dans leur intérêt d’obtenir le plus de dividendes possibles en vue de s’enrichir au maximum.
Comment alors s’enrichir au maximum, c’est-à-dire générer le plus de dividendes possibles ? Par le profit. Et comment faire du profit dans le football ? Principalement par l’argent perçu des compétitions sportives, celui reçu des droits TV et celui des bénéfices issus des transferts (puisque la billetterie, le sponsoring… sont principalement là pour compenser les coûts divers et variés). Les droits TV étant très peu élevés au Portugal, l’objectif est dès lors de se tourner vers un système bicéphale : des gains générés par des performances en compétitions européennes et des ventes de joueurs. Effectivement, les clubs portugais atteignent quasiment en permanence les huitièmes voire les quarts de finale de Ligue des champions et de Ligue Europa. Mais jamais plus ? Et pourquoi cela ? Parce que la deuxième tête de ce processus repose sur les ventes de joueurs. Vente de joueurs qui, la dialectique commence à être comprise, ne permettent pas à ces clubs d’aller plus loin à échelle européenne.
La Liga Nos : l’éternel tremplin ?
C’est pour cette raison que tous les joueurs ou presque à fort potentiel en provenance d’Amérique latine font un tour au Portugal, avant de s’engager dans les plus grands clubs européens. Ils savent qu’ils ne sont pas là pour s’inscrire dans un projet à long terme mais seulement pour s’acclimater au football européen et s’initier aux coupes d’Europe. L’on prend ici le cas des Sud-Américains, mais c’est en réalité la même chose pour tous les joueurs qui évoluent dans les clubs de Liga Nos et en particulier le top 4 (Benfica, Porto, Sporting, Braga). Le FC Porto risque d’ailleurs d’en faire les frais durant ce mercato d’été avec les départs de Felipe, d’Herrera, de Brahimi, de Marega, peut-être d’Alex Telles…
Cette situation n’est évidemment pas nouvelle puisqu’elle remonte à une dizaine d’années, alors que la tierce-propriété sur les joueurs (TPO) permettait à des personnes morales (des agents ou des entreprises d’agents) de détenir des droits directement sur les joueurs. En effet, cela causait une véritable spéculation sur les joueurs qui allaient de club en club pour contenter les sociétés de leurs agents. Aujourd’hui, la TPO est interdite mais un nouveau mécanisme l’a remplacée : les commissions sur transferts. Elles ont permis, par exemple, à l’ami Mino Raiola de récupérer 20 millions d’euros lors du transfert de Paul Pogba de la Juve vers Manchester United. Et lorsque c’est Jorge Mendes qui contrôle la ne-zo, inutile de préciser que les commissions vont bon train…
Le problème de la stagnation, voire de la décroissance du championnat portugais n’est donc pas conjoncturel. Il est structurel, systémique puisqu’il repose sur le statut qu’ont les clubs de la partie ouest de la péninsule ibérique. Mais comment sortir de ce cercle vicieux qui condamne presque tragiquement le Portugal à jouer les second rôles ad vitam eternam sur la scène européenne ?
Sortir du marasme de la course aux profits pour grandir
Il y a un paradoxe criant au Portugal : le système de socios est en place et se veut extrêmement ancré puisque les présidents sont élus suite à un vote auquel ces derniers participent. Néanmoins, une fois le président élu, souvent sur des promesses qui tournent autour du fait de redonner au club se grandeur d’antan (argument qui, il faut bien le concéder, ne fonctionne finalement que pour Porto et Benfica 🤓), il se retrouve à la botte du CA, comme cela a été évoqué précédemment. Ainsi, le système de socios n’est en réalité qu’une façade démocratique à un mécanisme de décision largement contrôlé par les sphère financières, mêlant même parfois le politique et les grandes entreprises boursières comme l’a montré le cas dit du « Galpgate ». Cette affaire de prétendue corruption concerne deux ex-secrétaires d’Etat ainsi que le directeur de Galp (l’équivalent de l’entreprise Total au Portugal) qui seraient allés voir des matches de l’Euro 2016 tous frais payés suite à de sombres histoires impliquant les CA du SL Benfica et du FC Porto.
Encore une fois de manière paradoxale, le problème semble plus profond au Portugal que dans d’autres pays où les socios n’existent pas. Mais ce n’est pas pour cela que la résolution de ce problème sera difficile, bien au contraire. Ce système étant déjà effectivement en place, la solution, bien qu’elle puisse paraître naïve, serait donc de mettre fin au principe des SAD pour les clubs de foot en vue de le remplacer, non pas par quelque chose de nouveau, mais bien par ce qui existe déjà : donner plus de pouvoir aux socios. La mise en place de ce procédé étant la chose la plus complexe à faire, son approfondissement ne serait qu’un jeu d’enfant. L’on pourrait également sortir de ce système pour revenir à une gestion « à la française » mais il semble difficile de dire aux supporters qu’ils n’auront plus leur mot à dire concernant la gestion de leur club. D’autant que le moment de l’élection du président du club est assez sacralisé au Portugal. Lors du scrutin en vue d’élire le président du Sporting l’année prochaine, toutes les chaines d’information en continu effectuaient par exemple une édition spéciale à ce sujet.
Crédit photo : MIGUEL RIOPA / AFP