Impossible de passer à côté du phénomène des CAN de quartiers. En effet, depuis quelques semaines fleurissent ces répliques de la Coupe d’Afrique des Nations. Elles permettent à des équipes de s’affronter sous le format d’un tournoi continental représentatif de la diversité de chaque communauté. Les sélections africaines, composées pour l’essentiel de joueurs amateurs issus de la diaspora, s’affrontent sous le format d’une phase de groupe suivie de rencontres à élimination directe. L’engouement dépasse d’ailleurs les limites du terrain. Suivis au minimum par une centaine de personnes, les temps-forts sont généralement retransmis sur les réseaux sociaux. On a ainsi pu apprécier les prouesses techniques d’un joueur à Créteil passant en revue la défense adverse ou encore la liesse des supporters à chaque but inscrit entre fumigènes et envahissements de terrain.
Alors que l’on aurait pu penser que ces événements cristalliseraient des tensions, il n’en est rien. Ils ont permis à des communautés de se rassembler autour d’une passion commune : le football. S’il reste aujourd’hui le sport le plus populaire, le football n’en est pas moins un facteur de cohésion sociale. Ces derniers mois, les banlieues ont davantage fait les gros titres au sujet de rixes mortelles entre bandes rivales que pour l’organisation d’événements populaires. Ces faits demeurent isolés et n’ont probablement aucun lien avec les CAN de quartiers. Mais, à sa manière, le ballon rond permet d’exposer une autre réalité de la banlieue. Ces notions de partage, de convivialité et de respect constituent un socle commun, une passerelle entre football et cités. Qui de mieux que les acteurs eux-mêmes pour en parler ?
UltimoDiez est allé à la rencontre de Saïdou Dia, éducateur au FC Mantois depuis 17 ans et organisateur de la CAN de Mantes la Jolie (CAN 78200).
Naissance du projet
Au départ, je n’ai pas forcément eu écho de la CAN organisée à Evry, c’est plutôt celle de Mantes la Ville qui m’a interpellé. Elle a été moins médiatisée mais tout est parti de là : l’idée de rassembler du monde. Mon rôle d’éducateur au FC Mantois m’a permis d’en discuter avec un groupe de personnes issues de la même génération (nées entre 1988 et 1991). Au départ, cela devait se limiter aux quartiers de Mantes la Jolie. Il y a eu quelques réticences lorsque l’on a évoqué l’idée de rassembler au delà de Mantes. Cela a créé un blocage au sein de ce noyau. Certains se sont retirés et d’autres sont restés. Malgré ces premières difficultés, j’ai décidé de lancer le tournoi en 10 jours. Tout est allé très vite, mon choix s’est fait le 15 mai : il fallait que tout soit prêt pour le weekend du 25 mai. Avec l’appui de certains professionnels nous avons pu donner une plus grande ampleur à ce projet. Senou Coulibaly (Dijon FCO, Ligue 1) est venu effectuer le coup d’envoi de l’une des rencontres. Autre exemple, Kalidou Koulibaly (Napoli, Serie A) nous a envoyé des messages d’encouragement tout comme d’autres internationaux congolais et sénégalais en vue de la finale RD Congo – Sénégal (qui a eu lieu le dimanche 16 juin).
Contrairement à la CAN d’Evry (Niska a pu jouer sur sa notoriété), tout est parti de la base. Nous n’avions pas de structure et donc pas d’assurance. C’est à ce moment que le soutien de l’IFEP (ndlr, Insertion Formation Education Prévention), organisme social implanté à Mantes la Jolie, s’est avéré être décisif. Maxime Pereira, chef de service de l’IFEP a fourni un travail colossal au sein d’un comité d’organisation composé de 7 membres. Cela nous a permis de bénéficier des infrastructures du stade Jean Paul David. Mohamed Camara, Saidou Fall et d’autres ont fourni un gros travail au niveau de la communication. Nous n’oublions pas le travail des coachs.
Sans toutes ces personnes, j’en oublie probablement, ce tournoi n’aurait pas connu un tel succès.
Les joueurs participants viennent d’un peu partout, de Normandie et de région parisienne notamment. Il y avait une réelle volonté d’ouverture. Une sélection turque a été invitée par exemple. Il y avait 16 sélections réparties en quatre groupes (15 pays africains + Turquie). Nous recherchons des sponsors afin d’optimiser l’organisation d’autres tournois à l’avenir.
La relation du projet avec les autorités locales
La Mairie s’y est opposée dans un premier temps. Elle a qualifié cela de « tournoi sauvage ». Il y avait cependant un tel engouement qu’ils ont été contraints de nous apporter un soutien. Finalement, les deux parties ont avancé ensemble même s’il n’y a pas eu de réel soutien financier.
Quid de la perception du Mantois ?
C’est une fête populaire, des familles avec 3 générations représentées se sont déplacées au stade, exprimant avec fierté leur soutien. Je tiens d’ailleurs à féliciter encore une fois les joueurs et l’organisation car sans eux, cela n’aurait jamais pu se réaliser. C’est une source de motivation, les habitants méritent cela. Etant d’origine africaine, je me reconnais dans cette communauté du Mantois, multiculturelle. C’est avec une certaine liberté que nous exprimons notre joie, le football est un vecteur permettant cela. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli pour cette ville et les alentours.
Le succès des Bleus lors la Coupe du monde 2018 a pu mettre en valeur la diversité issue de la banlieue. Nous avons besoin d’un cadre mais également de liberté pour nous exprimer pleinement. C’est encourageant pour l’éducateur que je suis. Ce qui fait le charme de notre tournoi c’est à la fois le cadre posé mais également la liberté laissée dans l’expression des célébrations. Nous voulions envoyer une image positive.
La gestion de la liesse populaire et des envahissements de terrain
On a mis en place une équipe dédiée à la sécurité. Tous les quartiers du Val Fourré (ndlr, quartier de Mantes la Jolie) ont été impliqués. Ils ont contribué de près ou de loin à l’organisation de cet événement. Ils sont bénévoles et ont tous œuvré pour la bonne tenue de l’événement. Au fil du temps, les supporters ont dû être sensibilisés sur la nécessité de permettre au jeu d’avoir une certaine continuité. Les envahissements de terrain peuvent avoir un côté frustrant pour l’équipe concédant un but. Les arbitres ont également eu un rôle prépondérant. Il y a eu quelques cartons jaunes mais aucun rouge. Globalement, ce fut une belle fête. Des communautés se sont rapprochées, elles ont pu renouer le dialogue.
Quel bilan ?
C’est une réussite, mais le plus dur est à venir. Notre objectif est la constitution d’une association afin de s’inscrire sur la durée. La sécurité doit être améliorée par exemple.
Sportivement, certains joueurs ont pu être repérés par les représentants du FC Mantois (N2). C’est un bon début. A terme, nous aimerions organiser un tournoi européen sur le modèle de l’Euro 2020. On va avoir besoin de soutien. Nous devrons nous asseoir autour d’une table avec les élus locaux afin de construire un projet solide.
A l’heure actuelle, les rivalités entre certaines villes de banlieues ne permettent pas d’organiser un tournoi impliquant plusieurs sites en simultané. Le football reste limité face à certains contextes locaux. Mais nous sommes déjà fiers de ce que nous avons accompli. Le football est une fête !
@KevKalombo
Crédits photo : Le Parisien/Guillaume Georges