Le mercato d’été est ouvert, et c’est l’heure du grand ménage à l’Olympique de Marseille. Florian Thauvin, une des plus fortes valeurs marchandes de l’effectif, fait partie des joueurs régulièrement annoncés sur le départ. Fin de l’aventure ou non, son idylle avec le club phocéen aura été marquée par un profond paradoxe : Flotov est jugé très performant contre la plupart des équipes de Ligue 1, mais invisible dans les gros matches. Derrière ce constat largement répandu, quelle est la réalité des statistiques ?
Un squale agressif contre Amiens et Angers, un petit poisson inoffensif contre Lyon et le PSG… Florian Thauvin invisible dans les gros matches, c’est une rengaine qui dure depuis plusieurs saisons désormais. Aujourd’hui, il semble même difficile de louer les qualités de l’ailier marseillais sans tout de suite émettre des réserves sur son apport face aux meilleures écuries du championnat. Thauvin était d’ailleurs monté sur ses grands chevaux en s’adressant aux journalistes, après une lourde défaite face à Paris (0-3), en février 2018 : « Je sais ce que vous allez dire: « il y a les gros matchs, il n’a pas marqué… » A un moment donné, il faut arrêter de raconter n’importe quoi », avait-il sèchement déclaré.
La déclaration de Thauvin date de l’année dernière, mais la situation n’a guère évolué depuis. Souvent annoncé sur le départ, Thauvin semble manquer de crédibilité pour prétendre évoluer dans un top club européen. Le constat est implacable : on lui reproche toujours de ne pas se montrer décisif quand la pente s’élève. Un bilan qui paraît tellement évident qu’on risquerait presque de ne plus le questionner. Alors, finalement, quelle est la réalité des statistiques ? Thauvin souffre-t-il réellement d’énormes lacunes face aux mastodontes du championnat, est-il un frein pour son équipe et comment se positionne-t-il par rapport aux joueurs de son profil en France ? Nous avons tenté d’apporter quelques éclaircissements, en nous focalisant sur les deux dernières saisons de Ligue 1.
Thauvin moins décisif contre les gros, c’est une évidence
Les critiques adressées à Thauvin ne naissent bien sûr pas du néant. Fort contre les faibles, faible contre les forts, l’adage semble lui coller à la peau tel un bout de sparadrap aux doigts du Capitaine Haddock. Ses statistiques lors des deux dernières saisons confirment cette impression :
Les chiffres sont sans équivoque : face aux équipes classées entre la sixième et la vingtième place, Thauvin est comme un poisson dans l’eau. En revanche, avec 4 buts et 4 passes décisives en 16 rencontres, il est environ deux fois moins décisif contre les gros prédateurs du championnat.
Le constat est encore plus terrible si on précise face à quels adversaires du top 5 Flotov est parvenu à surnager. L’ancien Bastais a inscrit 2 buts et délivré 3 passes décisives quand sa route a croisé Rennes puis Saint-Étienne, les « petits » du top 5 ces deux dernières saisons. Face au trois équipes de têtes (Paris, Lyon, Monaco puis Lille), son apport se limite donc à 2 buts et 1 passe décisive en 12 rencontres.
Face aux gros, l’OM n’y arrive pas non plus
Néanmoins, les faibles statistiques de Thauvin doivent être remises dans leur contexte. Il serait absurde d’incriminer l’international français sans examiner l’OM dans son ensemble. Après le revers de février 2018 au Parc des Princes, évoqué plus tôt, Thauvin avait ajouté : « Collectivement, on est tous passés à côté de notre match. Quand on n’est pas bons collectivement, il ne peut pas y avoir des individualités qui ressortent ».
Sur cet aspect, le match perdu à Paris n’était pas une exception. Le collectif phocéen dans son ensemble éprouve d’énormes difficultés lors des gros rendez-vous, en termes de résultats comme de buts marqués. Thauvin n’est pas le seul à passer au travers.
Cette statistique semble surréaliste : l’OM n’a pas gagné un seul match contre le top 3 final en deux saisons (pour seulement deux matches nuls). Pire : en 2018-2019, les Olympiens ont toujours perdu contre le PSG, le LOSC et l’OL. Seulement quatre autres équipes du championnat sont dans le même cas : Saint-Étienne, Nîmes, Amiens et Guingamp. Une situation dans laquelle il est forcément plus difficile pour les joueurs offensifs de s’exprimer, à commencer par Thauvin.
Au-delà des résultats en eux-mêmes, l’OM se montre globalement moins dangereux face au top 5 du championnat. Les Phocéens tiennent moins le ballon et frappent moins souvent au but, ce qui rend la tâche plus difficile pour les attaquants. Thauvin, dont le nombre de tirs par match est le plus élevé de l’effectif (3,1 en moyenne en 2018-2019), tente en effet moins sa chance et cadre moins lors des gros matches ; ce qui peut notamment s’expliquer par un plus faible nombre de ballons touchés.
Si on peut lui reprocher ses faibles statistiques face aux meilleures formations de l’élite, Thauvin n’en reste pas moins le meilleur joueur offensif de l’OM lors des deux dernières saisons. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait qui ne peut souffrir d’aucune contestation. Flotov est impliqué dans 57 buts depuis août 2017 en Ligue 1, c’est-à-dire 40,71 % des réalisations de son équipe. Il s’agit assez nettement du meilleur pourcentage, Dimitri Payet le suivant à 21,43 % (impliqué dans 30 buts).
On pourrait assez naturellement penser que l’implication de Flotov baisse contre le top 5. Mais ce n’est pas le cas. Si les statistiques « brutes » de l’ailier marseillais sont peu flamboyantes, elles restent élevées à l’échelle de l’OM.
Florian Thauvin est impliqué dans 44,44 % des buts inscrits par l’OM contre le top 5 depuis 2 ans (et même 57,14 % cette saison). Il s’agit du meilleur pourcentage de l’OM devant Dimitri Payet (27,78 %) et Valère Germain (22,22 %). Le raréfaction des buts marqués par l’OM contre ces équipes tend à rendre ces chiffres peu pertinents, mais ils montrent tout de même la centralisation des attentes autour du seul Florian Thauvin.
Le constat est relativement similaire face au top 3, mais les chiffres sont si faibles que toute analyse devient rapidement inopérante. Thauvin a inscrit 2 des 11 buts de l’OM face au podium de Ligue 1 lors des deux dernières saisons (en 12 matches), ce qui en fait le meilleur buteur olympien à égalité avec Germain. Embourbé dans la médiocrité offensive de sa formation, Flotov n’est jamais parvenu à tirer son équipe vers le haut.
Cette fois, Thauvin n’est pas le joueur le plus décisif de son équipe. Dimitri Payet est à la tête de ce classement totalement anecdotique – et presque risible – depuis août 2017 (impliqué dans 36,36 % des buts) et cette saison (50 %).
En 2018-2019, Thauvin n’a inscrit qu’un seul but contre le top 3 de Ligue 1 (contre Lyon en septembre 2018). Cela suffit à le rendre impliqué dans 25 % (!) des buts de l’OM face au podium final (4 buts inscrit par toute l’équipe en 6 matches…).
Où se situe Thauvin par rapport à d’autres joueurs de son profil ?
En se faisant l’avocat de Thauvin, on pourrait assez facilement expliquer qu’il est plus difficile d’être décisif contre les meilleures équipes du championnat. C’est pourquoi nous nous sommes demandés si d’autres joueurs de son profil éprouvaient les mêmes difficultés en Ligue 1. Nous avons donc choisi les exemples de deux ailiers droits très offensifs ayant terminé sur le podium en 2018-2019 : Nicolas Pépé (LOSC) et Bertrand Traoré (OL).
Sur l’ensemble de la saison écoulée, Thauvin se montre globalement à la hauteur de ces deux joueurs.
Il va sans dire que Nicolas Pépé a réalisé un exercice exceptionnel sous la tunique des Dogues. Ses statistiques sont supérieures à celle de Thauvin, mais ce dernier a toutefois joué moins longtemps (36,9 contre 29 matches). Au final, leurs ratios sont relativement similaires : le Marseillais a été décisif toutes les 109 minutes, le Lillois toutes les 101 minutes. Plus en retrait, Bertrand Traoré n’a été décisif que toutes les 235 minutes et n’était d’ailleurs pas un titulaire indiscutable dans l’équipe de Bruno Genesio.
Nous en venons au plus important : les performances face au top 5. Cette fois, Thauvin est clairement à la peine. Alors que les statistiques du Champion du monde s’effondrent, Pépé et même Traoré sont quant à eux galvanisés quand ils rencontrent les « gros » du championnat.
Les performances de Pépé et Traoré mettent un peu plus en lumière les difficultés de Thauvin dans les gros matches. Contrairement à l’ailier marseillais, ils se sont tous les deux montrés plus souvent décisifs contre le top 5 que contre le reste du championnat. Les statistiques de Nicolas Pépé frisent même l’indécence, puisque l’attaquant ivoirien a été impliqué dans un but toutes les 65 minutes (!) lorsque l’adversaire s’appelait Paris, Lyon, Saint-Étienne ou Marseille cette saison.
Pour Bertrand Traoré, la situation est différente. Tout comme Thauvin, ses statistiques ne sont pas très élevées, mais, ayant moins joué, l’attaquant lyonnais présente un ratio bien au-dessus de ses standards contre le top 5. La différence est même abyssale : buteur ou passeur toutes les 94 minutes contre les cinq premiers, mais seulement toutes les 328 minutes contre les autres équipes de l’élite. Ironie de l’histoire, Traoré a inscrit 2 buts et délivré 1 passe décisive (pour un total de 5 actions décisives contre le top 5) en un seul match face à… l’OM (4-2), en début de saison.
En outre, au contraire de Thauvin, Pépé et Traoré évoluent dans des équipes qui ne s’écroulent pas face à l’adversité.
Le contraste entre Pépé et Thauvin est d’ailleurs intéressant. Le Lillois est impliqué dans 57,89 % des buts de son équipe contre le top 5 cette saison, le Marseillais dans 57,14 %. Ce sont deux pourcentages très élevés, mais dont l’ampleur est complètement différente. Pépé a mené le LOSC vers la seconde marche du podium avec 8 buts et 3 passes décisives. Thauvin, certes bridé par une formation amorphe dans les gros rendez-vous, n’a lui fait qu’enchaîner les déconvenues.
Quel bilan ?
Ce tour d’horizon n’a pas vraiment servi la cause de Florian Thauvin. Il est possible de lui trouver des circonstances atténuantes, mais ses lacunes contre les meilleures formations de Ligue 1 restent criantes, sans blâmer le bon joueur qu’il demeure malgré tout. À ce jour, Flotov n’a pas la carrure d’un top player. Et ce ne sont pas ses performances en Ligue Europa et en Équipe de France – non abordées dans cet article – qui plaident davantage en sa faveur.
Faute de qualification en Coupe d’Europe avec l’OM, Thauvin semblait promis à un départ cet été. « Je ne pourrai pas repartir sur une autre saison sans jouer la Ligue des Champions », avait-il déclaré dans les colonnes de Onze Mondial en octobre. Sauf qu’aujourd’hui, cette hypothèse n’est plus si évidente, comme le montre son interview pour Téléfoot le 16 juin dernier : « Peut-être que le club voudra me vendre, peut-être que j’aurai envie de partir, je ne sais pas pour le moment. Mon objectif est d’aller le plus haut possible et tant que l’OM m’offrira ça, je resterai à Marseille », s’est-il un peu ravisé.
La problématique est de savoir si Thauvin peut vraiment espérer évoluer dans une équipe plus compétitive que l’OM la saison prochaine. Et « même [s’il] allait en Ligue des champions, [il] y ferait quoi ? », serait-on tenté d’ajouter, un peu taquin. Il est clair que si les performances de Thauvin connaissent un sérieux déficit face aux meilleures équipes, c’est au moins autant le cas de l’ensemble de l’équipe olympienne. Mais, à l’inverse, si Marseille a raté la C1 une fois encore cette saison, la responsabilité de l’ancien Bastiais n’est pas à nier non plus.
L’OM dans son ensemble cultive depuis trop longtemps une tendance à se satisfaire de peu, voire du médiocre. La faiblesse généralisée de la Ligue 1 donne toujours la vague impression que Marseille s’accroche, de plus ou moins loin, à la quête des premières places. Thauvin est trop souvent la béquille d’une équipe au dos courbé, et cette situation n’est profitable ni à l’OM ni à son attaquant. Il existe à Lille, par exemple, une symbiose entre Nicolas Pépé et son équipe qui peine à se manifester pour Thauvin en terres phocéennes. Faute de mieux, Flotov restera peut-être sur la Canebière la saison prochaine. Mais une chose est sûre : s’il veut retrouver la C1, à Marseille ou ailleurs, il devra muscler sa mâchoire. Et enfin montrer qu’il peut chasser autre chose que des sardines.
Sources :
– Statistiques de buts et passes décisives : LFP
– Temps de jeu, possession de balle, ballons touchés, tirs tentés : whoscored.com
Photo by CHRISTOPHE SIMON / AFP