Si on vous demande de citer un club lombard, il y a fort à parier que votre première pensée soit pour le Milan AC ou l’Inter. Cependant, la région la plus peuplée d’Italie compte une bonne poignée de clubs éclipsés par la géante milanaise d’un million et demi d’habitants. Parmi eux, reliques d’un football centenaire ou représentants des différents peuples d’un des pays dans le pays, qu’ils soient des montagnes, des plaines ou des rives du Pô. Aujourd’hui bienvenue à Brescia, territoire de la Lionne.
Historique ou Mythique ?
« Le retour en Serie A d’un club historique ». Cette phrase, sous différentes déclinaisons, s’est propagée dans une bonne partie de l’Italie et jusque chez les plus fervents suiveurs du Calcio au-delà des frontières de la botte à l’aube de l’été dernier. Le Brescia Calcio (ou Brescia FC, Brescia AC selon les époques) passera sa cent neuvième année d’existence dans l’élite italienne, auréolé du quatrième titre de champion de Serie B de son histoire. Et aussi étrange que cela puisse paraître pour un club dit « historique », il s’agit également du trophée le plus prestigieux que le club ait jamais remporté.
En vérité, La Lionne a passé au total moins de saisons en première division que la Juventus n’en a gagné, soit 36, et n’a jamais connu mieux qu’une huitième place finale dans la ligue unifiée. De plus, hormis un passage de quatre ans entre 2000 et 2004, elle n’a jamais su se maintenir suite à ses cinq montées en Serie A depuis 1980. Un bilan pareil ne permet absolument pas de regarder dans les yeux le Milan et l’Inter, et souffrirait même de la comparaison avec le rival historique du territoire voisin de Bergame, l’Atalanta.
Par ailleurs, les Rossoneri ont même en quelque sorte pris les Biancazzurri sous leur aile par l’intermédiaire d’un jumelage, qui apparaît comme un parrainage d’un parent pauvre, et qui génère depuis une certaine rivalité avec les Intéristes. Mais alors, d’où vient ce drôle de sentiment de compassion mêlé d’admiration et de nostalgie pour cette équipe ?
De par sa nature, c’est la ville de Brescia au-delà de son club de foot qui garde une image particulière aux yeux de bon nombre d’Italiens. À de nombreuses reprises et à toutes époques, elle aura été un lieu de pouvoir important du Nord du pays et conserve aujourd’hui certaines caractéristiques dues à ce rang.
Elle est en effet une place importante du système bancaire italien et abrite le troisième pôle industriel d’Italie, qui fait vivre, modernise et cohabite avec une cité dynamique mais ô combien ancienne, à la culture très riche de son vécu et des 10 000 habitants sur 200 000 issus d’une immigration plus récente. Une superbe plume témoignant de toute son histoire passée et présente, antique ou contemporaine, nichée dans le si particulier écrin Lombard, entre Alpes et fleuves sur les rives du lac de Garde. Un nœud dans le fil du temps. En somme, ce que l’Italie a fait et est encore capable de faire de mieux. Un peu de ce qu’elle a connu de pire aussi.
Le symbole de la Lionne, présent sur les armoiries de la ville et repris par le BSFC, est hérité de la période du Risorgimento au XIXe siècle, où Brescia fut la première à se soulever contre la domination de l’Empire austro-hongrois dans la région. Elle gagne alors le surnom de « Lionne d’Italie », qu’elle aura honorée par son activité incessante de résistance lors de la seconde guerre mondiale.
Sur de tout autres terrains, les Bresciani se sont construits une image faite pour marquer les esprits, celle d’un club reconnaissable entre mille.
Symboles d’une ville, d’un club et d’un football
Les Valeurs des Couleurs
Premièrement, et comme expliqué, le symbole de la lionne, très lourd de sens, a été utilisé comme composante majeure de l’écusson du club. Deuxièmement, le maillot. La Juventus, le Milan, l’Inter ont leurs rayures à leurs couleurs, le Napoli son éternel maillot bleu frappé d’un N majuscule, le Brescia Calcio a lui son scapulaire blanc sur bleu, tout aussi célèbre dans les stades italiens. Un motif censé représenter une hirondelle, autre emblème de liberté mais aussi de loyauté.
Vous l’avez compris, incorporer les valeurs attachées ou associées à la ville à l’identité même du club est une composante essentielle de sa popularité. Aussi, malgré des temps parfois difficiles, il s’agit d’un club qui, à l’image de sa ville encore une fois, a parfois trouvé des solutions rappelant certaines valeurs, et véhiculé une idée du football qui a contribué à la formation de plusieurs personnalités de ce sport, attiré des champions qui ont tous succombé à son charme et ainsi provoqué quelques évènements qui sont ou seront bientôt inscrits dans la légende du Calcio.
Les Valeurs de ses représentants
Parmi les plus illustres à avoir porté le maillot biancazzurro on trouve ainsi Marek Hamsík, lancé en pro ici avant de devenir une légende du Napoli ; le jeune Luca Toni, futur champion du monde ; Luigi di Biagio, international italien aujourd’hui sélectionneur des espoirs ; Daniele Bonera, qui ira remporter la C1 avec le Milan AC… parmi les passages marquants, retenons également celui de Gheorghe Hagi. Alors au Real Madrid, le « Maradona des Carpates » est convaincu par le président du Brescia de l’époque de rejoindre la colonie de Roumains qui compose son équipe. Il y effectuera deux saisons dont une en Serie B, préparant alors à l’ombre des regards son mondial 1994 stratosphérique.
Un certain Pep Guardiola est aussi passé par là. S’il a évidemment appris le football à l’école catalane et que son passage en Lombardie a surtout été synonyme d’une longue suspension et 30 petits matchs joués (suite à un test antidopage positif), l’actuel coach de Manchester City manque rarement une occasion de rappeler combien Brescia, son foot et sa ville, ont compté dans sa carrière et sa construction personnelle. Il lui arrive d’ailleurs parfois de rendre visite à l’équipe lorsque son agenda le permet.
Question philosophie du football local, elle est aujourd’hui incarnée par Roberto De Zerbi. Si vous n’êtes pas un grand adepte des matchs de Serie A du dimanche à 15h, peu de chances que vous reconnaissiez le tout jeune coach (40 ans) de l’US Sassuolo. Originaire de la Lionne dont il a un court temps porté le maillot en tant que joueur, il représente aujourd’hui l’une des promesses d’une révolution du foot italien dans le sillage de celle de la sélection de Roberto Mancini. Voir un petit du championnat capable d’aussi bien jouer au ballon avec pourtant peu d’individualités s’y prêtant ferait sans doute mal au crâne à bon nombre d’entraîneurs de Ligue 1. De l’aveu des amateurs de foot de Brescia, oui, c’est avec une certaine fierté que l’on voit depuis sa ville natale Roberto faire son chemin… Bientôt vers des bancs plus prestigieux. Prochainement suivi par un certain Andrea Pirlo ?
La plus belle histoire se trouve sans doute là. Champion d’Italie, de la Ligue des Champions, du monde, Andrea Pirlo est un pur produit du foot Bresciano. C’est en janvier 2001 que l’histoire prend un tournant. Andrea a volé de ses propres ailes mais se retrouve en situation d’échec à l’Inter. Six mois sans temps de jeu malgré une année de prêt réussie à la Reggina la saison précédente. Retour aux sources avec un prêt à Brescia, où est arrivé six mois plus tôt le Divin Codino, Roberto Baggio. Le double ballon d’or, convaincu par le Mister Carlo Mazzone d’effectuer un dernier galop chez le promu, avait l’espoir de décrocher une place pour un dernier mondial avec l’Italie. Le double coup de génie qui restera dans les annales.
Double ? Oui, car Mazzone est certain d’avoir devant lui une doublette de folie : Pirlo-Baggio. Et pour les faire coexister, il fait reculer Pirlo, alors milieu offensif, au poste de regista dont il deviendra la référence. Résultat, une huitième place record inattendue et un passage de témoin matérialisé par un but légendaire : Baggio, brassard au bras, égalise sur la pelouse de la Juventus à la 85e minute en mystifiant van der Sar sur une ouverture parfaite de Pirlo. À la fin de saison et fin de prêt oblige, Pirlo s’en va, relancé sur la route de la carrière qu’on lui connaît. Baggio, lui, achèvera son aventure ainsi que sa carrière en 2004 après 46 buts en 100 matchs sous le maillot au scapulaire. Loin des 85 du recordman Dario Hubner, mais suffisant pour que son numéro 10 soit retiré.
Ecrire… la suite
Aujourd’hui, une histoire à la portée tout autre et pourtant similaire va se jouer. Deux enfants du club devront reprendre le flambeau : Sandro Tonali, l’espoir, élève modèle auquel monts et merveilles sont promis dans le rôle du nouveau Pirlo ; et Mario Balotelli, qui a laissé le déjà lointain souvenir d’un gamin à la fois talentueux mais tristement solitaire, devenu l’enfant terrible du foot italien, revenu en quête de rédemption. Capable de raviver la flamme d’un pays et d’une sélection annoncée perdue en démolissant l’Allemagne en demi-finale de l’Euro, mais aussi de gâcher totalement son talent pourtant immense malgré toutes les mains tendues.
Autour d’eux se retrouveront les si géniaux en Serie B Torregrossa (12 buts 12 passes décisives), Donnarumma (25 buts), Bisoli ainsi que plusieurs recrues : L’expérimenté brésilien Romulo, l’espoir Florian Ayé, et deux bons vecteurs d’émotions : Le Tchèque Jaromir Zmrhal, auteur d’une Europa League de haute volée avec le Slavia Prague et le vétéran Alessandro Matri, capable d’offrir quelques moments de grâce comme la Juventus a su en profiter à une époque. Des profils tous étrangement… Brescians ?
À eux tous d’écrire la suite de cette formidable épopée de longue haleine, pour le meilleur, et…
Crédit photo : Danilo Di Giovanni / NurPhoto.