Depuis cet été et le transfert du Duc à la Juventus, Blaise Matuidi et Adrien Rabiot cohabitent à nouveau dans un même club, provoquant critiques injustifiées, idéalisation débordante ou plus simplement déchaînement de passions divers. Récit d’une opposition qui n’avait pas lieu d’être, d’une révolution à laquelle assiste l’Italie et dont la France ne veut vraisemblablement pas entendre parler.
La légende de l’irréprochable soldat
Arrivé en août 2017 contre 25M€ en provenance du PSG, Blaise Matuidi semble aujourd’hui avoir tout connu ou presque avec la Vieille Dame. Un condensé en deux ans et demi pour le meilleur, puis pour le pire. Après quelques semaines d’adaptation, le mariage avec le système de Massimiliano Allegri est une réussite. En termes de duels gagnés, d’espaces couverts et de courses vers l’avant, l’international français est au top. Sept gros mois de sa part aident la Juventus à rafler un énième scudetto ainsi que la Coppa. Côté Ligue des Champions, il marque même un but « dans son style peu académique », à l’arrache, au Bernabéu pour la presque-remontada sur le Real annihilée par un coup de sifflet litigieux.
Tout va bien pour le soldat Blaisou, qui atteint alors le sommet de sa carrière durant l’été 2018 et la Coupe du Monde avec les Bleus. Unanimement et sans conteste, « sans Matuidi c’était pas la même histoire ». Positionné dans le couloir gauche en lieu et place d’un véritable ailier pour faire parler son sens du combat, il est l’un des principaux symboles du sacre français, et revenir au bureau turinois avec une étoile brodée sur le cœur au sortir des vacances, c’est quelque chose qui se respecte de l’autre côté des Alpes quelles que soient les lacunes du joueur concerné. Mais la vérité, c’est aussi que tout ce qui monte finit par redescendre et que la chute libre du n°14 commence à cet instant.
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Non, il n’a pas fallu attendre un système exigeant techniquement pour que les difficultés apparaissent. A l’instar d’autres grands protagonistes du mondial Russe, le contrecoup semble faire son effet. Une saison traversée comme un fantôme, sans grandes courses énergiques, sans duels gagnés, sans grande rigueur défensive, seuls subsistent quelques matchs en guise de sursaut d’orgueil, ponctuellement. Dans un milieu où le nombre fait défaut et où les blessures se répètent, Matuidi reste titulaire. De notre côté des Alpes, bien que de lointains échos d’un exercice compliqué du bon Blaise tentent de retenir l’attention, constater qu’il reste titulaire lors de 30 rencontres de championnat et huit de Ligue des Champions, en 2018-19, suffit à se dire que tout va bien, d’autant que les médias transalpins ne rapportent rien d’alarmant. Pas touche au champion enfin, arrêtez de nous faire peur pour rien ! Tout le monde sait que Blaise joue avec ses qualités et sera toujours indispensable à un collectif !
Damné Duc
A l’origine du départ de la capitale française de Matuidi, il y avait bien sûr l’inexorable montée en puissance d’Adrien Rabiot dans le collectif parisien. Evidemment, tout a fini par partir en vrille, tôt dans la saison 2018-2019. Refusant de prolonger au PSG, le club le met au placard pour de nombreux et interminables mois. Entre cette non-signature synonyme de potentiel départ gratuit prise comme une trahison par les supporters, ses déclarations souvent maladroites ou inappropriées malgré leur extrême rareté, son allure nonchalante, son hygiène de vie pas toujours exemplaire et l’omniprésence de la célébrissime « maman Véro », le Duc devient la risée du foot français, fils à maman égoïste pourri-gâté qui n’aime pas jouer lorsqu’il fait froid et croit mériter mieux qu’une pitoyable place de réserviste à l’été 2018.
Didier Deschamps : " J'ai reçu le mail de Rabiot. Il s'est auto-exclu. Il n'y pas de place pour les états-d'âme. Il refuse son statut de réserviste, il refuse de suivre un programme et il refuse le fait d’être appelé comme suppléant. Il assume.
— Le Parisien – PSG (@le_Parisien_PSG) May 23, 2018
Tout ce que ses bonnes performances tendaient à pousser sous le tapis par le passé se retrouvent jetés à sa figure, tandis qu’il traîne son spleen sur les terrains d’entraînement de l’équipe réserve parisienne, chahuté entre problèmes d’ordre privé, ses négociations difficiles avec le Barça et la communication catastrophique de son agent de mère qui n’en finit plus de lui mettre l’opinion publique à dos en même temps que l’équipe de France et toute la FFF. Rabiot rallie finalement la Juventus l’été dernier sous les railleries et les jets de tomate, non sans continuer d’attiser une certaine curiosité. « C’est la Juventus quand même, vous pensez qu’ils se seraient faits avoir… ? Bon courage à eux avec Véro en tout cas ! ».
Miroir sans tain déformant
Juillet 2019 signe donc la nouvelle convergence des chemins des deux français qui se retrouvent dans le Piémont avec une surprise de taille : l’arrivée de Maurizio Sarri. A l’image de la sélection et de la Serie A, la Vieille Dame fait la révolution de son foot. Terminé ce qu’il restait du catenaccio, place au jeu court, la possession du ballon, une grande maîtrise technique et un pressing intense.
Même dans cette philosophie qui ne semble pas être faite pour Matuidi, on se dépêche en France de relayer les premières images : Blaise est toujours titulaire. Eh oui, on vous l’avait dit, il est indispensable au collectif ! Rabiot, lui, continue sa galère. Véronique fait des siennes dès l’arrivée sur le tarmac, entre quiproquos avec le photographe du club, ton plutôt familier avec le directeur sportif Fabio Paratici… et Adrien ne voit pas grand-chose d’autre que le banc alors que l’on sort de l’été. Pire, Sarri le déclare « en difficulté mentalement ». Nouveau coup de marteau sur le clou de son image en France.
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Le problème dans le foot, c’est qu’il y a des matchs, et au-delà, tout un contexte. Simplement, il était impossible d’attendre de Rabiot qu’il soit prêt physiquement et compétitif en deux mois, après plus de six à ne pas jouer du tout. La patience est de rigueur, mais cette vertu n’est connue ni d’une grande partie du public, vivant dans l’instant présent… ni de Rabiot lui-même ici. Le n°25 affiche motivation et détermination à l’entraînement, conscient d’une chose. C’est que cette deuxième chance italienne est sans doute déjà la dernière. En revanche, la rudesse de la traditionnelle préparation transalpine met vite le français dans le rouge sur le plan physique, un premier mur, d’où les difficultés psychologiques évoquées par Sarri à un moment donné. Ce n’est qu’au mois d’octobre qu’il commence à se lancer… Ce n’est qu’au mois de novembre que l’observation se fait avec plus d’exigence… à laquelle il répond. Peu à peu, la machine se met en route.
Pour Matuidi, le début de saison est beaucoup plus tranquille en ce qui concerne les plans sur lesquels son compatriote galère. Toujours sans concurrent véritable, il se retrouve aligné. Une sorte de valeur-refuge, un cadre du vestiaire qui devrait assurer un minimum. De toute façon, ni Rabiot ni Ramsey ne semblent alors prêts, Bentancur trop tendre, Emre Can placardisé en proie au mal du pays, le choix est vite fait. Très vite, rien ne va ou presque. Si l’intelligence tactique du Condor, comme celle de Khedira avant que son genou ne le lâche une énième fois, est louée, tout le reste relève du problématique. Très problématique.
Dans un module où un poids énorme repose sur la maîtrise technique et l’activité des milieux de terrain, le soldat Blaise a besoin d’être sauvé. Si on se plaît en France à continuer d’enfoncer Rabiot pour souligner le fait que Matuidi « a toujours su convaincre tous ses entraîneurs et que cette fois ne fait pas exception », la vérité est toute autre. Son absence de maîtrise technique est cette fois rédhibitoire, si on y ajoute le fait que son volume de courses, son taux de duels gagnés et de ballons récupérés se sont effondrés depuis l’été 2018.
Cette saison, le meilleur récupérateur de l’entrejeu bianconero se nomme Miralem Pjanic (160 récupérations). Le joueur avec la distance parcourue moyenne la plus élevée par match ? Il se nomme également Miralem Pjanic, avec quasiment 12,5km parcourus en moyenne sur 90 minutes, le quatrième score de tout le championnat. Des chiffres affolants compte tenu du profil du joueur. Sur certaines rencontres, le bosnien a même franchi la barre des 13km parcourus, mettant en alerte le staff sur le surrégime du maestro turinois, redoutant une blessure. Seulement, pas le choix quand il faut faire le boulot pour deux, Matuidi ne courant que 10km sur 90 minutes. Une moyenne équivalente à celle de Rabiot, qui a pourtant disputé la majorité de ses rencontres avec une condition physique loin d’être optimale, en reconstruction. Bien sûr, Pjanic a fini de son côté par se blesser la semaine passée.
Au duel, la déconfiture continue depuis un an, le champion du monde étant depuis longtemps descendu sous la barre des 40 % de duels gagnés par rencontre. Un replay sur le slalom endiablé et terriblement achevé de Nicoló Zaniolo suffit à résumer le tout. Matuidi mis à terre en un crochet, ne revenant qu’à tout petit trot, laissant le romain repasser devant lui, laissant Pjanic et Rabiot s’accrocher au short de l’Italien sur cinquante mètres.
Les plus fervents défenseurs du soldat Blaise le souligneraient eux-mêmes, ce n’est pas la qualité du joueur balle au pied qui le définit. Alors tant mieux, si cela peut éviter de s’attarder sur les compilations effrayantes qui fleurissent depuis cinq mois, sa réinvention du centre à la Ginola, vingt-cinq mètres trop en retrait et dans la course des milieux Napolitains menant à un but, sur la statistique de zéro passes clés réalisées jusque-là ou la différence de qualités évidentes avec les autres milieux juventini dont Adrien Rabiot. Ce dernier ne cesse de monter en puissance et à un niveau que peu auraient imaginé, selon les dires de son entraîneur, notamment sur l’implication défensive et tactique. Le garçon est à l’écoute et fait les efforts requis. L’aisance pour attaquer les petits ou grands espaces, sa palette de passes et sa puissance physique en font un logique candidat à la place de titulaire.
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Il est important de ne plus se voiler la face sur ce que sont aujourd’hui Matuidi et Rabiot. Le champion du monde n’a actuellement plus aucune légitimité pour occuper un poste de titulaire à la Juventus, et il serait dangereux pour l’équipe de France que ce soit encore le cas dans le onze de Deschamps. Le natif de Toulouse va fêter ses 33 ans et accessoirement arrivera à la fin de son contrat dans le même temps. Pour un joueur dont le principal point fort était l’énorme activité, il était important à cet âge d’activer d’autres leviers pour rester au très haut niveau. Techniquement, mission impossible. Trouver les ressources ailleurs, sans doute difficile pour lui de s’y pousser après avoir atteint le sommet en 2018, ce qui se comprend.
Même chez les médias italiens, ayant pourtant accepté le fait qu’il s’agissait d’un joueur à ne pas juger sur son élégance balle au pied, de surcroît auréolé d’un titre mondial faisait office de totem d’immunité dans la Botte, les critiques et inquiétudes fleurissent peu à peu, même si ce n’est encore rien en comparaison de ce qu’expriment les tifosi de la Vieille Dame. Alors non, il n’est pas illogique, et encore moins honteux qu’Adrien Rabiot soit aujourd’hui largement supérieur à Blaise Matuidi en tout point question football. Forcément, voir celui présenté comme l’archétype de l’enfant gâté supplanter celui qui s’est battu pour réussir malgré ses lacunes et amener la France tout là-haut est difficile à digérer pour beaucoup. C’est d’ailleurs pour lui sa deuxième et dernière chance. Celle de faire taire les critiques, celle de faire taire sa mère qui parle beaucoup trop en son nom quand lui ne demande plus rien. A défaut, laissez parler son football, et écoutez-le bien. Il a beaucoup à vous dire et à se faire pardonner.
Crédit photo : Icon Sport