Orphelin. Abandonné. Perdu. Le ballon termine sa course, seul, au milieu d’un terrain boueux, abandonné par les 22 acolytes qui le caressaient encore il y a encore quelques jours. Une dernière passe, un dernier contrôle, une dernière frappe, un dernier coup de sifflet. Celui-ci ne sera pas final, mais son bruit strident flotte encore aujourd’hui dans l’air comme un au revoir qu’on ne peut oublier. Dans une grande partie du monde, aujourd’hui, le ballon est au repos. Pourtant au centre de l’attention depuis des décennies, il s’habitue aujourd’hui à ne plus faire chavirer personne. Au coeur des immenses stades européens ou sur les tristes terrains cabossés des divisions inférieures, le silence de son absence fend le coeur de ses milliers de fidèles. Le ballon s’est arrêté de rouler et la tristesse de la période que nous vivons nous rappelle à quel point il fait partie de nos vies.
La peur de l’abandon
Footballeur du dimanche ou star du foot business, spécialiste de la Premier League ou amoureux de la Ligue 2, abonné au Stade Vélodrome ou supporter-canapé, fan du Real Madrid ou bénévole dans le club du coin. Le football réunit chaque semaine des profils et des histoires bien différentes. Ces personnes sont les acteurs d’un film qui ne s’arrête (presque) jamais. Les coutures du ballon nous emmènent chaque week-end d’un terrain à un autre, d’un pays à un autre et d’une culture à une autre. Mais aujourd’hui, nous avons perdu le fil de ce ballon que nous sommes tant à aimer.
Face à l’urgence qui se profilait à l’horizon, les acteurs du football ont d’abord fait mine de ne pas s’affoler. De l’avis général, le virus ne parviendrait jamais à bousculer les habitudes du vieux continent. Il arrivait pourtant sur le seuil de nos maisons et nous ne pourrions pas lutter très longtemps. Les premières secousses se firent ressentir au pays du catenaccio, là où les portes ont pourtant souvent pris l’habitude de rester closes durant les 90 minutes de rencontres historiques. Il fît rapidement trembler toute l’Europe et les premières mesures finirent par tomber. Les gradins des plus grands championnats européens resteront vides pour contrer la propagation d’un mal qui dépasse le cadre du simple rectangle vert. Le ballon était alors abandonné par ses plus fidèles admirateurs. Ceux qui n’auront jamais la chance de fouler les gazons parfaits de leurs stades préférés n’avaient désormais plus le droit d’y mettre les pieds. Contraints à se contenter des terrains humides du village voisin, ils mettent sous cloche leur passion pour le bien de la communauté.
L’accélération de la crise aura rapidement raison du ballon rond. Pour la bonne cause, les plus grands championnats sont suspendus et personne n’est en mesure d’annoncer une date de reprise. Pire, le football amateur est également concerné et le ballon termine sa dernière danse sur tous les gazons d’Europe. Qu’il soit millionnaire ou manutentionnaire, le footballeur abandonne son compagnon tissé de cuir pour se recentrer sur le plus important : sa santé et celle de ses proches. Le ballon s’est arrêté de rouler et le monde entier ne sait pas quand il reprendra ses droits.
Pas de football sans ballon
Au fil des années, le football a tissé des milliers d’histoires. De la buvette allemande à la corbeille du PSG, le foot est un sport social, un immense générateur de lien. L’incertitude qui le caractérise remet chaque semaine en cause l’équilibre sur lequel il s’appuie, et personne ne peut affirmer clairement qu’un clasico espagnol sera plus fascinant qu’un match de Gambardella. Au coeur du quotidien de millions d’adeptes, les discussions s’enchaînent et les débats se succèdent. Le moindre détail peut inonder la planète foot en seulement quelques minutes. La moindre déclaration peut enflammer les réseaux sociaux. Le moindre coup de sang peut traverser plusieurs villages en un temps record.
La léthargie dans laquelle nous plonge l’absence de football nous rappelle donc une chose : le ballon est le jeu. Il est celui vers qui se tourne tous les regards. Il est celui qui rythme nos vies depuis l’enfance. Il est celui qui berce nos soirées et nous plonge parfois dans des colères furieuses. Il est celui qui crée la joie. Il est tout ça à la fois.
Cette absence de ballon nous fait prendre conscience de son importance. Dans notre société spectaculaire, les discussions et les débats nous éloignent trop souvent de l’essentiel. Les affaires sensationnelles, les histoires de vestiaires et les résultats surprises nous font parfois oublier l’importance du ballon. Sans lui, le football n’existerait pas. Aujourd’hui, l’arrêt brutal du football est une nécessité. Comme toutes les autres activités, le football se met au diapason de la société et s’inscrit dans le vent de solidarité qui doit envahir l’Europe. Cette période de turbulence est une opportunité pour le football. Cette crise est l’occasion pour le jeu de retrouver sa place au centre des débats. Le ballon s’est arrêté de rouler, mais il ne nous abandonne pas.
Reprendre le fil de nos vies
Sans le jeu à l’origine de ce phénomène mondial qu’est devenu le football, nous n’aurions aucune histoire à raconter. Sans le ballon, pas de discussion enflammée, aucun débat stérile et encore moins de prise de tête tactique. Sans le terrain, rien de tout ce qui rythme nos journées n’existerait. A l’heure du confinement et du repli sur soi-même, l’occasion est belle pour réfléchir aux fondamentaux de notre sport et entamer le chemin qui nous mènera vers des bases plus saines.
Quand ce virus sera terminé. Quand nous aurons rendu hommage aux personnes qui se battent aujourd’hui pour assurer l’avenir de notre société. Quand nous aurons fait le deuil des disparus qui n’auront pas survécu à cette saleté de virus. Quand le quotidien reprendra difficilement ses droits après les terribles moments que nous vivons, le sourire des fans de football reviendra peut-être grâce au lien qui les unit tous : le ballon.
A tous les niveaux, l’épreuve que nous traversons ensemble est porteuse de tristesse et de frustration. Impuissants face à cette vague, nous n’avons que la solidarité et la positivité pour tenir la barre et ne pas chavirer. Pour continuer de vivre et relever la tête, il nous faudra nous concentrer sur ce qui nous amène de la joie et du sourire. Le ballon n’est plus au coeur de l’actualité et il s’en moque. Lorsque le moment sera venu, sa course reprendra lentement, les parvis des stades se rempliront doucement, les buvettes rouvriront et le football aidera des millions de fans à retrouver le fil de leur vie. On ne parlera alors plus que de lui, des tribunes bondées et des terrains boueux qui stoppèrent sa course à l’aube d’une période noire. Le ballon s’est arrêté de rouler, mais il sera là lorsque la vie reprendra ses droits.